• Aucun résultat trouvé

LANGAGIÈRE

Chapitre 2. PROBLÉMATISATION EN SCIENCES ET ACTIVITÉ

LANGAGIÈRE ____________________________________________________ 87 Introduction _________________________________________________________88 1. Explication et mise en texte du savoir : le langage au laboratoire___92

1.1. Place et fonction de l’activité langagière dans l’activité scientifique___________________ 92 1.2. Communication informelle et recherche d’explication ____________________________ 97 1.3. Communication formelle et justification de l’explication : la mise en texte du savoir ____ 99 1.4. Conclusion _____________________________________________________________ 102

2. Quelle conception du langage pour rendre compte du versant

langagier de l’activité scientifique ? __________________________________104

2.1. Les pratiques langagières de la communauté scientifique sont constitutives des savoirs scientifiques________________________________________________________________ 105 2.2. Une conception dialogique du langage _______________________________________ 107 2.3. Les pratiques langagières s’inscrivent dans des genres de discours différents _________ 111 2.4. Conclusion _____________________________________________________________ 113

3. Conséquence : langage et apprentissages scientifiques ____________121

3.1. Langage et activités scientifiques dans une séquence de classe ordinaire _____________ 122 3.2. Langage et apprentissages scientifiques à la lumière de la théorie vygotskienne des

apprentissages scolaires ______________________________________________________ 125 3.3. Conclusion : la question de la transposition didactique___________________________ 136

4. Des outils langagiers pour analyser le processus de problématisation _____________________________________________________________________141

4.1. Des outils pour analyser le travail langagier de construction d’une explication au cours des débats scientifiques en classe __________________________________________________ 142 4.2. Des outils pour analyser l’articulation des argumentations produites par les élèves et la construction des raisons ______________________________________________________ 143 4.3. Des outils pour analyser les arguments produits par les élèves ____________________ 144

Introduction

Jusqu’à présent, alors que nous cherchons à comprendre comment et à quelles conditions les élèves, au cours de débats scientifiques, construisent des explications en sciences de la vie, à travers le processus de problématisation, nous nous sommes principalement intéressé à la dimension épistémologique de l’activité scientifique, en particulier dans le cadre de la production d’explications. Comme chaque champ de savoir, chaque nouvelle forme de rationalité ne peut être dissociée de l’existence d’une communauté de spécialistes1 qui assure la production de ce savoir et son contrôle, il convient de nous interroger sur le contexte social dans lequel se développe l’activité scientifique et en particulier sur ce qui spécifie cette communauté scientifique.

Fleck (1935), comme nous l’avons indiqué dans le premier chapitre (section 3.1.), est l’un des premiers à appliquer la sociologie à la science qu’il considère comme une activité intellectuelle comme les autres.

Bachelard fait également référence à la dimension sociale des savoirs scientifiques lorsqu’il expose, sans la développer, l’idée d’une « cité scientifique » « établie en

marge de la cité sociale, (…) [qui] doit lutter contre une psychologie pour créer son non-psychologisme » (1949/1998, p. 23). Il accorde une place importante au « contrôle social » comme fondement de l’objectivité scientifique : « nous proposons de fonder l’objectivité sur le comportement d’autrui » (1938/1993, p. 241) et ajoute

plus loin que « la précision discursive et sociale fait éclater les insuffisances

intuitives et personnelles » (ibid., p. 242). Ainsi, suivant toujours Bachelard, « pour mettre un savoir au clair, il faut le désensacher, il faut l’étaler, il faut le partager avec autrui, il faut le discuter sur le plan de la représentation relationnelle à deux dimensions » (1949/1998, p. 61).

