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Enjeux et limites d’une définition de la discrimination « par le droit »

I – ELEMENTS D’UN CADRE CONCEPTUEL : CATEGORISATION ETHNICO-RACIALE, FRONTIERES ET DISCRIMINATION

I.3. Eléments pour une sociologie des frontières

I.4.1. Enjeux et limites d’une définition de la discrimination « par le droit »

L’émergence de la notion de discrimination en tant que problème public en France va de pair avec une qualification de l’action publique en termes de « prévention et lutte contre les

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 69 discriminations ». Plutôt que de séparer les deux – d’un côté, une notion pour elle-même ; de l’autre, un registre d’action publique - il y a lieu de comprendre leur articulation en tant que régime de problème public. « L’invention française de la discrimination »165, et son inspiration

européenne, implique en effet simultanément une façon singulière de définir le problème et de penser sa résolution - même si elles ne sont pas exemptes de contradictions et de paradoxes. Je reviendrai sur ce point, qui implique une forme d’hybridité du raisonnement (I.5.3).

I.4.1.1. De la définition en droit…

Dans les discours publics, la notion de discrimination est souvent définie « par la loi ». Il y a cependant un problème de référence, au sein même de l’univers du droit : les définitions juridiques sont plurielles, non seulement entre les sources européennes et le droit français, mais au sein même de celui-ci. A quelle définition faut-il se référer ? Je prends ici le parti de recourir à la définition codifiée (et non celle des lois spécifiques), comme cela est souvent en usage dans l’action publique. Au plan strictement définitionnel, les Codes pénal et du travail donnent à la discrimination le même sens général, malgré leurs différences. Au sens pénal,

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »166

Cet article doit être complété par le suivant (225-2), qui précise de type de situations couvertes par la juridiction pénale refus de fourniture d'un bien ou d'un service, entrave à l'exercice normal d'une activité économique quelconque ; refus d'embaucher, et sanction ou licenciement d’une personne ; subordonnation de la fourniture d'un bien ou d'un service à l’un des critères énoncés dans l'article 225-1 ; subordonnation d’une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à l’un de ces critères ; refus d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. Quant au Code du travail, il stipule :

« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte,(…), notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de

165 FASSIN D., « L’invention française de la discrimination », Revue française de science politique, n°4, août 2002,

p.403-423.

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 70 renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap. »167

La différence entre les deux définitions tient aux types de situations couvertes par les juridictions concernées. Aux Prud’hommes, est protégée de la discrimination la quasi totalité des actes relatifs à la fonction employeur ; le pénal est plus restrictif dans son étendue.

Cela conduit à trois remarques. D’une part, il faut voir que dans l’ordre du droit les deux ne s’opposent pas et peuvent être, sauf exception, toutes deux mobilisées. Dans notre travail sur la discrimination en stage, il est important de raisonner avec le droit du travail – qui est l’une des normes explicites définissant la situation de stage – et avec le droit pénal, qui qualifie plus généralement la discrimination (et qui, en l’espèce, concerne aussi les stages). D’autre part, il y a un intérêt important à mobiliser les deux, car le droit civil étend aussi d’une autre façon la définition de la discrimination : il rajoute à l’idée de discrimination directe qui organise le droit pénal, celle de discrimination indirecte.168 Avec cette dernière notion, la définition quitte

la sphère stricte des actes individuellement imputables pour juger des fonctionnements collectifs et des effets discriminatoires. Enfin, cette question de l’étendue du droit n’a pas nécessairement à être retenue dans la définition propre de la discrimination comme forme d’action. On peut proposer une définition synthétique se référant au droit.

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