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L’objectif de cette recherche a été de mener une réflexion sur les implications d’une activité médiatisée de construction de contours mélodiques dans le processus d’enseignement-apprentissage du solfège. Pour ce faire, notre problématique s’articule autour des perspectives suivantes :

a) La dimension technique de la notation musicale et son évolution historique au fur et à mesure que se précisaient les besoins des musiciens.

b) Les pratiques didactiques dans l’enseignement-apprentissage du solfège et l’ensemble de savoirs qui le composent. Nous avons également observé que la position centrale occupée par le solfège dans la formation des musicien/ne/s est liée au fait que savoir lire et écrire la musique constitue un signe de distinction sociale.

c) L’évolution de la musique et de l’éducation musicale au XXe siècle et ses influences de cette évolution sur la manière d’enseigner et d’apprendre la notation musicale.

d) Les possibilités offertes par les technologies numériques étant le moteur de cette recherche, nous avons voulu proposer un support numérique aux cours de solfège dont la conception serait soumise à l’éclairage des dimensions traitées dans les points précédents : sa place dans un contexte historique de la notation, l’apport qu’il représente pour la didactique du solfège et enfin, par quels moyens techniques possibles afin d’incarner les considérations théoriques.

Tout d’abord, nous avons entamé une recherche sur les origines de la notation musicale jusqu’à son expression actuelle sous forme de notes sur portée de cinq lignes. Une étude sommaire du contexte social et historique de cette évolution a montré que la partition écrite avec des notes sur portée de cinq lignes est un système d’écriture produit et perfectionné à travers les siècles. Le système de Guido D’Arezzo apparaît comme un tournant dans la manière de noter la musique. Cependant, ce système ne s’est consolidé que quatre siècles plus tard, lorsque les musiciens éprouvaient le besoin de représenter de manière précise les subtilités de la polyphonie (Beaugé, 2001; Bosseur, 2005; Dennery, 1983), ce qui indique que les différentes notations musicales sont étroitement liées aux pratiques musicales dont elles sont le

registre. En outre, les changements dans la pratique musicale entraînent, ou consolident, une certaine représentation graphique de la musique. Parallèlement, on a vu que le développement du système de notation sur portée a fonctionné comme un rétro alimentateur du développement de la musique tonale, notamment en ce qui concerne l’évolution vers la polyphonie. En effet, le développement de la polyphonie va de paire avec l’affinement de la notation. Les systèmes à plusieurs portées, par exemple, ont donné un support inestimable à l’invention des trames polyphoniques (Bosseur, 2005; Duchez, 1983).

Aujourd’hui, la notation de notes sur portées reste irremplaçable lorsqu’il s’agit de lire et d’écrire de la musique tonale ou atonale. Cependant, bien qu’il ne s’agisse que d’une technique censée apporter une solution aux questions liées à la portabilité des œuvres à travers l’espace et à travers les temps, les notations finissent par se confondre indûment avec des constituants de la musique tels que l’instrument musical, les sonorités en général et le rythme. Ce que nous avons voulu montrer est que dans le contexte plus large de l’activité musicale, la partition des notes sur portée, comme toute autre notation musicale, n’a qu’un « rôle ancillaire » (Nattiez, 1999) pour la musique, ce n’est que le support écrit, le messager. Le rappel de faits historiques nous le confirme. Cela ne réduit pas le rôle de la partition, mais opère une redéfinition en termes plus fonctionnels que musicaux.

Dans le chapitre 3 consacré au solfège, l’un des thèmes centraux de notre recherche (à côté du dispositif LOCREAM), nous avons voulu montrer le caractère technique du solfège, discipline qui vise à développer les capacités à écrire et à lire la notation musicale sur portée, et les influences des représentations que le milieu social fait de cette discipline. En effet, dans les pays francophones et/ou sous influence de la culture française, le solfège a été érigé, au fil des années, en discipline centrale de la formation des musiciens. Nous avons vu que le processus menant le solfège à cette position centrale est constitué à la fois de faits musicaux et sociaux, et de raisons institutionnelles.

Sur le plan musical, le développement du répertoire tonal est dû en partie à la notation sur portée (Apel, 1998; Bosseur, 2005) créant ainsi le besoin d’intégrer dans la formation des musiciens l’enseignement-apprentissage des symboles de cette notation et une routine intense d’exercices de lecture et d’écriture. La capacité à lire et

à écrire la musique devient alors le socle incontournable pour jouer et analyser les œuvres écrites avec cette notation. Cela étant, la synthèse établie par Roch-Fijalkow (Roch-Fijalkow, 2007) montre que les fondements du solfège visent principalement l’entrainement d’identification/notation et l’exécution d’une pièce à partir des symboles de la notation. Parmi ces fondements, nous n’avons identifié qu’un seul élément traitant du langage musical tonal : les «notions d’accompagnement » qui dépendent étroitement du savoir identifier « des phrases et des formes » (Roch-Fijalkow, 2007, p.