Kuhn (1983) met également en avant le rôle important de la communauté scientifique dans l’activité scientifique et modifie de ce fait « la représentation qu’on

se fait de la science, en articulant les aspects cognitifs et sociaux de la recherche »

(Matalon, 1996, p. 66-67). Le rôle de la communauté scientifique, selon Kuhn (1983), est d’assurer la garantie du paradigme dans lequel la recherche scientifique

1 « Philosophes, géomètres, médecins, géographes; leurs activités se développent à l’intérieur de la

sphère publique. Les groupes qui se constituent forment un milieu de savoir, des écoles avec des orientations, des disciples autour d’un maître parfois mais toujours ouverts à l’échange des informations, des écrits ou des théories des autres, s’entraînant à l’argumentation, aux procès de démonstration, pratiquant la critique, celle qui permet un savoir cumulatif, la vérification des connaissances » (Détienne, 1992).

se développe, la résistance du paradigme « garantit que les scientifiques ne seront

pas dérangés sans raison » (ibid., p. 99). Si trop d’anomalies apparaissent à

l’intérieur d’un paradigme, la crise devient inéluctable et conduit à une révolution scientifique. Il décrit comment la conversion des scientifiques au nouveau paradigme peut se faire : comme les paradigmes sont incommensurables, ce n’est pas avec des preuves (ibid., p. 204 et 299) que l’on peut emporter l’adhésion de la communauté scientifique2. La preuve logique n’étant pas efficace pour convertir les scientifiques au nouveau paradigme, il s’agira de les convaincre. Kuhn indique enfin que

« l’existence même de la science dépend du fait que le pouvoir de choisir entre les paradigmes est remis aux membres d’une communauté spéciale » (ibid., p. 229). Il

ne faudrait pas croire pour autant que la science est uniquement un fait social, mais plutôt, pour suivre Bachelard (1971), que l’objectivation du savoir scientifique a une double dimension naturelle et sociale et que l’on ne peut le limiter à l’une ou l’autre de ses dimensions3. Ainsi Pestre précise que « les savoirs scientifiques sont produits

toujours par des humains […]. La question de connaître dans quelle proportion les savoirs scientifiques sont déterminés par “la nature” d’une part, par “l’humain qui en donne une représentation” de l’autre […] est souvent tenue […] pour indécidable

en généralité » (1998, p. 103).

Pour comprendre ce qui rend possible le développement du savoir scientifique, il convient de noter, à la suite de Goody, que c’est le passage de sociétés de tradition orale à des sociétés de tradition écrite qui permet l’apparition et le développement des pratiques scientifiques (Goody & Watt, 1963 ; Goody, 1979)4. En effet, l’apparition de l’écriture permet, d’une part une conservation, leur accumulation, leur comparaison, le développement du retour critique sur ces savoirs et, d’autre part, leur transformation : « les changements du mode de communication (ont un rôle) dans le

changement des structures et des processus cognitifs, dans l’accroissement du savoir

2 Sur ce thème, les positions de Kuhn et de Popper diffèrent. Popper (le Popper de la Logique de la

découverte scientifique et de Conjecture et réfutation) développe une conception falsificationniste où une expérience, observation peut uniquement invalider une théorie. Pour Kuhn, falsification et vérification ne sont que les deux faces d’une même pièce.

3 « Devant le réel le plus complexe, si nous étions livrés à nous-même, c’est du côté du pittoresque, du

pouvoir évocateur que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre représentation. Par contre si nous étions livrés tout entier à la société, c’est du côté du général, de l’utile, du convenu, que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre convention » (Bachelard, 1971, p. 15).

4 Goody rappelle que l’écriture n’est pas la seule cause de l’apparition des activités scientifiques : « la

structure sociale qui est à l’arrière plan des actes de communication est souvent de première importance. Néanmoins, ce n’est pas par hasard si les étapes décisives du développement de ce que nous appelons maintenant “science” ont à chaque fois suivi l’introduction d’un changement capital dans la technique des communications : l’écriture en Babylonie, l’alphabet en Grèce ancienne, l’imprimerie en Europe occidentale » (1979/2007, p. 107).

et des capacités qu’ont les hommes à le stocker et à l’enrichir » (Goody, 1979/2007,

p. 86). Le tableau 2-1 dresse un comparatif des sociétés de tradition orale et de tradition écrite.

Tableau 2-1. Le savoir dans les sociétés de tradition orale et de tradition

Outline

Documents relatifs