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4. L'éducation musicale au XXe siècle

4.6 La didactique du solfège et le sens musical

4.6.4 Les concepts fondamentaux du champ de la didactique

Les concepts de la didactique générale font souvent l’objet de discussions, comme l’on verra plus tard avec la question des savoirs de référence (Martinand, 2003).

Toutefois, ces concepts ainsi que les nouvelles approches de la didactique l’en ont permis d’aller au-delà de la succession cours magistral => contrôle d’acquis (Perrenoud, 1988b), ce qui en musique a favoriser l’apparition des innombrables manuels souvent très semblables les uns aux autres. La nouvelle didactique proposer un traitement des savoirs savants (Verret, 1975), à partir de fondements théoriques, afin que ces savoirs deviennent des savoirs à enseigner et à apprendre à l’aide des objets d’enseignement-apprentissage adéquats. Selon Perrenoud,

« Les didactiques nouvelles se caractérisent par :

a. L’accent mis sur l’élève, comme sujet actif de son apprentissage, plus que sur le maître dispensateur de savoirs.

b. L’insistance sur la construction progressive des connaissances et des savoir-faire [...] à travers des interactions sociales [...].

c. Une volonté de décloisonner les disciplines, de privilégier des compétences fonctionnelles et globales [...].

d. La volonté d’ouvrir l’école sur la vie, d’ancrer les apprentissages scolaires dans les expériences quotidiennes, le “ vécu ” des élèves.

e. Le respect de la diversité des personnalités et des cultures.

f. La valorisation de l’autonomie de l’enfant, du “ self-government ” du groupe-classe, du moins dans certaines limites.

g. Le prix attaché à la motivation intrinsèque, au plaisir, à l’envie de découvrir et de faire par opposition au jeu de la carotte et du bâton.

h. L’importance accordée aux aspects coopératifs du travail scolaire et du fonctionnement du groupe-classe [...].

i. l’importance donnée à l’éducation et au développement de la personne par opposition à une centration exclusive sur les savoirs ou les savoir-faire. » (Idem, p.11).

Le champ disciplinaire de la didactique est intimement lié à quatre aspects fondamentaux du traitement des savoirs: la transposition didactique, le milieu

didactique, le contrat didactique et la théorie des situations didactiques (Bessot, 2003;

Brousseau, 1980, 1988; Margolinas, 1992; Perrenoud, 1998). La notion de noosphère, (Perrenoud, 1988a, 1998), dont nous avons fait référence à la section 3.2 pour expliquer le rôle surdimensionné du solfège, permet une contextualisation socioculturelle du savoir et explique sa légitimation. Cela est, à notre avis, essentiel pour comprendre les injonctions sociales qui font qu’un savoir savant, ou une partie de ce savoir doit constituer un savoir à enseigner. Cependant, à l’instar de Terrien (Terrien, 2012), nous allons considérer la noosphère comme l’ensemble de forces externes entourant le processus, forces qui, comme suggère le schéma ci-dessous, ne font pas partie des opérations didactiques proprement dites :

Figure 15 Schéma de transposition didactique proposée par Develay (1992)

La transposition didactique (Verret, 1975)

Cette notion marque, selon Bronckart, le début du « mouvement de reconceptualisation de la didactique ». (Bronckart & Plazaola Giger, 1998, p. 35)

« Toute pratique d’enseignement d’un objet présuppose en effet la transformation préalable de son objet en objet d’enseignement. » (Verret, 1975 cité par Bronckart & Plazaola Giger, 1998, p. 35)

Verret identifie ainsi les cinq transformations (Perrenoud, 1998, p. 490; Verret, 1975, p. 140) qui constituent le processus de transposition didactique:

La dépersonnalisation, qui consiste à détacher le savoir savant de toutes les croyances et les usages du groupe ou de l’individu qui a produit ce savoir, ou qui s’en sert ;

La desyncrétisation, procédure à travers laquelle on identifie les savoirs implicites, autrement dit les savoirs partiels qui constituent le savoir-objet de l’enseignement ;

La décontextualisation désigne la suppression des faits et des raisons à l’origine de ce savoir. En somme, on le détache des motivations externes ;

La publicité du savoir fait référence à la nécessité, reconnue par le groupe social, d’instruire ou de s’instruire sur quelque chose. La publicité est forcément accompagnée d’un contrôle social des acquisitions ;

La programmabilité considère les étapes d’enseignement-apprentissage d’un savoir selon les savoirs intermédiaires qui le constituent.

