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Type Description du type d’échanges oraux informels entre chercheurs au laboratoire

Type 1

Échanges qui aident à retrouver des méthodologies, à rechercher des données de la bibliographie et des idées liées aux préoccupations du

moment.

Type 2 Évaluation de la faisabilité de tel ou tel protocole expérimental Type 3 Échanges qui portent sur des questions théoriques, controverses… Type 4 Évaluation du crédit accordé à tel ou tel confrère et par conséquent sur les

Le type d’échanges auquel nous allons principalement nous intéresser dans cette section sont les échanges informels de type 3 car ceux-ci nous semblent caractéristiques du processus heuristique qui permet la recherche de nouvelles explications, même si les autres types d’échanges viennent interagir avec les échanges de type 3, ce dont rend compte Lévy-Leblond lorsqu’il affirme que « c’est

dans la langue orale que chemine et émerge la connaissance : du visible au lisible, via le dicible » (ibid., p. 253). Ainsi, même si les productions langagières orales sont

moins contrôlées que les écrits, « l’expression parlée donne à la pensée la

spontanéité nécessaire à l’invention » (ibid., p. 255). Cela conduit Lévy-Leblond à

conclure que « la science se fait comme elle se parle. À s’énoncer, donc à se penser,

dans une langue autre que la langue ambiante, elle perdrait son enracinement dans le terreau culturel commun et serait ipso facto privée d’une source essentielle, même si elle est souvent invisible, de sa dynamique. Les mots ne sont pas de neutres habits pour les idées ; c’est souvent par leur jeu libre et inattendu que se fait l’émergence des idées neuves » (ibid., p. 259-260). Cette longue citation qui insiste sur le

marquage social du signe, développe une certaine conception du langage que nous devrons expliciter dans la deuxième section de ce chapitre.

Nous voyons bien que les échanges oraux informels au laboratoire, et principalement les énoncés de type 3, sont en lien avec le processus de la découverte. Les travaux de Latour et Wooglar font écho aux propositions que nous avons faites à la suite de Meyer concernant, d’une part, la logique du moment de la recherche et, d’autre part, les modes de raisonnement qui s’y développent. Pour ce qui concerne la logique du moment de la recherche, les deux auteurs décrivent « la contradiction

essentielle contenue dans les procédures utilisées par les scientifiques : si elles sont logiques, elles sont stériles ; si elles sont fructueuses logiquement incorrectes »

(1988, p. 177). Ils sont en accord avec Meyer pour dire que la logique formelle ne peut pas rendre compte, à elle seule, du processus de découverte. Meyer va plus loin, puisqu’il affirme (chapitre 1, section 4.2.) que ce processus relève, en plus de la logique formelle, d’une logique particulière, context-dependant. Le développement de cette idée, conduit Meyer à identifier des modes de raisonnements spécifiques à cette logique context-dependant comme le raisonnement analogique, ce qui va dans le sens des observations de Latour et Wooglar qui ont observé au laboratoire « le rôle

prépondérant qu’y jouent les raisonnements de type analogique » (ibid., p. 175)9.

Quand une explication a été trouvée, il reste à la faire connaître, à la faire accepter au reste de la communauté scientifique et pour cela il faut convaincre. Cela se traduit

9 Les scientifiques interviewés par Yore et al. ne reconnaissent pas un rôle important à l’analogie et

aux métaphores dans le processus de l’enquête, mais seulement pour la communication de la science (2006, p. 138).

selon Latour et Wooglar par une double transformation décrite comme suit : « d’une

part, la démarche analogique cède souvent la place à un lien logique. D’autre part, la série complexe de contingences locales qui ont permis d’établir momentanément un lien faible, est remplacée par des éclairs d’intuition » (ibid., p. 177). Nous allons

maintenant décrire le processus qui conduit à la mise en texte de l’explication communiquée à l’extérieur.

1.3. Communication formelle et justification

de l’explication : la mise en texte du savoir

Nous allons reprendre plus précisément le processus qui conduit à la production d’un texte destiné à une communication vers l’extérieur suivant l’enquête ethnologique conduite par Latour et Woolgar dans le laboratoire de Roger Guillemin au Salk Institut de San Diego. Au cours de leur enquête l’équipe de Guillemin découvre le TRH, neurohormone qui joue un rôle, avec le GnRH, dans la libération de FSH et de LH, découverte qui vaudra le prix Nobel en 1977 à Guillemin.

Tout d’abord, notons que l’appareillage du laboratoire, et en particulier les inscripteurs, est le produit de recherches précédentes (menées ou non dans le laboratoire qui les utilise) et intègre une part importante de théorie. Ainsi, les inscriptions produites font partie d’une phénoménologie étendue décrite par Bachelard sous le terme de phénoménotechnique : « dans la science moderne les

instruments ne sont pas des auxiliaires, ils sont les nouveaux organes que l’intelligence se donne pour mettre hors circuit scientifique les organes des sens, en tant que récepteur. Un instrument, dit Bachelard, c’est un théorème réifié10, une théorie matérialisée11 » (Canguilhem, 1968/1989, p. 191). C’est pour cette raison

que Latour et Wooglar parlent de construction sociale des faits scientifiques, même s’ils indiquent ne pas être relativistes : « loin de nous l’idée que les faits – ou la

réalité – n’existent pas. […] Nous affirmons seulement que cette “extériorité” est la conséquence du travail scientifique et non sa cause » (1988, p. 186).

