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2- L’homme et le cycle construction destruction/ (re) construction

Sisyphe dans « il était une fois un vieux couple heureux »

V- 2- L’homme et le cycle construction destruction/ (re) construction

Sisyphe n’est en réalité qu’une image représentative d’une nature enfouie dans les entrailles de la race humaine. L’acte prémédité et non réfléchi du roi de Corinthe lui valut la vie et lui infligea une cruelle sanction. Cette cruauté dépendait de la gravité de l’acte commis. Satisfaire sa passion fut pour lui une priorité. Avoir une source perpétuelle pour sa belle citadelle n’avait pas de prix à ses yeux.

Dans la même perspective, les villageois, dans Il était une fois un vieux

couple heureux voulaient goûter à la modernité, phénomène étranger à leur

environnement, à n’importe quel prix. Et, tout ce qui reflétait le développement était désiré. L’étrangeté d’un phénomène lui confère un aspect d’interdiction, et tout interdit déclenche un vouloir. La nature humaine et la Genèse ne sont que des preuves de ce désir. Adam, premier homme créé par Dieu fut chassé avec son épouse Eve, du paradis parce qu’il avait désiré l’interdit.

L’égoïsme, l’insatisfaction, le désir, la passion, tout cela est humain. L’homme veut, désire et aspire mais, il peut aussi tout détruire. En réalisant un souhait, l’homme fait exister, à titre de réalité concrète, ce qui n’existait

que dans son esprit. Ainsi passe-t-il à l’acte de construction. Il bâtit, améliore et essaye de perfectionner. Le perfectionnement sera le piège dans lequel il se trouve enfermé. L’idée de parfaire est démesurée chez l’être humain. Il s’agit d’un processus qui, une fois déclenché, ne pourra jamais être interrompu. A ce moment-là, tout ce qui a été construit, sera voué à la destruction.

L’ambition illimitée, l’égoïsme et la curiosité seront alors des éléments annonciateurs de l’anéantissement de toute construction réalisée. Et, comme l’homme ne peut pas échapper à sa nature, il va redémarrer à nouveau le même processus : repartir de son point de départ et se réconcilier avec ses rêves et ses souhaits. Il va renouer une relation solide avec ses caprices et sa soif de connaître les secrets des choses.

L’image des habitants du village est un stéréotype de la tripartition : construction, destruction, reconstruction. Les plus âgés, parmi ces habitants, se rappelaient une époque où régnait la misère. Subvenir aux moindres besoins, faisait partie de l’impossible. La faim menaçait tout le monde et n’épargnait ni vieux, ni enfants. Bouchaïb, en se rappelant son passé, évoquait l’image de son époque : « Les grandes misères de l’époque, la famine, les

épidémies, l’anéantissement collectif1».

Il dresse un tableau de toutes les contraintes subies et les conséquences qui en résultent : « Tous les malheurs s’abattent sur ces pauvres gens en

même temps. Les familles se disloquent, les maladies minent la population, on

erre sans but, on mendie, on perd toute dignité humaine2».

Les gens avaient souffert. Ils voulaient un changement et y aspiraient. Les années passèrent, ces gens arrivèrent à construire des maisons : « Ces

maisons de pierre sèche, bâties sur le flanc du roc à quelques mètres

seulement au-dessus de la vallée3».

Ils travaillèrent la terre et purent vivre dans une certaine sérénité : « La

vallée vivait au rythme des saisons du labeur des hommes qui ne négligeaient

pas la moindre parcelle de terre pour assurer leur subsistance »4 . La pierre

sèche a beau séduire l’homme, il s’en lasse rapidement. Posséder mieux est un droit légitime aux yeux des villageois, surtout que la modernité a soufflé fort,

1 Mohamed Khaïr-Eddine, Op.cit. 2002. p. 30

2 Ibid. p. 30

3 Ibid. p. 07

Chapitre II : Sisyphe dans « il était une fois un vieux couple heureux »

pour leur dire qu’ils ont tort : il existe mieux encore. Dans les bras du modernisme, vous marcherez sur de l’or.

L’avidité des habitants à connaître la modernité et pouvoir y toucher, est un désir que nul ne peut freiner et un objectif que nul ne peut nier : « La

première maison de béton apparut près du cimetière … Les premières automobiles firent aussi leur apparition. L’ancienne piste fut prolongée de

quelques kilomètres1».

Sur un autre plan, les pompes à eau, les postes de radio, les ustensiles en inox firent leur apparition. Plus émouvant encore que tout ce qui s’est introduit dans la vie des villageois ou ce qu’ils ont réalisé : « De nouveaux

édifices poussaient dans la vallée : villas somptueuses, palais et complexes ultramodernes copies conformes des bâtiments riches et ostentatoires des

grandes mégapoles du Nord2».

Cependant, d’autres évènements passèrent inaperçus aux yeux de ceux qui se sont acharnés sur tout aspect de la modernité : « Les anciennes maisons

désertées commençaient à se ruiner. Une pierre tombait, une autre suivait, puis les murs cédaient sous le poids des poutres. Les maisons qui se trouvaient tout en haut du village furent les premières à subir les conséquences directes de cette modernité qui était entrée ici du jour au lendemain3».

La construction de nouveaux édifices a généré la destruction des anciens. C’est dans cette perspective que s’inscrit le cycle construction - destruction - reconstruction. Les nouvelles bâtisses furent plus confortables. Les habitants s’habituèrent peu à peu au confort et par la suite à la paresse.

Les troupeaux furent vendus. La minoterie substitua les bras des femmes à moudre le blé. La modernité s’infiltrait dans le village telles des toxines dans un corps humain. Rien ne peut l’arrêter, au contraire, elle fut la bienvenue. Tous s’accrochèrent à tout aspect nouveau et voulurent découvrir ce que le modernisme cachait. Mais, comme celui-ci avait plusieurs tours dans son sac, il en jouait un dernier à ces curieux villageois.

1 Ibid. p. 41.

2 Ibid. p. 07.

Ils oublièrent leurs métiers, leurs origines, leur terre et leur croyance et voulurent à tout prix goûter à tout : drogue, alcoolisme, prostitution, …etc. Les circonstances dans lesquelles les habitants se retrouvèrent aboutirent à un phénomène d’anéantissement sans limites : Les maisons somptueuses de jadis « ne sont plus qu’un triste amas de décombres, domaine incontesté des

reptiles, des arachnides, des rongeurs et des myriapodes1».

Des ruines, que des ruines ! Tout est détruit. Ne s’agit-il pas d’une passion démesurée et d’une curiosité illimitée ? Sisyphe est au fond de chacun de nous. L’absurdité de la situation reflète l’absurdité de l’égoïsme et de l’insatisfaction de l’être humain. Le cercle infernal dans lequel Sisyphe est introduit est identique à la vie humaine quand elle est basée sur les caprices, la curiosité et l’égoïsme. Sisyphe dans son retour évoque l’image de l’homme dans son va-et-vient entre création, dévastation et recréation.

Les villageois ont beau appliquer tous les rituels et les cérémonies consacrés aux nouveaux édifices, ils ne peuvent pas échapper au désastre. Ces rituels mensongers ne leur permettent pas de protéger leurs bâtisses. Un châtiment va à l’encontre de leur volonté démesurée de posséder mieux et plus. Demeurer dans une situation de supplice, pourrait-il éteindre le feu des maux chez l’être humain et allumer une étincelle de satiété dans son cœur ?