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De la “lutte contre les discriminations” à la “promotion de l’égalité des chances”

II – ENTRE L’IMPENSE ET L’IMPENSABLE : UN ETAT DE LA RECONNAISSANCE DE LA DISCRIMINATION ETHNICO-

II. 1.3 « Diversité » et « égalité des chances » : la déviation néolibérale et entrepreneuriale du référentiel

II.1.3.1. De la “lutte contre les discriminations” à la “promotion de l’égalité des chances”

Il s’amorce, au début des années 2000, une réorientation de la politique publique, dont l’inscription dans la politique de la ville est un signe. Mais bien d’autres signes se déploient, tout particulièrement à compter de 2003. Une reformulation se précise, depuis les inflexions de la politique publique « d’intégration », jusqu’à l’activisme lobbyiste de l’Institut Montaigne (II.1.3.2), en passant par le programme de Nicolas Sarkozy en faveur de la « discrimination positive », affiché dès 2003441.

Un glissement de sens s’indique avec le Comité interministériel à l’intégration (CII) du 10 avril 2003. Ce CII marque en effet, non seulement un retour « dur » de la logique intégrationniste et républicaniste (avec la mise en place du « Contrat d’accueil et d’intégration », ou la cérémonie d’entrée dans la nationalité française, par exemple), mais également l’annonce d’une nouvelle priorité : « assurer l’égalité des chances dans l’accès à

l’entreprise et la fonction publique »442. Dans le même temps, la lutte contre les

discriminations, placée sous l’objectif « Réaffirmer le pacte républicain », est vidée de son sens, puisque sous cet objectif on trouve pour tout programme : la mise en place d’une conférence de consensus sur le logement, la mise en place d’une Cité nationale de l’histoire de l’immigration, et aussi d’une journée de la fraternité. Cette logique sera renforcée par le Plan de cohésion sociale présenté par le Ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale le 30 juin 2004 : « l’égalité des chances » devient le « troisième pilier » (après l’emploi et le logement), la lutte contre les discriminations n’étant renvoyé qu’au vingtième et dernier programme de ce pilier. Et encore, le contenu est-il instructif d’une révolution paradigmatique interne : le programme prévoit en effet, outre la mise en place de la HALDE,

440 AUBERT P., BOUBAKER N., La politique de lutte contre les discriminations raciales dans le domaine de

l’emploi, Note n°50, Ministère de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion Sociale, DPM, Mai 2004, p.8.

441 SIMON P., « Comment la lutte contre les discriminations est passée à droite », op. cit.

442 Au titre de la 2ème priorité du CII, « Faciliter l’insertion sociale et l’accès à l’emploi ». Cf. http://www.archives.pr

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 151 de « rénover les outils juridiques de lutte contre le racisme », et de « promouvoir la diversité

dans l’entreprise ».

Par ailleurs, sous couvert de « relance de la politique de lutte contre les discriminations », les CODAC deviennent COPEC (Commission pour la promotion de l’égalité des chances et la citoyenneté). Cela va de pair avec une redéfinition partielle de leur objet, puisque la circulaire du 20 septembre 2004 adressée aux préfets et aux procureurs généraux étend le champ d'intervention à toute forme de discrimination. Le Sénat souligne que « deux priorités sont

assignées aux COPEC : l'insertion professionnelle, avec pour objectif la mobilisation des entreprises et l'identification des éventuelles discriminations ; la lutte contre le racisme et l'antisémitisme »…443 Dans la même logique, la Haute autorité de lutte contre les

discriminations et pour l’égalité (HALDE), autorité administrative indépendante, est finalement créée par la loi du 30 décembre 2004, et a elle aussi compétence sur toutes discriminations. Enfin, le passage du FASILD à l’ANCSEC (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, rebaptisée commercialement l’ACSE), avec la loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006, signe l’effacement symbolique de la priorité antidiscriminatoire derrière « l’égalité des chances ».

Une facette de cette transformation est donc également le statut donné à l’ethnico-racial. Il bénéficiait au départ d’un statut central, assimilant la question de la discrimination à cette catégorie, puisque la mise en place du numéro vert « 114 » était exclusivement consacré aux « discriminations raciales ». On voit se dessiner à partir de 2003 un accent mis sur « l’égalité hommes/femmes », de plus en plus net au point de supplanter la catégorie ethnico-raciale. Dès le « plan de cohésion sociale », en 2004, la « mixité » et « l’égalité homme/femme » apparaissent dans deux axes distincts. Depuis 2006, notamment, se succèdent divers textes législatifs : loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ; projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe ; loi du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ; loi du 26 février 2008 facilitant l’égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général… Il semble bien que l’on joue un critère contre l’autre.

443 Sénat, Rapport n° 65, Annexe au procès-verbal de la séance du 17 novembre 2004, Rapport fait au nom de la

commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée Nationale, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, par M. Jean-René LECERF, Sénateur.

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 152 On voit donc à partir de 2003 un brouillage de plus en plus systématique du référentiel, vidant la « lutte contre les discriminations » de sa signification politique initiale, et l’utilisant comme à la façon d’un « cheval de Troie » pour imprimer un nouveau référentiel : l’égalité des

chances. La question de la discrimination tend à être subsumée dans des formulations d’apparence plus larges (mais en fait puisant à un autre référentiel) qui en réduisent la portée politique et en affaiblissent la puissance pratique. Cette reformulation va de pair avec un déplacement des enjeux du côté de l’entreprise.

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