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2- La symbolique de la caverne :

Du pourrissement au mythe

II- 2- La symbolique de la caverne :

Caverne, grotte, tanière, gouffre, repaire, trou et autre, tout ce qui se rapporte au monde obscur a toujours hanté l’esprit humain. La profondeur, l’obscurité et les sons étranges de ces lieux exceptionnels forment un mystère qui inspire à la fois terreur, curiosité et superstition. Ces lieux généralement non domestiques, et sur lesquels les hommes ont une emprise réduite, ont une symbolique universelle. Défiant toutes les frontières, les croyances et les religions, la caverne s’ouvre à une pluralité interprétative.

De la Grèce antique à l’Extrême-Orient, la symbolique de la caverne s’alimente de la présence de l’homme dans un univers défini mais qu’il ne connait pas. L’ignorance de cet univers est dictée par un amalgame de sentiments, de croyances et d’obstacles dus à l’existence. En face d’une énigme quelconque, l’homme teste toutes les possibilités pouvant la résoudre. Cet acte est semblable à l’emprunt du labyrinthe, chemin réel ou symbolique menant à la caverne.

Ce voyage de l’homme ou de l’esprit le soumet aux innombrables épreuves. Celles-ci ne sont en réalité que des étapes purificatrices. Dans ce

monde souterrain, l’homme prend conscience de sa nature, de ses désirs et de ses rêves. Il renaît, s’initie et se purifie. Ainsi la caverne symbolise-t-elle la naissance, plus précisément une renaissance et une initiation.1 C’est dans ce lieu que l’homme se débarrasse des préjugés, des craintes et du moi-troublant, exigeant et exagérant. Ce même lieu ouvre à l’homme de nouvelles pistes de réalités ou tout simplement, il lui permet une remise en cause de toutes les réalités auxquelles il a cru auparavant.

Conduit par d’autres enthousiasmes, l’homme explore les entrailles de la terre. Il songe se rapprocher de la nature mais cet objectif est loin d’être son objectif majeur. « La caverne est considérée comme un gigantesque

réceptacle d’énergie. Elle condense des forces telluriques et non point célestes2». L’accès à cette force n’est permis qu’en franchissant la porte du

monde souterrain « la caverne ».

De là, cette excavation souterraine se revêt d’un aspect mystérieux qui se consolide par la forme même de la caverne. La forme d’œuf ou circulaire et la forme d’un ventre évoquent l’image d’une terre régénératrice. Sa pénétration souterraine, l’enroulement de ses couloirs et la circularité de sa forme nous renvoient à l’image du cœur. A ces deux images, ajoutons celles de la purification et de la renaissance pour aboutir à une caverne représentant la matrice universelle.

Symbolique à la fois de la porte des enfers et du centre du monde,3 la grotte permet à l’être humain de conquérir son immortalité car elle fait de la mort une transformation nécessaire, sans devenir un anéantissement. La caverne est un monde intermédiaire entre la vie et la mort. Elle est ainsi en communication très étroite entre les morts et les vivants, les dieux et les hommes. Ce qui explique le fait qu’elle soit un lieu de vie des chamans et un lieu de pratiques de sorcelleries.

Le caractère central de la caverne fait de son accès un retour à l’origine. Une légende turque très frappante par son contenu relate que : « Aux confins

de la Chine, sur la montagne noire, les eaux inondent une grotte et y entraînent de la glaise, qui remplit une fosse de forme humaine. La grotte sert de moule et, au bout de neuf mois, sous l’effet de la chaleur solaire, le modèle

1 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Op.Cit,1982, p.180.

2 Ibid. p.181.

Chapitre III : Du pourrissement au mythe

acquiert la vie : c’est le premier homme, nommé Ay-Atam, (mon père-Lune). Durant quarante ans cet homme vit seul ; alors une nouvelle inondation donne naissance à un deuxième être humain. Cette fois la cuisson n’est pas complète ; l’être imparfait est une femme. De leur union naissent quarante enfants qui se marient entre eux et engendrent. …Ay-Atam et sa femme meurent. Leur fils aîné les enterre dans la fosse de la grotte, espérant ainsi leur rendre vie1».

L’entrée dans la caverne est donc une montée au ciel et une sortie du cosmos, un lieu de passage de la terre vers le ciel et du ciel vers la terre, où ce dernier n’est qu’une descente aux enfers.

