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Quelles sont les conséquences didactiques de ces deux dédoublements pour une représentation du processus de construction d’une explication dans le champ des sciences de la vie ? Quelles sont les conditions de possibilité à l’engagement des élèves dans la construction d’une explication ?

Dans un premier temps, il faut engager les élèves dans une situation qui nécessite la production d’une explication pour la classe qui peut se constituer, à un moment donné, en un collectif de pensée (au sens de Fleck) au sein duquel les explications seront construites, discutées et validées. Les moments d’évaluation diagnostique (France : MÉN, 2007, p. 68) peuvent permettre d’engager chaque élève dans la construction de cette explication.

La situation d’évaluation diagnostique est à l’interaction entre :

- un dispositif qui contient une question71 (demandant une explication qui présente les caractéristiques décrites à la section 6.3.), certaines contraintes de situations ; - et des élèves qui possèdent une expérience du monde et, par-là, disposent de connaissances communes.

Cette situation permet généralement à l’élève de produire une première explication, une explication spontanée (figure 1-5).

71 Il semble que cette question doit posséder un certain nombre de caractéristiques : elle doit être

accessible à partir de la connaissance commune et doit contenir en creux le problème à travailler, c’est-à-dire que la question de départ engage quasi-obligatoirement les élèves à se confronter au problème visé sans que celui-ci soit clairement explicité et ait, à ce moment le statut de problème. faits idées assertorique apodictique Dédoublement idées/faits Dédoublement assertorique/apodictique Situation de départ

Figure 1-5. La situation de départ

C’est à partir72 de cette explication spontanée, qui peut fournir de façon syncrétique des idées et des faits, que pourra s’opérer les deux dédoublements décrits. Ces dédoublements n’ont pas lieu naturellement, ni facilement : « il faut

pourtant en arriver à critiquer la culture élémentaire. On entre alors dans le règne de la culture scientifique difficile » (Bachelard, 1953/2000, p. 213). Ils n’auront lieu

que si les élèves peuvent s’engager dans une critique des explications spontanées. Cela nécessite que les élèves soient amenés à expliciter leur explication de départ et/ou à confronter plusieurs explications spontanées possibles.

À partir de là, il s’agit pour les élèves de procéder à une désyncrétisation de l’explicandum et de l’explicans. C’est le premier dédoublement qui fait intervenir des raisonnements dans le cadre d’une logique de la découverte. Les deux modes de raisonnement qui peuvent permettre de procéder à ce premier dédoublement sont, si l’on suit Meyer (1979), l’abduction et l’induction (figure. I-5). Par exemple, un élève, qui cherche à expliquer pourquoi tout l’organisme grandit à partir de ce que l’on mange, peut mettre en place un raisonnement analogique pour déterminer un mode de distribution des nutriments dans l’organisme et produire une explication par un système de tuyaux sanguins qui irriguent l’organisme ou encore un système de distribution par un circuit clôt avec une pompe. Nous sommes bien en présence de faits (les aliments entrent par la bouche, tout l’organisme grandit) et de deux idées qui mettent en relation ces faits (irrigation par des tuyaux sanguins, irrigation par circuit clos avec une pompe). On pourrait en rester là, mais aucun savoir scientifique n’aurait encore été produit puisque l’on reste dans le champ de l’assertorique.

C’est le second dédoublement qui permettra d’accéder à des principes de nécessité. Poursuivons sur notre exemple pour comprendre comment on peut accéder

72 Le « à partir de » tient ensemble l’expérience quotidienne des élèves (leur culture) et la tâche

proposée (avec les éléments qu’elle contient).

Explication spontanée des élèves : Explicans et explicandum sont présents de

façon syncrétique

Dispositif de départ : questions,

éléments dans le dispositif L’élève, ce qu’il est, ce qu’il sait…

à ces principes de nécessité. Nous avons, dans notre exemple, deux idées explicatives qui peuvent expliquer toutes les deux que tout l’organisme grandit à partir de ce que l’on mange : on a construit une alternative qui pourrait être mise à l’épreuve, on peut attendre le temps de l’expérience, mais on peut également poursuivre l’enquête (au sens de Dewey). De nouvelles inférences peuvent être faites, des faits nouveaux peuvent être recherchés. Il convient de souligner qu’il ne s’agit pas d’une investigation empirique au hasard, les inférences sont dirigées ou contrôlées par un système (Dewey, 1967/1993, p. 177), cela correspond à ce que nous avons appelé jusque-là le contexte problématique. Ainsi, si l’élève sait que le sang n’est pas un aliment consommé par les muscles, mais plutôt un transporteur, alors il peut mener l’inférence suivante : comme les muscles n’explosent pas et que le sang n’est pas consommé, cela signifie que le sang ne s’accumule pas dans les muscles, il doit donc circuler. La circulation du sang n’est plus une idée comme une autre, elle devient nécessaire et c’est bien l’enquête qui lui donne son caractère de nécessité.

Mais on pourrait envisager un autre processus. À partir de la première idée explicative, celle de l’irrigation par des tuyaux sanguins, on pourrait poursuivre l’enquête et se rendre compte de son impossibilité (sur la base de certains principes, de certains présupposés qui constituent le contexte problématique, en relation, pourquoi pas avec certains faits convoqués à l’occasion) : cela peut alors donner lieu à la recherche de nouvelles idées explicatives qui, si elles sont en adéquation avec les faits accumulés, pourraient acquérir, dans le cadre de cette enquête, un caractère nécessaire.

Le second dédoublement provoque une « ré-organisation du savoir » et constitue le sujet en rationalité en lui permettant d’accéder à « des principes de nécessité » (Bachelard, 1949/1998, p.11). Il permet le passage d’une connaissance commune à un savoir scientifique dans la mesure où le savoir a acquis une valeur d’apodicticité73. Les faits ou idées à partir desquels sont construits les raisonnements ont bien un statut assertorique puisqu’ils ne sont pas discutés dans leurs fondements, mais comme ils sont utilisés dans un raisonnement, ils s’inscrivent dans un mouvement apodictique74.

Ainsi dans la recherche d’une explication scientifique, il n’y a pas qu’un parcours possible, il y en a plusieurs (la figure 1-6 représente les deux parcours que nous venons de décrire, mais il pourrait y en avoir d’autres), mais il y a des passages

73 Même si Dewey est un philosophe pragmatique, le processus de l’enquête chez Dewey « obéit à un

double critère, pragmatique et rationnel. Il ne suffit pas que “cela marche”, encore faut-il savoir pourquoi (1967/1993, p. 176, 345, 347) » (Fabre, 2005).

74 C’est un sens spécifique du terme assertorique que nous mobilisons ici, puisque même si la

proposition en elle-même est assertorique, c’est dans un mouvement apodictique qu’elle est assertée.

obligés : désyncrétisation des faits et des idées explicatives et accès à des principes de nécessité. La figure 1-6 représente les différents trajets possibles dans ce processus de problématisation.

Figure 1-6. Deux enquêtes possibles pour expliquer la distribution des

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