260 cité dans le chapitre 3.4). Or, partant du principe que la musique, par sa structure, peut être assimilée au langage, nous pensons que les unités de sens, représentées dans ce travail par les segments mélodiques, doivent être intégrées dans l’enseignement-apprentissage de la notation musicale. La compréhension des relations entre les divers éléments de la construction musicale, soit en termes d’analyse motivique (le thème, les phrases, les cadences, etc.), soit en termes de segmentation du contour mélodique (notion proposée dans ce travail), contribuera de manière significative à initier les élèves la notion du sens (Grabócz, 2009; Meeùs, 1992; Nattiez, 2004) dès le début de leur formation.

En élargissant notre champ d’observation en dehors du savoir-faire musical proprement dit, nous avons voulu enquêter sur les influences sociales présentes dans l’activité musicale et leurs implications pédagogiques. En effet, la partition donne des indications sur la manière de jouer une pièce à travers des symboles représentant des hauteurs et des valeurs rythmiques. C’est la mémoire, les traces écrites d’une pièce musicale qui, au fil du temps, est devenue un symbole qui représente la musique, une représentation socialement construite (Meeùs, 1991). Par conséquent, le solfège, discipline directement liée à l’usage de la partition, a hérité de ce glissement symbolique : du rôle technique au rôle de représentation de la musique (Bosseur, 2005). La place du solfège dans la formation des musiciens a été surdimensionnée au point qu’apprendre le solfège a été considéré comme apprendre la musique. Le nom de la méthode de solfège de B. Wilhem du début du XIXe siècle, « Manuel de Musique » (Agosti-Gherban, 2000, p. 112), illustre bien cette observation. Si d’une part il est clair que savoir lire et écrire dans le système de notes sur portée est indispensable dans la formation des musiciens voulant travailler avec la musique notée dans ce système (Fulminet & Sprogis, 1987 cité par (Guichard, 2009, p. 6), on a, d’autre part, attribué au solfège l’image d‘une discipline difficile, accessible

seulement aux « doués ». Légitimée par cette représentation, la discipline a souvent joué le rôle de sélecteur, tant sur le plan institutionnel (Guirard, 1998) que sur le plan de la distinction sociale (Bourdieu & Passeron, 1970; Guirard, 1998). Sur le plan institutionnel, en accordant ou pas une place d’apprenant de musique lorsque la relation entre le candidat et le nombre de places disponibles imposait un critère de sélection (3.2.2); et sur le plan de la distinction sociale en servant de marqueur pour distinguer le musicien savant du musicien intuitif (Bourdieu, 1979) allant même jusqu’à désigner une appartenance à une classe sociale (Channouf et al., 2005).

À notre avis, une des conséquences didactiques de l’influence exercée par les représentations sociales sur l’enseignement-apprentissage du solfège est que les savoirs traités par cette discipline sont restés les mêmes malgré les avancées faites dans d’autres domaines. Avancées qui seraient susceptibles de contribuer à l’élargissement du champ traité par le solfège. Par exemple, la question du sens a été posée, voici un siècle, dans l’enseignement-apprentissage des langues (4.6.6). Dans l’enseignement de la musique, alors que l’art est souvent assimilé à un langage, cette question n’a pas été traitée et le solfège se limite encore aujourd’hui à l’apprentissage des symboles et à l’entraînement du déchiffrage comme on le voit dans les manuels étudiés par Roch-Fijalkow. Pourtant, la sémiologie de la musique (Nattiez, 2004;

Tarasti et al., 2006) ainsi que les travaux qui tentent de rapprocher la musique des théories du langage ont à notre avis produit assez d’éléments susceptibles de devenir des savoirs à apprendre dans le solfège. Par exemple, on aurait pu utiliser la notion de grouping (Jackendoff & Lerdahl, 2006, p. 37) pour travailler les groupes de notes et leurs jeux de significations dans la structure où ils se retrouvent (I. Deliège, 1987;

Jackendoff & Lerdahl, 2006; Lerdahl & Jackendoff, 1981).

Le fait que d’un côté les savoirs à apprendre du solfège montrent peu l’influence d’autres champs disciplinaires ayant des points communs, comme celui de la lecture en langues, et que d’un autre côté, les représentations sociales, exercent une influence souvent injustifiée sur la discipline, nous a menés, dans le chapitre 4, à vouloir observer les influences des sciences de l’éducation sur l’éducation musicale.

Ainsi, nous avons vu apparaître Jacques-Dalcroze comme un pionnier de la mise en place de préceptes de l’éducation, en l’occurrence l’éducation nouvelle (Berchtold, 2000), dans l’enseignement-apprentissage de la musique. La mise en activité de l’élève est pour lui un principe pédagogique et une conséquence de l’idée de placer

l’élève au centre du processus (Jacques-Dalcroze, 1919). En effet, dans la pédagogie proposée par Jacques-Dalcroze, le corps tout entier devient un canal d’expression et d’apprentissage musical (Jacques-Dalcroze, 1919). En plus de l’importance accordée à la corporalité, il propose que la création musicale, en forme d’improvisation, devienne aussi un moyen d’apprentissage.