La théorie des situations didactiques

Cette notion a été développée par Guy Brousseau dans le cadre de l’enseignement-apprentissage des mathématiques. Cette théorie

« modélise les conditions sous lesquelles les êtres humains produisent, communiquent et apprennent les connaissances que nous considérons comme mathématiques » (Brousseau, 2011, p. 2).

Ces principes deviennent peu à peu généralisables et la notion de situation didactique est affinée, devenant alors

« un système de conditions qui ne conduisent le sujet à l’adoption directe des comportements déterminés que par l’intervention du professeur, que l’élève en aperçoive ou non la nécessité [...] » (Brousseau, 2011, p. 2)

Deux situations dérivent immédiatement de la situation didactique : la situation de dévolution et la situation adidactique. La situation de dévolution est celle où l’apprenant prend la responsabilité de résoudre un problème dont l’enseignant considère qu’il/elle est censé/e connaître les outils (conceptuels ou autres) menant à une solution. Cette situation présuppose un certain contrôle de la part de l’enseignant qui, en principe, a dû travailler en classe avec les outils nécessaires considérant également que les conditions générales de son élève lui permettront de résoudre le problème.

La situation adidactique est une situation proposée par l’enseignant mais sans qu’il n’intervienne en tant que facilitateur de la tâche à accomplir par l’apprenant. Le but est de voir apparaître chez l’apprenant les connaissances travaillées auparavant dans les situations didactiques (Brousseau, 2011). La dévolution est un terme utilisé par Brousseau pour désigner la proposition de la situation adidactique pour part de l’enseignant et son acceptation pour part de l’apprenant.

Deux notions émergent de la situation didactique : le milieu didactique et le contrat didactique.

Le milieu didactique

Selon Brousseau, le milieu didactique désigne

« L’ensemble de conditions extérieures [jouant un rôle important] dans la détermination des connaissances que le sujet [...] doit développer pour contrôler une situation d’action. » (Brousseau, 1988, p. 310)

Tandis que la noosphère identifie la valeur culturelle d’une connaissance et son importance en tant que connaissance à être multipliée, le milieu didactique est « une modélisation de la partie de l’univers à laquelle se réfèrent la connaissance en jeu et les interactions qu’elle détermine » (Brousseau, 1988, p. 321). En tant que modèle, le milieu, inspiré par les conditions réelles d’application d’un savoir, est censé reproduire en totalité ou en partie les enjeux issus des situations réelles. En termes de processus d’enseignement, le milieu désigne un environnement dans lequel l’enseignant a suffisamment de contrôle et met à contribution son expertise (sa relation particulière avec un savoir donné) pour aider l’apprenant à s’approprier le savoir en question.

L’apprenant doit à son tour entrer dans un système donné, un jeu, selon le texte de Brousseau (op.cit. p. 316) et, à l’aide des moyens dont il dispose, faire passer ce système d’un état à l’autre. Autrement dit, il utilisera les moyens (outils ou concepts) à sa portée pour résoudre une situation donnée.

Ce même environnement (ou système) constitue, selon Brousseau, un jeu différent pour chacun des deux partenaires (apprenant, enseignant), car ils ont chacun un rapport particulier avec le savoir en question. Ce rapport est modélisé comme un sous-système de type {X,J,It} :

26

Figure 16 Modèle général d'interaction(Brousseau, 1988, p. 313)

Dans une modélisation étendue à l’ensemble de la situation didactique, Brousseau introduit le facteur communication comme étant déterminant dans la dynamique {élève, enseignant, connaissance} dont on verra les effets dans le chapitre consacré à l’expérience avec l’artefact utilisé pour cette thèse.

26 L’interaction dépend du temps (t).

Pour l’apprenant, le choix des moyens peut être le résultat de connaissances déjà acquises ou des indications données par l’enseignant au moment de l’action.

