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Le « modèle français d’intégration républicaine », une norme ethnonationale unitariste

Figure n°1 La notion de discrimination : trois matrices en tension

I.6. La singularité de l’approche antidiscriminatoire de l’égalité

I.6.1. Intégration, antidiscrimination, diversité : trois « modèles » politiques antagonistes

1.6.1.1. Le « modèle français d’intégration républicaine », une norme ethnonationale unitariste

Le terme d’intégration a un sens un peu différent en sociologie et dans le champ politique. Les deux usages se rejoignent toutefois, sur deux plans. D’une part, ils reposent sur un présupposé normatif commun, indiqué par l’étymologie : intégrer signifie « rendre complet, achever ». Il y a donc au départ un référent unitariste ou totalisant, tenant le mouvement et l’altérité comme un désordre, et la pluralité comme un problème. D’autre part, le lien entre les dimensions sociologique et politique du concept d’intégration tient à la définition même qu’en donnait Emile Durkheim. Celui-ci a défini l’école comme une institution dont la mission centrale est d’assurer une double intégration : intégration fonctionnelle, à travers une activité de classement et de distribution dans la division du travail, et intégration normative, par la fabrique d’une adhésion aux normes dominantes246. Sur le plan politique, c’est dans le

contexte d’une focalisation sur le « problème de l’immigration », idée imposée par l’extrême- droite247, que va être promue à la fin des années 1980 une réponse en termes « d’intégration ».

243 LOCHAK D., « Les minorités et le droit public français : du refus des différences à la gestion des différences »,

in Fenet A., Soulier G., Les minorités et leurs droits depuis 1789, Paris, L’Harmattan, pp.111-184.

244 DE RUDDER V., « Quelques problèmes épistémologiques liés aux définitions des populations immigrantes et

de leur descendance », in Aubert F., Tripier M., Vourc’h F. (dir.), Jeunes issus de l’immigration, de l’école à

l’emploi, Paris, L’Harmattan, 1997 ; FASSIN E., « L’épouvantail américain : penser la discrimination française », in Vacarme, n°4-5, septembre-novembre 1997, pp.66-68 ; DHUME-SONZOGNI F., Liberté, égalité,

communauté ? L’Etat français contre le « communautarisme », Paris, éd. Homnisphères, 2007.

245 NOIRIEL G., « Petite histoire de l’intégration à la française », in Manière de voir, éd. Le Monde diplomatique,

mars-avril 2002, pp.30-34.

246 DURKHEIM E., Education et sociologie, Paris, PUF, 1977.

247 BONNAFOUS S., L’immigration prise aux mots, Paris, éd. Kimé, 1991 ; LAVERGNE C., SIBLOT P., « Les

fabriques du sens commun : presse régionale et discours d’exclusions », Hommes et Migrations, n°1169, octobre 1993, pp.34-37.

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 99 Il s’agit de fabriquer, par volonté étatico-nationale, et avec le soutien d’une partie des sciences sociales, un nouveau « pacte » pour le « vivre ensemble ». Lequel va immédiatement se transformer en une « homogénéisation de populations »248. Bien que l’organisation de l’action

publique s’en inspire249, on écarte le terme d’insertion - mot d’ordre socialiste des années

1980. On repousse également celui d’assimilation, marqué par l’usage colonial et par l’idée d’acculturation des nouveaux entrants dans la société. C’est ainsi que le Haut conseil à l’intégration, mis en place en 1989250, va définir son objet comme une perspective équilibrée,

fondée sur un « effort réciproque ». D’un côté, on refuse une politique de reconnaissance - que l’on associe à une vision « communautaire », « différentialiste », toujours référé à l’image repoussoir du « modèle américain ». De l’autre côté, on valorise un « universalisme français », puisant dans le répertoire des Lumières pour affirmer un compromis ethnonational consensuel face à la pression de l’extrême-droite. Par-delà une polarisation de principe, le Haut conseil à l’intégration lui-même reconnaîtra qu’« une telle opposition [entre modèle français et anglo-saxon] paraît devenir de plus en plus artificielle »251.

Mais l’idéologie ethnonationaliste maintient la confusion entre l’analyse sociologique du « cycle migratoire »252 (ce qu’il advient des immigrants qui s’établissent dans l’espace d’un

Etat-Nation) et le thème politique de l’identification nationale. Elle fait de l’immigration intrinsèquement « un objet qui fait problème »253, car il mettrait en péril l’unité de la Nation.

L’idée politique d’intégration est ainsi le siège d’un irréductible paradoxe, car elle repose sur une conception de la citoyenneté qui est certes « nationalitaire », mais également « capacitaire »254, et donc conditionnée par une norme unitariste de « l’être-citoyen ». Norme

dont les référents sont implicitement subordonnés à une conception ethnique de la normalité/ citoyenneté. Ainsi, si « intégré » correspond à « achevé », le référent ethniste et unitariste qui traverse la représentation de la société française repousse en même temps la reconnaissance

248 SCHNAPPER D., La France de l’intégration. Sociologie de la nation en 1990, Gallimard, 1991.

249 « L’intégration » résulte, en pratique, de l’application à la question de l’immigration du référentiel d’insertion,

développé dans les politiques publiques françaises depuis les années 1970 aux populations « handicapées ». Aussi, la conception de « l’égalisation » présuppose-t-elle ici l’application d’une lecture handicapologique quant à la

capacité à être citoyen.

250 Décret n°89-912 du 19 décembre 1989, portant création d’un Haut Conseil à l’intégration. 251 http://www.hci.gouv.fr/rubrique.php3?id_rubrique=19#I.

252 BASTENIER A., DASSETTO F., Immigration et espace public. La controverse de l’intégration, Paris,

Ciemi/L’Harmattan, 1993, pp.234-261.

253 SAYAD A., L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, De Boeck/Université, 1991, p.15.

254 LATRAVERSE S., « Les apports du droit et les avancées européennes en matière de lutte contre les

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 100 de l’égalité. Le thème de « l’intégration » arrive en effet au moment même où les générations post-immigration, se reconnaissant dans le pays où elles vivent, revendiquent les mêmes droits. Ainsi, « les discours sur l’intégration viennent mettre de la distance là où il y a de la ressemblance. »255 C’est que la conception intégrationniste, orientée vers la réalisation d’une

intégrité du corps politique et social, repose sur un référent normatif institué et fixe. Comme si « être citoyen français » était une norme universelle et anhistorique. Ainsi, la politique d’intégration affiche un objectif de citoyenneté qu’elle ne cesse en même temps de repousser. Pour l’ensemble de la classe politique256, « l’immigré » (celui qui est perçu comme tel) est

l’objet d’une injonction perpétuelle, et d’un soupçon sans cesse réitéré.

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