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La gestion des frontières : activités et techniques de police

I – ELEMENTS D’UN CADRE CONCEPTUEL : CATEGORISATION ETHNICO-RACIALE, FRONTIERES ET DISCRIMINATION

I.3. Eléments pour une sociologie des frontières

I.3.1. Les frontières : éléments d’une topographie politique et morale

I.3.1.3. La réciprocité de la frontière : tension, pouvoir et démarcation polarisante

1.3.2. La gestion des frontières : activités et techniques de police

Etymologiquement, le terme de « frontière » semble venir du registre militaire, dans lequel la

ligne de front correspond à la limite de contrôle d’un territoire155. La gestion de la frontière

peut donc être entendue comme un domaine d’activités, au double sens de « domaine » : espace propriétal et registre d’action. Cette activité de contrôle a pour horizon ce que l’on peut appeler, au sens le plus large, le maintien de l’ordre. Si l’on suit le philosophe Jacques Rancière, cette activité caractérise l’action de la police. Terme qui n’est pas spécifique à un corps professionnels (« les policiers ») ni à un registre donné (« la basse police »).

153 Sur les usages de l’urbain : ROULLEAU-BERGER L., La ville intervalle. Jeunes entre centre et banlieue, Paris,

Méridiens Klincksieck, 1991. Sur les pratiques de ces réseaux commerciaux dont la micro-mobilité hallucinante défie les frontières étatiques, cf. TARRIUS A., La mondialisation par le bas. Les nouveaux nomades de l’économie

souterraine, Paris, Balland, 2002.

154 Par exemple, les délimitations nationales s’inventent dans un contexte nécessairement international. Ce qui fait

dire à Anne-Marie Thiesse : « Rien de plus international que la formation des identités nationales ». THIESSE A.- M., La création des identités nationales : Europe, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2001, p.11.

155 La notion de pays de frontières, attestée au XIIème siècle, désigne une place gardée par une armée et/ou faisant

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 65 1.3.3.1. La police, un concept extensif (vs la politique, un concept limitatif)

Pour comprendre le sens général de cette notion, il faut revenir à la distinction entre police et politique, soit les deux faces des activités concernant l’organisation de la polis (la Cité). Posons pour commencer que « le politique est la rencontre de deux processus hétérogènes. Le premier est celui du gouvernement. (…) Le second est celui de l’égalité »156. J. Rancière

nomme ce second processus : la politique ; elle « consiste dans le jeu des pratiques guidées par la présupposition de l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui et par le souci de la vérifier »157. La politique est alors entendue comme le motif, démocratique par excellence,

d’une exigence de « reconnaissance de l’égalité des êtres parlant ». L’égalité est ici un principe, qui fait politique dans sa confrontation pratique avec l’ordre réel, et dans l’exigence concrète d’une réouverture des comptes chaque fois qu’il y a mécompte. C’est bien le sens que l’on peut donner à une approche politique de la lutte contre la discrimination : la dénonciation des mécomptes et l’exigence et l’action pour une réouverture des principes de comptabilité des places et des statuts, des parts et des voix (I.4). La politique est en ce sens constituée de « moments » ; elle n’est pas un registre d’action et moins encore une propriété. De même que la démocratie n’est pas entendue comme un « état de société » ni une « forme d’Etat », mais comme une « rupture dans l’ordre de la filiation »158, c’est-à-dire l’activité qui

met en cause les titres de propriété justifiant la monopolisation du gouvernement. La police, quant à elle, est une « règle », et l’ensemble des pratiques qui en découlent ou qui s’y réfèrent. Règle le plus souvent implicite, qui configure les espaces et les « occupations », qui attribue les places et reconnaît ou non des voix. Police est alors le nom général d’un principe et d’une activité qui reposent sur la « distribution hiérarchique des places et des fonctions » et qui l’entretiennent. En d’autres termes, c’est l’activité de gestion et de (re)production d’un ordre (toujours de fait inégalitaire, dans le compte et la distribution des places, des voix, des corps, des espaces, des statuts, etc.). On voit à partir de cette approche que la discrimination elle- même correspond à une activité de police : une règle implicite et un ensemble de pratiques produisant un ordre caractérisé par un mécompte (du point de vue du principe d’égalité). L’antidiscrimination, elle, peut recouvrir deux modalités opposées (I.4.4).

156 RANCIERE J. , Au bord du politique, Paris, La Fabrique/Gallimard-Folio, 1998, p.112. 157 Ibid.

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 66 Ce couple polarisé de la police et de la politique signale une interdépendance. Du moins la politique dépend-elle de la police, dans la mesure où elle « n’a pas d’objets ou de questions qui lui soient propres »159. Elle habite potentiellement n’importe quelle question, à la

condition de la réinvestir comme le terrain où se fait valoir en pratique et en situation le tort que constitue l’inégalité. Charlotte Nordmann a raison de souligner, dans l’œuvre de Jacques Rancière, le risque d’une purification idéale de l’idée de politique160. Notons cependant que

pour ce dernier, s’il y a bien opposition diamétrale, il n’y a pas d’incommensurabilité entre police et politique, du moins si l’on définit le lien entre les deux par le fait que « toute police

fait tort à l’égalité »161, mais ne la dénie pas nécessairement. Le couple police/politique me

paraît intéressant pour la tension qu’il dessine entre ces deux pôles : transformer l’ordre inégalitaire vs le maintenir. Le caractère général de la notion de police me paraît en outre fécond pour signifier le lien existant – dans le temps et l’espace - entre des formes différentes d’action contribuant à produire un horizon (inégalitaire). Cette analyse prolonge donc à sa façon ce que montrait Michel Foucault, à savoir, comment le régime de la police s’étend bien au-delà de ses institutions et techniques spécialisées. Le défaut de cette catégorie méta- est en revanche bien évidemment de niveler tendanciellement une pluralité de formes, et une multiplicité possible de sens.

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