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4. L'éducation musicale au XXe siècle

4.6 La didactique du solfège et le sens musical

4.6.3 Champ pédagogique et champ didactique

Mais comment différencier le champ didactique du champ pédagogique ? Nous adopterons comme point de départ la formule « pratique pédagogique », utilisée par Morf (op.cit., p. 29) lorsqu’il est question d’observer la mise en œuvre d’une notion pédagogique. Cette action pédagogique est, pour Houssaye,

« [...] un système d’échanges instable, à enjeu. Ce dernier n’est pas acquis d’avance : on peut gagner ou perdre. Qu’est-ce qui fait que l’on obtienne un résultat ou l’autre ? La façon de connaître et utiliser les règles du jeu. » (Houssaye, 1992 [1988], p. 39).

Figure 10 Triangle pédagogique Houssaye. Le cercle représente le contexte institutionnel (Houssaye, 1992 [1988], p. 233)

Houssaye indique ainsi sa préoccupation d’identifier la dynamique des rapports et les attitudes à attendre des acteurs du système, selon que l’on modifie la qualité de ces rapports. Il insiste sur la composante de jeu présente dans cette dynamique, un jeu qui se réalise fondamentalement à travers la communication entre les acteurs et entre ces derniers et le savoir scolaire. Il s’agit d’une dynamique intersubjective.

Plus tard, chez Brousseau (2000), le triangle pédagogique proposé par Houssaye (Houssaye, 1992[1988]) devient triangle didactique :

Figure 11 Le triangle didactique (Brousseau, 2000, p. 6)

Dans le triangle didactique proposé par Brousseau (Figure 11), la première différence que l’on relève est que le « professeur » et l’institution ne forment qu’un même pôle : le « système éducatif ». Brousseau, tout en gardant le modèle triangulaire, en change l’éclairage, mettant en avant la communication d’informations entre l’institution (incarnée par l’enseignant) et l’élève, et introduit une nouvelle forme d’action : la transposition didactique, une action dont l’élève est le destinataire final du résultat.

L’objet résultant de la transposition didactique devient alors objet à enseigner puis objet à apprendre, le contenu de la communication entre élève et enseignant.

En juxtaposant le triangle pédagogique de Houssaye et son dérivatif didactique proposé par Brousseau, l’on peut dire que la pédagogie s’occupe fondamentalement de la qualité des rapports entre les acteurs impliqués dans une formation, ainsi que les conséquences sur le processus d’enseignement-apprentissage. Au contraire, le triangle didactique met en avant le traitement donné à l’information, à l’objet d’enseignement-apprentissage.

Tout en gardant la structure triangulaire, Brousseau propose de suivre l’analyse du scénario enseignement-apprentissage avec une nouvelle configuration des pôles :

Figure 12 Le triangle de l'apprentissage psychogénétique (idem)

Dans le modèle représenté dans la Figure 12, Brousseau remplace le savoir par la notion de connaissances, l’élève par le concept de sujet apprenant et ne met plus en relation le milieu social et les connaissances. En effet, ce modèle veut mettre en évidence les aspects psycho génétiques, en référence aux théories de Piaget. L’élève est l’individu qui vient à une institution (système éducatif incarné en l’occurrence par l’enseignant) pour être inséré dans un groupe d’autres élèves et recevoir un enseignement à l’aide d’une certaine logistique, d’outils et autre matériel, constituant le milieu didactique. Mais, dans l’expérience didactique, cet individu mobilise ses facultés physiques et psychiques pour apprendre. Il est l’un des acteurs de cette expérience, il est le sujet apprenant.

Ensuite, Brousseau introduit un nouvel élément : la notion de milieu. Si d’un côté les deux premiers éléments sont remplacés par une autre approche plus conceptuelle, mais qui garde un lien fort avec les instances initiales (élève/sujet apprenant et savoirs/connaissances), d’un autre côté, la notion de milieu (milieu matériel, milieu social, etc.) désigne non seulement le processus d’adaptation de l’élève à l’environnement physique où l’apprentissage a lieu, mais aussi les moyens matériels d’appui au processus (y compris les moyens numériques) et l’environnement social de sa formation.

En outre, Brousseau indique que cette situation comporte des « phénomènes d’apprentissage » (Brousseau, 2000, p. 7) qui ne sont pas pris en compte dans son propre triangle didactique, notamment les expériences personnelles (J. Piaget, 1969), le rôle des stimuli (Skinner, 1938) et le rôle du milieu socioculturel (Vygotsky, 1934).

Par conséquent, il propose un troisième scénario d’enseignement-apprentissage, un schéma quadripolaire à six facteurs.

Figure 13 L'hexagone didactique (idem)

Dans l’hexagone didactique proposé par Brousseau (Figure 13), l’aspect connaissances/savoir scolaire est désigné comme le pôle 1 et l’aspect environnemental milieu, matériel, social représente le pôle 2. Le pôle 3 désigne l’élève comme sujet apprenant et le pôle 4 le système éducatif. L’hexagone ainsi représenté, permet une visualisation des relations observées dans les processus didactiques ainsi que les notions socioculturelles identifiées à chaque élément de cette relation. A la fin, si tout se passe bien, un certificat d’acquisition d’un certain nombre de connaissances (qui forment le savoir scolaire) sera décerné à l’élève qui redevient alors l’élément institutionnel du scénario.

Cet hexagone propose une synthèse des aspects liés au processus d’enseignement-apprentissage (la didactique), avec des aspects que nous considérons plutôt liés à la pédagogie et à la cognition.

Pour consolider nos observations sur les différences entre le champ didactique et le champ pédagogique, nous proposons de considérer le modèle systémique d’Altet (2001, p.42).

Figure 14 Le modèle systémique d'Altet (Rézeau, 2001, p. 42)

Dans le modèle systémique d’Altet (Altet, 2003), les cinq principaux éléments sont l’apprenant, l’enseignant, le savoir, la situation d’enseignement-apprentissage et la finalité. Les interactions entre ces éléments forment une dynamique de régulation qui, selon Altet, est de « l’ordre du flux, de l’énergie et du temps » (Altet, 2003 cité par Rézeau, 2001, p. 42).

« Il nous apparaît que la diversité des éléments qui composent ce système complexe qu’est la situation d’enseignement-apprentissage, ainsi que les interactions fortes qui lient ces éléments entre eux, rendent l’approche systémique particulièrement appropriée à l’étude d’un tel système. » (Rézeau, 2001, p. 43)

Trois aspects du modèle de Altet ressortent de manière plus marquée par rapport aux précédents : une délimitation explicite du champ de la pédagogie et du champ de la didactique, la situation d’enseignement-apprentissage comme un des composants du modèle, et composant et l’absorption de l’institution par la figure de l’enseignant, la fusion des rôles élève et sujet apprenant dans la figure unique de l’apprenant.

Dans la partie supérieure du modèle se situe la communication entre l’élève et l’enseignant ainsi que toute la dynamique déjà traitée dans le triangle pédagogique.

Cela constitue le champ de la pédagogie. La partie inférieure du modèle abrite le savoir et les relations qu’élèves et enseignants établissent avec cet élément. La finalité de la situation didactique justifie toutes les interactions et détermine les savoirs à apprendre.

La juxtaposition de ces approches est, à notre avis, susceptible de contribuer à l’identification des aspects qui distinguent pédagogie et didactique et nous permet de

délimiter suffisamment le champ de la didactique pour introduire les théories qui le constituent.