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Une difficulté de conversion du référentiel de l’action publique

II – ENTRE L’IMPENSE ET L’IMPENSABLE : UN ETAT DE LA RECONNAISSANCE DE LA DISCRIMINATION ETHNICO-

II. 1.1 « Lorsque la discrimination se cachait derrière l’intégration »

II.1.2. De la reconnaissance formelle à l’embryon d’une politique

II.1.2.3. Une difficulté de conversion du référentiel de l’action publique

Les actions et outils développés montrent cependant, dans leur fonctionnement même, des difficultés à traduire la problématique au sein des institutions. Les évaluations qui vont être

419 CORMONT P., COQUELLE C., Discrimination : Etat des lieux, COPAS, FAS/ADIA-ADECCO, 2000. 420 APCM, « Fatou, Julien, Aziz… les couleurs de l'apprentissage. Guide méthodologique de lutte contre les

discriminations raciales », (CD-Rom), 2001.

421 CEDIEY E., « Le projet ASPECT, prototype d’une nouvelle politique de lutte contre les discriminations ? », in

Economie & Humanisme, n°353, juillet 2000, pp.55-59.

422 NOËL O. (coord.), Actes du séminaire national Lutte contre les discriminations sur le marché du travail : de la

volonté politique à la mobilisation des acteurs locaux, du 12 au 14 décembre 2001 à La Grande Motte.

423REBZANI M., DURAND-DELVIGNE A., « Politique d’insertion sociale et professionnelle et discriminations

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 147 faites (des CODAC et du 114, par exemple424), montrent des résistances de fait, qui trouvent

d’abord leur justification dans la conception de la discrimination, et donc dans le niveau et la nature des transformations rendues nécessaires pour faire de la discrimination un nouveau référentiel. Concernant le traitement local par les CODAC, par exemple, plutôt que de favoriser des régulations avec le droit, on organise tendanciellement « une gestion (…) par la fuite »425 Pourtant, on fait comme si cela n’était qu’affaire d’organisation, en concluant que

« le dispositif n’a pas encore suffisamment répondu aux objectifs qui lui étaient assignés »426.

On justifie ici une simple « relance »427, laquelle souligne de fait les difficultés de la

mobilisation. C’est au fond la question du statut de la « lutte contre les discriminations » qui est se pose. S’agit-il de promouvoir un nouveau thème d’action ? Ou de prendre acte du fait que la discrimination appelle à reformuler globalement les politiques publiques ?

La reconnaissance publique du phénomène ne coïncide pas avec l’abandon du référentiel intégration/insertion. L’évolution du FAS en FASILD témoigne d’une recherche de combinaison entre deux thèmes, qui sont posés comme deux enjeux d’actions complémentaires mais non contradictoires. En 1999, le rapport de Jean-Michel Belorgey sur les conditions de pertinence d’une autorité indépendante chargée de lutter contre les discriminations, souligne, l’enjeu d’une reformulation globale des politiques publiques. Il suggère - avec d’autres, tels que le GRID - la contradiction entre les deux volets de la rhétorique publique : « On ne gagne rien à raisonner en termes de lutte contre les

discriminations si cela ne signifie pas qu’on déplace l’accent d’une réflexion sur les carences des candidats à l’intégration vers une réflexion sur les raideurs de la société d’accueil. »428

Mais, on pouvait douter que les conditions soient réunies pour un tel passage429.

424 Les problèmes vont de la méconnaissance du dispositif par les publics concernés aux difficultés de

fonctionnement interne [GELD, Bilan de deux années d’activité du dispositif 114–CODAC, 2002], et surtout la difficulté à passer à une étape judiciaire. GORGEON C., AMAOUCHE M.-D., AUDEBRAND E., BARILERO B., « La mise en œuvre locale du 114. Etude qualitative », in Migrations études, n°99, mai-juin 2001. Cf également STASI B., Vers la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité : rapport au Premier ministre, Paris, La Documentation française, 2004.

425 DHUME F., CEDIEY E., La discrimination sur le territoire de Saint-Priest, Montpellier, ISCRA-Méditerranée,

mai 2005, p.54.

426 http://www.social.gouv.fr/htm/pointsur/discrimination/relance114codac.htm 427 Circ. interministérielle DPM/ACI 2 n° 2001-526 du 30 octobre 2001

428 BELORGEY J.-M., Lutter contre les discriminations. Rapport à Madame la Ministre de l’emploi et de la

solidarité, mars 1999.

