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mythe d’Arc en ciel, n’est absolument pas fortuite. Cela consolide d’une part l’aspect universel des mythes, mais, aussi, l’idée de la dispute du territoire d’écriture, de l’origine et de l’appartenance qui s’établit dans et entre les mythes investis par Mohamed Khaïr-Eddine. Une telle brèche s’élargit pour nous permettre d’entrer confortablement, dans un deuxième volet des mythes, grecs, qui se sont incrustés dans les textes de l’auteur d’Agadir.

III-3-2- Les mythes grecs :

Mohamed Khaïr-Eddine est né à Azrou’ado, cercle de Tafraout, dans l’Anti-Atlas. Une partie des plus berbérophones du Maroc. La maîtrise de la langue berbère est pour lui, une évidence, car, il s’agit de sa langue maternelle. Et, comme il est arrivé à faire des études secondaires, il maîtrise la langue du Coran et celle de Rabelais.1

Issu d’un pays berbère et plus exactement, d’un village Chleuh7, instruit dans la langue française, Khaïr-Eddine est situé au carrefour de deux cultures, pour n’en citer que deux. Il ne peut tourner le dos à aucune d’elles elles. Il s’est nourri, et, par la suite, il s’est servi du trésor enfoui dans les entrailles de ces cultures.

Si sa culture berbère lui a inspiré La Kahina, Taslit Ouaman, Hemmou Ounamir, Sidi Ahmed Oumoussa et bien d’autres qui n’ont pas été évoqués, sa culture française l’a doté de la mythologie européenne et a ouvert devant lui de grandes portes sur la mythologie gréco-romaine.

L’auteur de « Ce Maroc» a bien tendu l’oreille aux vieux mythes berbères. Il a fait revivre et a ressuscité un passé imprégné du mythique et marqué par le légendaire. Néanmoins, il a su fondre des mythes grecs avec sa création littéraire. Une image d’un amour fusionnel entre mythe et écriture est à apprécier tout au long de ses textes.

Agadir, le premier roman de Khaïr-Eddine, nous introduit aux secrets

enfouis de la mythologie grecque. La trame de cette œuvre est l’histoire d’un fonctionnaire ayant comme mission : enquêter auprès de la population de

1 Jacqueline Arnaud, « Une odeur de mantèque », Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, 1978, volume 25, N°25, pp.167-172.

Chapitre I : Les mythes, héritage colonial et / ou donnée culturelle

cette ville sinistrée, à la suite d’un tremblement de terre. Décrire l’état des lieux, regrouper les requêtes des habitants et assurer, par la suite, leur exode vers une autre ville, telles sont les tâches que l’envoyé spécial doit accomplir. Les rescapés de la catastrophe ne veulent pas quitter leur ville qui est, à en croire l’auteur, le berceau de leur civilisation et la matrice où se formera leur histoire.

La première lecture du roman nous offre une histoire sans troubles. Toutefois, une lecture approfondie nous permettra de comprendre qu’il s’agit d’une révolte contre tout : un pouvoir oppresseur, des croyances ancestrales et une société carcérale. Une lecture attentive nous mène directement au cœur de la cible ; des mythes sont réinvestis dans le texte. Le thème majeur du roman est le séisme. Toute une ville a été anéantie. L’auteur a voulu transmettre une image des plus fidèles de ce sinistre. Encore une fois sa culture riche et variée va subvenir à ses besoins : l’idée de la ville engloutie est la première à laquelle il devait penser.

Le tremblement de terre qui a frappé la ville d’Agadir fut d’une grande ampleur. Les conséquences qui en résultèrent furent catastrophiques. Il s’agit, selon l’auteur, d’un anéantissement : « La ville se réduit à de très vagues

édifices dignes d’un album d’archéologie 1». Ainsi, le mythe de l’Atlantide

sous-tend le roman. Platon inspire Khaïr-Eddine. Bâtir sur le vide fait partie de l’impossible, cependant, l’auteur du Déterreur, n’a pas bâti sur le vide. Il a entamé la réflexion sur le mythe de Platon, à partir du mythe de la ville berbère engloutie.

Légende et vie d’Agoun’Chich, le roman des retrouvailles avec les

origines, exhibe sa richesse en mythes grecs. Cités directement, adaptés ou incrustés, ces mythes accrochent l’attention, même d’un lecteur pressé. La licorne2, Pan3, Antilope4, Ulysse5, le mythe de la Genèse6 et autres sont forts présents.