C’est sur les courbes produites dans le laboratoire que les chercheurs vont se pencher « en quête d’une signification » et c’est dans ce contexte que les résultats expérimentaux deviennent des « données » (ibid., p. 42). Ces données vont être confrontées aux hypothèses, aux autres résultats déjà publiés… C’est à partir de ce

10 Bachelard, 1933, p. 140. 11 Bachelard, 1934, p. 12.

travail que vont être élaborées les productions langagières, des textes12, destinés à l’extérieur du laboratoire. Le texte produit provient d’une pratique scientifique qui inclut une dimension manipulatoire, mais également une dimension langagière. Ce qui est caractéristique de ce passage de la pratique au texte, c’est la réduction drastique opérée, qui consiste à ne reprendre des multiples déterminations de la pratique que celles qui peuvent rendre compte d’une certaine cohérence, cohérence qui pourra être comprise par des interlocuteurs qui n’ont pas participé à cette pratique. Ainsi, une grande partie du travail au laboratoire, qui a permis le recueil des données, se fait oublier, et « les épisodes et les déterminants multiples de la

pratique » sont « effacés, occultés dans son produit » (Rey, 2002, p. 51). Le texte

produit est de plus en plus éloigné des situations qui l’ont vu naître, des conditions, des pratiques qui l’ont engendré. C’est également ce processus qui permet au texte de devenir de plus en plus autoréférentiel, ce qui signifie que « si je veux comprendre ce

qui y est écrit à un endroit donné, je dois me référer aux autres parties du même texte » (ibid., p. 52), même si Grize (1992) précise que l’effacement du producteur

du texte n’est jamais complètement abouti. Ainsi, « même lorsque le locuteur veut

s'effacer, il lui arrive souvent de laisser pointer l'oreille » (Grize, 1992, p. 47), ce qui

se traduit notamment par l’usage des modalisations. Le processus de citation dans les textes scientifiques contribue également à rendre le texte autoréférentiel et permet d’ancrer le texte produit dans un environnement déjà riche en textes13. Cette question d’une pratique qui se déploie dans un univers de textes déjà-là pose des problèmes de transposition didactique. Comment la penser en situation de classe où cet environnement textuel n’existe pas ?

Ainsi, on peut dire que s’opère une décontextualisation qui permet l’autonomisation du texte destiné à l’extérieur et une recontextualisation dans l’espace des textes du savoir14, même si cette autonomisation n’est jamais complète puisque le texte, à lui seul, ne peut incorporer les savoirs techniques qui caractérisent certains laboratoires15. C’est cette difficulté à « transmettre » les savoir faire qui

12 Nous reprenons à Bronckart sa définition de la notion de texte : « la notion de texte peut s’appliquer

à toute production verbale située, qu’elle soit orale ou écrite » (1996, p. 73).

13 Les citations peuvent assurer au moins deux fonctions différentes : elles peuvent constituer une

source de données à partir desquelles l’auteur conduit son raisonnement, ainsi les discours scientifiques « sont essentiellement fondés sur des textes » (Grize, 1992, p. 41). Les citations servent également à assurer la crédibilité de ce qui est avancé par l’auteur en la fondant sur ce qui a été établi par ailleurs (ibid., p. 48).

14 Il convient de noter que Brossard conteste la possibilité d’une décontextualisation seule. Il a montré

que toute décontextualisation s’accompagne nécessairement d’une recontextualisation (Brossard, 1997, 2004), c’est pour cette raison que nous utiliserons désormais la formulation décontextualisation-recontextualisation.

15 Ce qui conduit nécessairement à la coopération entre équipes de recherche comme le montre, par

conduit Roqueplo (1974) à émettre un doute à propos de la vulgarisation scientifique et Orange, (2007, p. 207) à s’interroger à sa suite : « sans connaissance des

problèmes techniques, peut-on développer complètement le fonctionnement critique des savoirs théoriques ? ». Ce texte pourra alors venir alimenter la partie théorique

du savoir scientifique assimilable à l’ensemble des textes disponibles dans la communauté scientifique16. Alors, il sera disponible pour être emprunté par d’autres chercheurs, d’autres praticiens qui pourront l’utiliser dans leur propre champ de pratique, dans un contexte plus ou moins proche de celui de sa production.

La question de l’autoréférencialité des textes scientifiques n’est pas aussi simple que cela et mérite que l’on s’y arrête. Même si le texte s’autonomise par rapport à la recherche qui l’a vu naître, dans les limites soulignées ci-dessus, une de ses caractéristiques est sa référence au(x) problème(s) scientifique(s) au(x)quel(s) il répond (même si tout texte est une réponse à un problème, dans les textes scientifiques le problème est explicité, ce qui n’est généralement pas le cas des textes littéraires). En ce sens, le texte scientifique renvoie à l’extérieur de lui-même, au style de pensée, au paradigme dont il est issu. De plus, dans chaque texte, la question de la référence, du renvoi au monde est fondamentale. Ainsi, bien que le texte s’autonomise, il n’est jamais complètement autonome puisqu’il reste lié à la communauté qui l'a produit, à son champ de questions, ce qui ne va pas sans poser de question pour penser les processus de décontextualisation-recontextualisation.

Pour ce qui concerne les types d’énoncés produits par les membres du laboratoire, Latour et Wooglar distinguent cinq types d’énoncés présentés dans le tableau 2-5.

physique théorique, de la cristallographie et de la chimie organique. C’est bien une mise en commun des savoirs faire de chacun qui a permis la construction du modèle de molécule d’ADN par Watson et Crick, chacun de ces savoir faire ne pouvant être « prêtés » par le laboratoire voisin (Watson, 1969).

16 La partie technique du savoir scientifique, même si une partie est incorporée dans les textes, est

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