429 DHUME F., « Du “Rapport Belorgey” à une véritable politique », in Journal du Droit des Jeunes, n°187,

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 148 Cette hésitation entre deux qualifications indique que se joue à ce moment, au sein de l’Etat, une « lutte discrète » pour la requalification de l’intégration.430 Sous l’apparence d’un

engagement gouvernemental et global, le projet antidiscriminatoire apparaît politiquement d’autant moins rassembleur que ni les partis politiques et leurs leaders, ni les mouvements syndicaux (hormis un discours général sur les droits), n’ont suivi le mouvement431. Dès le

départ, en 1999, on voit une double initiative de sens opposé : d’un côté, avec Martine Aubry, un programme d’action qui formule le problème en termes de « discriminations » ; de l’autre, avec Jean-Pierre Chevènement et les CODAC, une orientation qui privilégie la « citoyenneté » dans un contexte compris comme une « crise du modèle républicain d’intégration »432. Le début des années 2000 va voir s’affirmer une radicalisation de la logique

intégrationniste. Par exemple, la présidente du Haut conseil à l’intégration de l’époque, Blandine Kriegel, joue explicitement l’intégration contre la discrimination, en affirmant qu’« une des pistes de principes que le Haut Conseil à l’Intégration a tracée est de ne pas prendre le problème de l’intégration par les problèmes de la discrimination, qui [lui] semblent constituer une impasse » 433. Un « dilemme français »434 s’exprime ici, ou plutôt se répète435, dans une

incapacité politique à se saisir de l’opportunité pour rouvrir largement le cadre politique d’un « Nous » sociétal qui ne soit pas exclusif.

Une territorialisation a été initiée avec la création des CODAC (commissions départementales, chargées depuis 2002 de mettre en œuvre des Plans départementaux de lutte contre les discriminations (elle se poursuivra, avec bien des hésitations, au niveau de la HALDE, notamment, après 2005). Celle-ci va être renforcée, avec une ambiguïté majeure dans la construction du problème, par l’inscription, dès 2000, de la lutte contre les discriminations dans la politique de la ville. Si au départ, l’investissement de ce cadre peut sembler faire partie de la mobilisation globale, elle va en fin de compte devenir l’orientation majeure, et aussi à la fin des années 2000 le seul terrain de compétence laissé à l’ex-FASILD,

430 LORCERIE F., « La lutte contre les discriminations ou l’intégration requalifiée », op. cit..

431 SIMON P., « Comment la lutte contre les discriminations est passée à droite », Mouvements, n°52, 2007, pp.153-

163.

432 BERTOSSI C., « Le Code, les Codac et la citoyenneté européenne », in Hommes & Migrations n°1219, mai-juin

1999, pp.18-26.

433 KRIEGEL B. (entretien avec), In VEI Enjeux n°135, décembre 2003, p.181.

434 STREIFF-FENART J., « Un dilemme français : modèle républicain et discriminations ethniques », in Faire

Savoirs, n°1, 2002, pp.69-76.

435 On pense à la paradoxale « réponse » aux Marches pour l’égalité du début des années 1980, sous la forme d’une

ethnicisation (dans la retraduction sémantique de « Marche des Beurs »), et dans la substitution à la demande d’égalité d’une promotion de la fraternité (le « Touche pas à mon pote » consensuel de SOS Racisme).

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 149 devenu ACSE. En effet, l’approche est initialement centrée sur le « marché du travail »436, à

l’instar de l’orientation globale, ainsi que sur une logique d’expérimentation préalable à une diffusion ce qui correspond au mouvement de l’époque. Mais l’entrée par le « territoire » va s’imposer, et être rétrospectivement justifiée : « Aborder la question par les territoires de la politique de la ville, c’est d’abord répondre à la discrimination sur son terrain, car celle-ci est vécue dans la proximité et le quotidien »437. De la réponse à la discrimination « là où elle est

vécue » à la focalisation sur les territoires stigmatisés, le pas est franchi. Ce qui conjugue deux problèmes : d’une part, celui de la reproduction et de la banalisation des catégories (« quartier sensible ») et des cadres de stigmatisation438 ; d’autre part, celui de la capacité à

mobiliser les institutions à partir de cette entrée, ce qui peut contribuer à « occulter l’immobilisme des grandes institutions nationales »439. Au final, la diffusion par la politique

de la ville peut prendre la tournure d’une dépolitisation de la « lutte contre les discriminations » et d’un renversement dans une focalisation sur le public.

II.1.3. « Diversité » et « égalité des chances » : la déviation néolibérale et

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