Brousseau propose alors deux types d’actions que l’apprenant peut entreprendre : - par une stratégie préalablement appliquée, apprise spontanément ou

enseignée au joueur ;

- par improvisation hasardeuse ou comme résultat d’une réflexion à partir

« d’information extérieure contemporaine de la décision » (idem, p. 314).

Pour illustrer cette modélisation dans le cadre d’un exercice musical, nous en proposons un exemple :

En connaissant la sonorité de l’intervalle mélodique de tierce majeure, l’apprenant doit remplir les lacunes de cette mélodie avec des intervalles de tierce majeure. Dès qu’il se déclare prêt, l’apprenant sera appelé à chanter toute la séquence mélodique.

Figure 17 Exemple de milieu pour l’enseignement-apprentissage de la notation musicale, cet exercice27 consiste à remplir les lacunes des deux premières mesures

Dans les termes proposés par Brousseau, la Figure 17 montre l’état initial d’un système sur lequel l’élève doit agir en introduisant des éléments précis. Cet élément sera choisi en fonction des informations fournies par le système dans son état initial :

1. Les notes de l’intervalle devant être utilisé seront écrites dans la clef de sol, 2. L’intervalle doit être présent dans les tonalités de sol majeur ou de mi mineur, 3. Les valeurs rythmiques ne peuvent pas dépasser la longueur d’une blanche.

Puis il utilisera des connaissances acquises dans d’autres circonstances (le souvenir d’une mélodie, par exemple) ou fournies par l’enseignant au moment même des actions.

Dans le chapitre qui traitera de l’artefact, nous introduirons d’autres notions liées au milieu didactique, notamment la notion de système antagoniste et de la situation comme une partie cachée des savoirs en jeu.

Le contrat didactique

Le contrat didactique, tel que le propose Brousseau, est la co-construction des règles d’interactions entre l’enseignant et l’élève visant à l’acquisition du savoir par le second.

27 ©M.Aristides, 2014.

En effet, de la notion de milieu, abordée précédemment, il ressort une forte influence de l’épistémologie piagétienne notamment avec les références au jeu (J. Piaget, 1969). Toutefois, une étude de terrain, centrée sur la situation et la construction des savoirs, (Brousseau, 2011, p.4), mène Brousseau à constater que le constructivisme radical est une théorie contradictoire, car

« [...] elle conduit à se limiter localement à des enseignements formels dont le sens incontrôlé crée des obstacles qui à terme conduisent à des échecs [...].

L’idée séduisante des « socles » qui pourraient être acquis définitivement, indépendamment de leur sens et des usages qui en seraient faits ultérieurement, relève de la même erreur. (Brousseau, 2011, p. 4)28

L’idée d’établir un contrat visant à formaliser les situations et les relations d’enseignement-apprentissage est inspirée du contrat pédagogique proposé par

« Jeanine Filloux prolongeant le contrat social de Rousseau » (Brousseau, 2000, p.

18). En fait, il s’agit d’un paradigme visant à analyser les relations entre la société, les élèves, les enseignants et « les obligations réciproques les uns envers les autres » (Brousseau, 2000, p. 23). Cependant, l’acte d’enseigner ne pouvait pas, selon Brousseau, être l’objet d’un contrat sans se heurter à certaines contradictions :

« [...] le professeur ne peut pas formuler à l'avance ce que l'élève aura à faire dans un problème, sans lui enlever par là même la possibilité de manifester ou d'acquérir la connaissance correspondante. [...] De sorte que la relation didactique ne peut pas donner lieu formellement à contrat ; les clauses ne peuvent pas être écrites ; les sanctions en cas de rupture ne peuvent pas être prévues etc. Pourtant, l'illusion qu'il y a contrat est indispensable pour que la relation s'engage et, a l'occasion, réussisse.»(Idem)

La notion de contrat didactique vise alors à formaliser les interactions entre les acteurs du triangle didactique (apprenant, enseignant, savoir) de manière à établir les limites d’actuation de l’enseignant, tout en maintenant le recentrage des expériences sur la situation particulière de cette relation pour permettre ainsi la construction du savoir.