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Le miroir entre ténèbres et lumière :

Du miroir au mythe

V- Le miroir entre ténèbres et lumière :

En nous faisant réfléchir sur la lumière qui se fond dans celle du paradis et sur celle des ténèbres qui fait partie dominante de l’enfer, le miroir a captivé notre attention dans ce roman. Il est à la fois présent dans les deux mondes mais il assure une fonction différente entre eux. Dans le paradis, rappelons-le, le miroir est la corruption qui a permis au vieux d’accéder au monde lumineux. Dans les ténèbres, le miroir brisé et remis au fkih est la cause du châtiment.

Depuis que le vieux a volé le miroir au marchand et l’a tué, il n’a pas cessé de cracher crapauds et serpents par la bouche. La malédiction l’a jeté aux enfers. Quant au paradis, une autre face interpelle le voleur : il y est entouré de lumière et de beauté.

La phase séparant la disparition de la lumière et le jaillissement des ténèbres a toujours soulevé un questionnement sur l’orientation de la lumière au moment où apparaissent les ténèbres. Cette étape est bien élucidée dans l’écrit de l’auteur marocain.

Au cœur des ténèbres, le vieux aperçoit le fkih dans une situation catastrophique. Il subit toutes les souffrances du monde infernal. Une rencontre a lieu entre les deux personnages et une querelle s’ensuit. Le vieux traite le fkih d’ignorant. Aussitôt le mot prononcé, les menaces du vieillard surgissent : « Et bien ! Puisque tu me traites d’ignorant, je vais te conduire là

où tu réclameras forcément mon assistance. Tu ne t’en tireras pas comme ça1».

Le paysage est différent de celui du paradis et de l’enfer. Il s’agit d’une immensité lourde d’une lumière blafarde et dorée. Des horizons fauves s’incrustant dans une terre dressée vers le ciel comme des milliards de griffes sanglantes.

Le vieux ne ressent aucune crainte, contrairement à ce qu’il a éprouvé lors de ses deux voyages précédents. La destinée de ce troisième voyage est expliquée par le supervieux : « Allons bon ! Je te mène là où jamais homme

n’a été. Non pas en enfer, non plus au paradis, mais dans une texture différente1».

Entre les ténèbres et la lumière et dans ce lieu intermédiaire, les deux hommes sont entouré non pas par des monstres mais par des miroirs dont le rôle est étrange : « Partout […] des miroirs leur renvoyant leur chétive et

triste image, ridée et crottée, chargée d’insignifiance2».

L’image reflétée par ces miroirs est horrible au point que les deux vieux tentent de pleurer. L’une des houris essaye de les rajeunir mais rien ne se passe : « Ils restèrent aussi vieux, séniles et ridés qu’ils étaient3».

Loin d’évoquer les miroirs magiques qui déforment le reflet et vont même jusqu’à refléter l’inexistant, les miroirs exposant l’horreur des vieux sont des miroirs révélateurs des crimes, des actes et des âmes obscures.

Ces objets réfléchissants ont accentué la laideur et la vieillesse du voleur et du fkih. Ils ont révélé une image autre que la réalité existante, mais qui devrait apparaitre.

Contradiction ou contribution, cette image du miroir est identique à celle d’Hadès. Si cet objet attire la lumière, la reflète, la fait jaillir en pleine obscurité et même au paradis, il l’introduit dans les ténèbres et même aux enfers.

A son tour Hadès, Dieu des enfers, frère de Zeus et de Poséidon, gouverne sans pitié les âmes des morts. Après leur avoir infligé la mort en leur envoyant Thanatos, Hadès règne sur l’enfer en ayant un trône au fond de cet horrible endroit et en tuant quelqu’un qui devient un sceptre qui l’aide à diriger son royaume et à dicter la loi de la mort à la terre.

Une face lumineuse d’Hadès rejoint cette face de terreur. Le dieu des ténèbres est aussi appelé « Pluton4» qui signifie le « Dispensateur de richesses5». Il est invoqué par les agriculteurs. Hadès possède une double attribution, celle de la mort et de la vie. Ce qui lui donne un statut ambigu et

1Ibid. pp.35-36.

2Ibid. p.41.

3Ibid. p.41.

4Félix Guirand et Joël Schmidt, 2009. p.556.

Chapitre IV : Du miroir au mythe

contradictoire car ce qui est source de la vie, ne pourrait en aucun cas être source de la mort.

Le miroir ayant deux faces, l’une est considérée comme bénéfique, alors que l’autre est considérée comme maléfique. Cette image rejoint la vision de Platon. Celui-ci a initié une réflexion fondée sur la relation miroir-âme, tout en partant d’une symbolisation. La face obscure du miroir correspond à celle de l’âme ignorante, maléfique et obscure. La face lumineuse, quant à elle, reflète l’âme purifiée de tous les maux. Donc, l’âme expose son aspect ayant rapport avec le bien, la lumière, la bonté et la beauté et enfouit son aspect maléfique, diabolique et obscur. Pour le philosophe grec, une seule issue permettra à l’âme de se débarrasser de l’obscurité : le savoir, sur lequel nous reviendrons ultérieurement.

Le miroir, objet énigmatique par excellence, ne cesse de nous révéler ses secrets. L’image des deux vieux, dans « l’entre paradis et enfer », reflétée par le miroir, est particulière. Nous assistons, non pas à une réflexion neutre, mais à une contribution volontaire de la part du miroir dans l’opération.

La pensée de Platon s’invite à ce niveau du roman. Les miroirs du paradis sont censés être très polis, purs et transmettant un reflet d’une très grande exactitude. Cependant, nous nous retrouvons devant une réflexion dépassant ces données et donnant lieu à d’autres possibilités.

L’image laide et horrible des vieux est incorruptible. Il s’agit bel et bien de la laideur et de l’horreur de leurs âmes. Le miroir paradisiaque sélectionne, trie et purifie l’image et la restitue dans sa réalité. De là, l’exactitude attendue de ces miroirs réside dans la réalité absolue de l’image reflétée.

D’une lumière formant la face réfléchissante, à une obscurité constituant le revers ténébreux du miroir, l’image de l’âme est créée, purifiée ou horrifiée. Entre la lumière et les ténèbres, l’objet mystérieux intervient pour exposer une vie et changer le destin d’un voleur-tueur qui n’a pas cessé de subir des tourments et des châtiments depuis le jour où il a décidé de se regarder dans le miroir et de revoir sa vie et faire défiler ses souvenirs. Est-ce que le fait de revenir en arrière ou de se mirer peut nous infliger un tel châtiment ? Où réside le secret, dans le désir, dans le regard ou dans le retour ?

VI-Orphée au miroir