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Tableau 2-7 Les six thèses associées à la topique des trois mondes de Popper (1991/1998, p 184-189)

3.1. Langage et activités scientifiques dans une séquence de classe ordinaire

La description, que nous allons présenter, du déroulement d’une séance de classe ordinaire en SVT en collège, s’appuie sur des données récoltées à partir de travaux de recherche33. Ici, il ne s’agit :

- ni de stigmatiser ces pratiques ;

- ni de nier les travaux de recherches conduits aussi bien du point de vue des apprentissages que de la formation des enseignants (pour une synthèse sur ces questions, voir Schneeberger, 2002) ;

- ni de généraliser les résultats obtenus sur un petit nombre d’observations à l’ensemble des classes (du collège principalement) ;

mais de pointer quelques questions qui pourront venir alimenter notre réflexion sur les liens entre activité langagière et apprentissages scientifiques.

Le déroulement des séances est régulièrement organisé autour d’« activités […]

peu diversifiées, le plus souvent fondées sur la lecture et l’exploitation d’un document écrit, graphique ou numérique » (France : MEN, 2007, p. 13) qui peuvent

être associées à la réalisation d’expériences et d’activités pratiques. Les élèves doivent produire des écrits, correspondants à des écrits d’exposition (Vérin, 1988, p. 22-23 ; Astolfi et al., 1991), rédigés au terme d’un travail et répondant à des normes précises (comptes-rendus de résultats expérimentaux, réponses à des questions…). Ces écrits servent essentiellement à organiser leur activité ce qui conduit à « la construction d’une connaissance contextualisée » (Vérin, 2003, p. 8). La production est précédée d’une exposition orale du problème qui se traduit concrètement par une dizaine de minutes de questions, ouvertes au début puis de plus en plus fermées, au cours desquelles l’enseignant souhaite faire deviner34 aux élèves

33 Pour l’école élémentaire, voir Garcia-Debanc (1995, p. 80-81), Rebière (2000, p. 29-32) ; pour le

collège, voir Feuillade D. et al. (2000) et France: MEN (2007).

34 Les enseignants ne posent pas directement une question à partir de laquelle ils pourraient engager

les élèves dans la construction d’un problème scientifique, comme « aujourd’hui on va essayer d’expliquer comment les aliments peuvent fournir des nutriments aux muscles », pour plusieurs raisons nous semble-t-il : d’une part, il y a une confusion épistémologique sur ce qu’est un problème scientifique, soulignée également par le rapport de l’inspection générale de SVT (France: MEN, 2007, p. 15 : « La notion de problème scientifique est en général assez mal

le problème scientifique qui va être traité au cours de la séance et qui légitime l’activité proposée. La séance se clôt par une phase, généralement courte (car le temps manque), de décontextualisation fortement guidée par l’enseignant :

« quelques élèves donnent leurs résultats et leurs réponses à l’enseignant, parfois des échanges entre élèves instaurent une courte discussion au cours de laquelle l’enseignant commente, corrige ou reformule ce qui est dit par les élèves, puis valide et institutionnalise une formulation. La phrase ou un court texte formalisant la connaissance générale est énoncée par l’enseignant et recopiée par les élèves »

(ibid.). Les écrits permettent alors de synthétiser les résultats des expériences et des observations et de les relier aux explications, ainsi les « écrits permettent d’aller, au-

delà des constats, à la recherche d’explications » (Garcia-Debanc, 1995, p. 81). « Dans certains cas, au pire, la progression du professeur est exclusivement constituée d’une succession d’activités qui masquent le problème scientifique posé et prive les élèves d’une vision synthétique des connaissances de base sur le sujet »

(France : MÉN, 2007, p. 18). Nous pouvons faire quelques remarques par rapport à cette séquence ordinaire, en particulier sur le lien entre activités langagières et activités scientifiques.