Face à cette multiplicité symbolique de la caverne, se dresse une autre interprétation qui n’est pas moins importante. La caverne est symbole de l’inconscient et de ses dangers.2 L’antre de Trophonius est pris pour le symbole le plus parfait de l’inconscient : « Trophonius, roi d’une petite

province et illustre architecte, construisit avec son frère, Agamède, le temple d’Apollon à Delphes. Le roi Hyriens les ayant ensuite chargés de construire un édifice pour ses trésors, ils ouvrirent un passage secret pour voler ses richesses, s’en étant aperçu, Hyriens tendit un piège et Agamède fut pris. Ne pouvant le dégager et ne voulant pas être reconnu par les traits du visage de son frère, Trophonius lui trancha la tête pour l’emporter avec lui. Mais il fut aussitôt englouti dans les entrailles de la terre ».3

Ainsi, Trophonius voulait nier la réalité. Cependant, celle-ci demeure enfouie dans ses entrailles et cette situation s’applique sur toutes les personnes qui renient des réalités pour étouffer en elles un sentiment de culpabilité. Ce sentiment continue à vivre en ces personnes et à les tourmenter jusqu’au jour où elles acceptent de ramener ces réalités à la lumière du jour, de les sortir de la caverne et de les assumer. Il s’agit d’une symbolique à visée psychanalytique expliquant et exploitant le moi intérieur refoulé dans les profondeurs de l’inconscient.

Sur un autre plan et plus loin de la psychanalyse et ses propos si complexes, la caverne symbolise un lieu de refuge, de repos, d’inspiration et de trésors cachés.

1 Ibid. p.183.

2 Ibid. p.181.

Cette excavation souterraine s’offre à un exercice d’interprétation des plus riches. Elle symbolise le féminin, l’utérin, le maternel, l’inconscient, l’énigme, l’infranchissable, la crainte mais aussi la naissance, l’origine, la purification, l’initiation, l’immortalité…

La caverne s’ouvre à une multitude symbolique qui demeure inépuisable. Preuve à l’appui, une autre dimension symbolique complètement différente de ce que nous avons déjà mentionné, s’invite sur notre parcours : L’élévation de l’âme vers les dieux. Cette idée inscrit la caverne dans une symbolique religieuse. Deux religions parmi tant d’autre furent marquées par le mythe de la caverne. «Les sept dormants d’Ephèse » de la tradition chrétienne et « Les gens de la caverne » ou « Les Ahl al-Kahf » de l’Islam sont les protagonistes d’une même histoire (à quelques détails près). Celle-ci évoque le périple de jeunes hommes (au nombre de sept pour les chrétiens et de trois – cinq ou sept accompagnés d’un chien, pour les musulmans) qui étaient contraints de se réfugier dans une caverne afin de fuir des persécutions religieuses. Les réfugiés ont sombré dans un sommeil qui a duré 309 ans lunaires selon le Coran pour être ensuite ressuscités.

Loin de prétendre à un rapprochement entre les deux histoires, nous nous invitons dans un nouveau monde symbolique de la caverne. La décision de joindre ce lieu pour fuir l’oppression lui procure une symbolique de l’exil et une image salvatrice. Cet aspect symbolique nous projette encore vers d’autres cavernes ou plus particulièrement grottes. Celle où le prophète Mohammed et son compagnon Abu Bakr se sont réfugiés consolide l’idée salvatrice.

Toutefois, la portée symbolique, excessivement riche de la caverne, ne se limite pas à cet aspect. Elle s’étend à d’autres aspects devant lesquels l’esprit humain demeure à la fois confiant et sceptique.

La caverne représente un lieu de révélation « La grotte de Hîra » où a eu lieu la révélation coranique puis, l’éternelle jeunesse de l’amour divin ainsi que la fidélité de l’amant envers l’aimé au-delà de toute temporalité. Ce monde souterrain évoque aussi le motif de l’exil et la nécessité de quitter le monde terrestre : mourir en soi-même pour accomplir ensuite une renaissance spirituelle.

Chapitre III : Du pourrissement au mythe

Cette caverne symbolise aussi une miséricorde éternelle, gardant vivante toute personne se réfugiant en elle et, le sommeil qui permet de manifester à l’être humain certaines vérités spirituelles. Ainsi, la conscience profonde éveille en cet être ce que le réveil est incapable d’éveiller.

Parmi la diversité symbolique de la caverne, nous avons repéré ce qui est universel car chaque ère, chaque civilisation et croyance détient une grande part de vérité sur la caverne. Cependant la réalité est enfouie dans les entrailles de ce qui n’est qu’une concordance entre l’imaginaire et la réalité.