Nous avons vu également l’importance d’autres pionniers de la nouvelle éducation musicale : Jacques-Dalcroze, Carl Orff et Zoltán Kodaly (Chosky, 1998; Comeau, 1989). Les propositions de Carl Orff, quelques années après celles de Jacques-Dalcroze, mettent également l’accent sur l’improvisation et sur la corporalité (Orff, 1963). Cependant, tandis que les propositions de Carl Orff ont comme base principale ses expériences, Jacques-Dalcroze construit sa méthode à la lumière d’un cadre théorique représenté par l’éducation nouvelle et la psychologie. Kodaly reste dans un registre plus technique en ce qui concerne l’enseignement et l’apprentissage de la notation musicale. Les caractéristiques principales de son approche consistent à utiliser le chant populaire en tant que matériel didactique et l’approche du solfège par hauteurs relatives, le « do mobile » (Chosky, 1998).

Les pédagogues de la fin du XXe siècle, notamment John Paynter, Keith Swanwick, Mauray Schaffer et François Delalande (Delalande et al., 1984; Paynter & Aston, 1970; Schafer, 1986; Swanwick, 1999) s’inspirent de ces pionniers, mais en attribuant une place essentielle à la question de la créativité dans le processus d’enseignement-apprentissage de la musique. Ces pédagogues se retrouvent dans le courant éveil-créativité et se sont beaucoup inspirés des nouvelles approches de la musique proposées par les mouvements musicaux du XXe siècle (chapitre 4.5).

À partir des idées qui ont vu le jour au cours du XXe siècle tant sur la musique que sur l’éducation musicale, nous nous sommes intéressés à l’émergence dans les années 1960 de la didactique théorique et ses notions fondamentales telles que la transposition didactique, le milieu et le contrat didactique (Brousseau, 1988;

Chevallard, 1991). Ensuite, nous avons tenté le rapprochement entre ces notions et les pratiques d’enseignement-apprentissage du solfège dans les institutions d’éducation musicale selon le bilan dressé par Roch-Fijalkow (Roch-Fijalkow, 2007, 2009). Le résultat est une liste de 12 fondements de la discipline, tels qu’ils

apparaissent dans les manuels, en les considérant comme des savoirs à apprendre de la discipline solfège (Beaugé, 2001, 2004)

La perspective pluridisciplinaire nous a donné de la matière pour la construction de notre problématique dont nous ferons un rappel détaillé dans la prochaine section de cette conclusion.

Cette contextualisation de la discipline du solfège nous a amené à la conception et au développement du dispositif LOCREAM, fondé sur les principes des environnements informatiques pour l’apprentissage humain – EIAH (Lando, 2006; Tchounikine, 2009), notamment l’approche pluridisciplinaire qui nous a permis de contextualiser le solfège dans une dynamique où interagissent des facteurs musicaux, éducationnels et sociaux. La conception a été élaborée autour de deux axes, le premier concerne le contenu musical et l’objectif d’apprentissage visé par le dispositif ; et le deuxième le type d’activité que LOCREAM propose aux élèves/utilisateurs. Le contenu que nous avons choisi est lié à la question du sens mélodique, un aspect qui a émergé de nos observations sur la didactique du solfège, telle qu’elle nous est présentée dans les manuels (Roch-Fijalkow, 2002a, 2007). Pour opérationnaliser cette question, nous avons proposé une représentation des segments de contours mélodiques par des lignes brisées. Avec l’ensemble des lignes brisées, qui représentent les divers types de segments de contours mélodiques, nous avons conçu une activité visant la construction de contours mélodiques à partir des segments mis à disposition dans LOCREAM. Le dispositif a ainsi pris la forme d’un environnement informatique permettant aux élèves de créer des mélodies en agençant, selon leur intention musicale, des fragments de contours mélodiques.

Dans le chapitre 7, nous présentons l’expérience menée auprès de deux classes de 3e année d’initiation au solfège ayant pour but :

i. de vérifier si les élèves comprenaient facilement l’activité proposée par le dispositif et les manipulations nécessaires pour la réaliser ;

ii. d’identifier les difficultés rencontrées par les élèves au cours de l’utilisation du dispositif ;

iii. d’enquêter sur le plaisir des élèves à réaliser l’activité ;

iv. de vérifier si, après l’activité avec LOCREAM, les élèves ont amélioré leurs performances dans les dictées traditionnelles ;

v. de vérifier si, après l’activité avec LOCREAM, les élèves ont amélioré leurs performances dans les dictées des segments de contours mélodiques.