Les principales activités langagières mises en œuvre accompagnent l’action dans laquelle sont engagés les élèves. Les discours produits relèvent, selon la typologie présentée à la section 2.3., de discours de genre premier ou de genre second « normalisé » (compte rendu de résultats expérimentaux…). La très faible présence des écrits de travail ou écrit instrumentaux pour soi (Vérin, 1988, p. 20) (et nous pouvons étendre la remarque à d’autres modes langagiers : comme les oraux de travail ou des relations entre oral réflexif et écrit de travail) montre, selon Orange et

al. (2001, p. 113), que l’enseignement scientifique ne donne pas encore toute sa

place à la construction des problèmes. Ainsi, ces activités langagières restent très contextualisées et, faute d’une véritable activité de problématisation, les élèves ne peuvent percevoir « ni le sens, ni la portée (de leur activité) au-delà du contexte » (Vérin, 2003, p. 8). Il en résulte que l’activité langagière mise en œuvre n’a pour seule fonction que de désigner des objets et des actions, de les décrire et d’en rendre compte. Dans ce sens, le langage sert principalement à étiqueter les choses, il n’est pas considéré comme une activité interprétative qui permet d’aller des idées aux faits (Sutton, 1995). En cela, la conception du langage sous jacente renvoie à une perspective représentationaliste telle qu’elle est définie par Bronckart où « le langage

servirait d’abord à traduire la logique du monde et/ou celle des opérations de pensée » (1996, p. 87).

perçue ») et, d’autre part, les enseignants ont l’impression que s’ils explicitent ce que l’on va chercher, cela revient à donner la réponse aux élèves.

La décontextualisation qui accompagne la production du texte de la classe est « violente » dans le sens où, d’une part, le texte du savoir de la classe a perdu toute trace du processus qui a permis de le construire et, d’autre part, les élèves sont peu ou pas du tout associés à cette décontextualisation. En effet, comme le remarque Astolfi (2002), le dialogue pédagogique, dans ce type de séance, reste monologal puisque, même si les paroles des élèves et de l’enseignant alternent, les élèves ne font que « compléter ce que l’enseignant a choisi de ne pas dire lui-même, afin de

laisser les élèves le trouver » (p. 18). C’est donc l’enseignant qui prend en charge

l’évolution du texte du savoir.

Le texte explicatif qui sera à apprendre (discours de genre second), même s’il a généralement, en lui-même, une pertinence épistémologique, peut ainsi être considéré, du point de vue de l’élève, comme formel et dogmatique. Le langage (en particulier l’écrit), quant à lui, « sert à exposer des savoirs stabilisés, la langue est

perçue comme totalement transparente et l’appropriation du savoir se réduit à la recherche de l’information et à sa transcription » (Rebière, 2000, p. 30).

Les pratiques mises en œuvre au cours de telle séance, en particulier au niveau langagier, n’ont rien à voir avec les pratiques des chercheurs dont nous avons décrit la structure et la fonction à la section 1. Cela pourrait s’admettre, cependant, ces pratiques contribuent à renforcer un rapport généralisé au langage, assez largement répandu, selon lequel le langage est redondant par rapport au monde, sert uniquement à désigner des objets, à verbaliser les actions faites, dans un rapport très étroit au réel et au concret. Comme, de plus, « la connaissance scientifique se dénature lorsqu’elle

efface ou oublie les conditions de sa propre production » (Roqueplo, 1974, p. 89), la

conception de la science que construisent les élèves risque d’être fort éloignée de l’activité scientifique telle qu’elle se fait dans les laboratoires. Ces remarques rejoignent les analyses menées par des chercheurs anglais qui ont montré que les activités généralement proposées aux élèves en classe de sciences ne leur permettent pas de développer des compétences langagières qui favoriseraient leur compréhension de la dynamique de la construction du savoir scientifique (Driver et

al., 2000, p. 308).

Suite à ces différentes remarques, il convient de nous interroger sur les liens entre activités langagières et apprentissages scientifiques qui ne sont pas aussi simples à saisir que ce que l’on pourrait le croire.

3.2. Langage et apprentissages scientifiques

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