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4. L'éducation musicale au XXe siècle

4.6 La didactique du solfège et le sens musical

4.6.2 La didactique du solfège à l’aune du champ des didactiques

Malgré l’évolution connue par les didactiques des sciences, l’enseignement-apprentissage du solfège n’a pas été remis en question. En effet, la collection d’objets à apprendre du solfège est la même depuis au moins 150 ans24(Laroche, 1860; Roch-Fijalkow, 2002a)25. Nous aimerions, à l’instar des didacticiens des sciences, introduire la question de l’enseignement-apprentissage du solfège d’un point de vue disciplinaire. A notre avis, l’actualisation des fondements didactiques du solfège passe par un dialogue avec les théories et concepts de la didactique (Bronckart & Plazaola Giger, 1998; Chevallard, 1986) développés à partir des années 1960.

24 Par unités didactiques on entend les notes, les intervalles, les valeurs rythmiques prisent comme des savoirs à apprendre.

25 Le plus ancien manuel en français que nous avons pu trouver.

En effet, des études consacrées à la didactique des mathématiques ou des sciences (Brousseau, 1998; Pellaud & Giordan, 2008) montrent que ces domaines ont été, comme le solfège, touchés par des représentations sociales plus ou moins marquées.

D’un côté les sciences dites « dures» sont considérées, a priori, comme des disciplines difficiles à apprendre et, par conséquent, les apprenants qui parviennent à les maîtriser se distinguent au sein de leur groupe social. En cela aussi, les sciences dures subissent le même poids symbolique que le solfège, à la différence que cette question de la charge symbolique a été soulevée déjà dans les années 1960 (Sarremejane, 2001). Ces interrogations ont contribué à la naissance de théories censées aider les enseignants à comprendre les enjeux de l’enseignement-apprentissage de leurs disciplines. En 1975, Verret développe le concept de transposition didactique, autrement dit, la notion de transformation des objets en objets à enseigner (Bronckart & Plazaola Giger, 1998; Chevallard, 1986; Verret, 1975). Cela constitue le tournant décisif vers le développement d’une théorie didactique (Bronckart & Plazaola Giger, 1998). Mais en quoi finalement la didactique traditionnelle se distingue-t-elle de la théorie didactique ?

Selon Houssaye,

« La didactique traditionnelle, qui s’inscrit dans le processus « enseigner », part d’une logique des contenus, car son objectif est de transmettre la connaissance ou le message dont l’adulte est le détenteur » (Houssaye, 1992, p. 185 [1988])

Les contenus auxquels Houssaye fait référence sont ceux que les détenteurs d’une certaine connaissance ont définis comme étant des savoirs à apprendre. En mathématiques, par exemple, les racines carrées, cubiques, etc. ont été définies comme des savoirs à enseigner/apprendre ; elles deviennent alors un contenu didactique de la discipline. En solfège, les gammes forment également une unité de contenu didactique. En effet, l’élève sera évalué par sa capacité à les chanter et à les reconnaître, mais il est rare, dans la vie d’un musicien, de devoir reconnaître une gamme à plusieurs reprises tout comme il est rare que les gammes soient utilisées en tant que telles dans les pièces de musique tonales. Par contre, il s’agit d’un système organisé en fonction des rapports d’attraction entre les différentes fonctions tonales (tonique, dominante et sous-dominante) et le musicien devant faire de la musique tonale doit traiter différemment chaque type de rapport fonctionnel. Les changements

d’intensité, par exemple, sont souvent construits selon ces rapports fonctionnels. Elles sont donc le savoir derrière la gamme.

Pour contraster la notion de didactique traditionnelle évoquée par Houssaye, nous proposons les suggestions de Morf pour les recherches en vue d’une théorie didactique (Morf, 1994). Au lieu de se concentrer sur la manière de transmettre les contenus existants ou sur les méthodes d’enseignement, la théorie didactique adopte comme objet central « les connaissances observables » (Morf, 1994, p. 33).

Autrement dit, les connaissances relevant « d’un système cognitif qui peut être un sujet individuel, un groupe, une culture (...)» (idem). Morf adopte la notion de connaissance comme étant « un rapport particulier entre un sujet et un objet » (idem, p.29). Il considère également que la théorie didactique doit rendre compte de « la transformation de ces connaissances (lors de l’interaction avec les conditions extérieures ou entre elles) » (idem, p. 33). Nous traduisons cette deuxième suggestion de Morf comme étant l’identification des actions (ou des interactions dans le cas des objets conceptuels) du sujet sur cet objet avec lequel il entretient ce rapport particulier, l’identification du savoir savant. Une fois identifiés, ces savoirs vont passer par des processus de transformation visant l’action didactique. Ils deviennent alors des savoirs à apprendre et à enseigner.

L’informatique musicale, héritage des expériences musicales du XXe siècle, est un exemple typique d’un savoir transformé en contenu didactique. L’utilisation de claviers MIDI, en passant par les logiciels d’édition de partitions jusqu’à l’échantillonnage de sons d’instruments musicaux (les samplers) l'édition, montre combien les technologies disponibles pour la musique sont nombreuses et présentes dans la vie des musiciens (Cain, 2004). Par conséquent, l’éducation musicale a dû intégrer ces nouveaux savoirs dans la grille de disciplines destinées à former le musicien. Cette intégration a fait l’objet des traitements didactiques, inspirés par la didactique musicale. Telle ou telle technologie sera utilisée selon la discipline dont il est question. Par exemple, un échantillonneur sera utilisé différemment suivant qu’il soit introduit dans un cours d’acoustique ou de composition musicale, donc l’enseignement-apprentissage de cet outil sera fonction des nécessités de ces disciplines. Les objets d’apprentissage en seront différents. Pour un éditeur de partition, les objets d’apprentissage de l’écriture mélodique ne seront pas les mêmes que ceux de l’écriture harmonique. Nous pouvons y reconnaître un enchaînement d’étapes se déployant comme suit : le développement

d’une connaissance par des spécialistes, sa transformation en savoir social par la communauté d’utilisateurs de cette connaissance, et enfin l’élaboration des objets et séquences didactiques pour en faciliter l’appropriation par les apprenants.