En racontant la légende de Lahcène Oufoughine, Mohamed Khaïr-Eddine évoque le mythe de la ville périe :

1 Mohamed Khaïr-Eddine, Op.cit. 1967, p.13.

2 Mohamed Khaïr-Eddine, Op.cit. 1984, p.30.

3 Ibid. p.68.

4 Ibid. p.12.

5 Ibid. p.21.

« Il était une fois, un homme ayant une famille nombreuse et un immense troupeau de chèvres et de moutons. Il s’appelait Lahcène Oufoughine et avait échappé avec les siens et ses bêtes à un cataclysme tel qu’il n’y avait eu que très peu de semblables dans l’histoire. La légende situe son origine en un lieu appelé Tamdoult n’Ouqqa, ce qui signifie mer intérieure. Il devait s’agir sans doute d’un immense lac d’eau douce… C’était une contrée riche et populeuse qui avait atteint un degré certain de civilisation. On raconte encore de nos jours, que ce pays existe et que, au cours du grand cataclysme, les gens qui vivaient là ont été engloutis par le sol1».

D’Agadir à Tamdoult n’Ouqqa ou des deux villes à l’Atlantide, l’image est identique mais elle ne peut déjouer les infinies dissemblances. Tamdoult n’Ouqqa est le mythe représentatif de l’incrustation des mythes grecs dans les écrits de Khaïr-Eddine. Un passage relevé de Légende et vie d’Agoun’Chich montre l’équivalence tissée entre la légende relatée dans le roman et le mythe de l’Atlantide :

L’histoire, parfois subvertie par des émergences antagonistes et donc reconquise au profit de dynastes dominateurs, fait état d’une ville dénommée Tamdoult n’Ouqqa dans le sud marocain. Une ancienne ville avancée économiquement et peut être aussi culturellement. Elle devait être une capitale régionale, un lieu de transit aurifère ou même une puissance minière car il pouvait y avoir dans les environs des mines d’argent. Tamdoult n’Ouqqa était peut-être tout cela à la fois. On avait pu canaliser des eaux torrentielles ou souterraines et il n’est pas exclu qu’il y avait eu là un petit lac alimenté de sources vives. Tamdoult n’Ouqqa était par conséquent une cité florissante au milieu d’un désert de pierre. Un lieu de passage obligatoire. Par la suite, elle devint redoutable, si inquiétante même qu’on dut la détruire. De là sans doute l’origine de ce fameux cataclysme si vite confondu avec une guerre.2

1 Ibid. p.22.

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De l’autre côté de la Méditerranée, et vers 3551 avant notre ère, le

Timéeet le Critias fondent le mythe de l’Atlantide. Comme les autres œuvres

de Platon, les textes se présentent sous forme de dialogues entres plusieurs personnes : Socrate, Timée, Critias, Hermocrate,…. Un passage que nous avons relevé du Timée, nous livre une image de cette ville disparue :

Oui, Solon, il fut un temps, avant la plus grande destruction par les eaux, où la cité qui est aujourd’hui celle des Athéniens était, de toutes, la meilleure dans la guerre(…) En ce temps-là, on pouvait passer par cette mer. Elle avait une île, devant ce passage que vous appelez les Colonnes d’Hercule (…) Or, dans cette île Atlantide, des rois avaient formé un empire grand et merveilleux(…) Cette puissance, ayant une fois concentré toutes ses forces, entreprit en un seul élan d’asservir votre territoire et le nôtre et tous ceux qui se trouvent de ce côté-ci du détroit. C’est alors, ô Solon, que la puissance de votre cité fit éclater aux yeux de tout son héroïsme et son énergie. Car elle l’a emporté sur toutes les autres par la force d’âme et par l’art militaire(…) Mais dans le temps qui suivit, il y eut des tremblements de terre et des cataclysmes. Dans l’espace d’un seul jour et d’une nuit terrible, toute votre armée fut engloutie d’un seul coup sous la terre, et de même, l’île Atlantide s’abîma dans la mer et disparut. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, cet océan est difficile et inexplorable, par l’obstacle des fonds vaseux et très bas que l’île Atlantide s’abîma dans la mer et disparut.2

Si le Timée évoque la fin de l’île Atlante, le Critias fournit davantage de renseignements sur son histoire, son organisation et ses ressources. D’après le récit de Platon, la richesse minière de l’île Atlante était considérable. On y trouvait de l’or, mais on y fabriquait surtout de l’orichalque. Le sol était recouvert de forêts, qui fournissaient d’importantes quantités de bois. Bétail et gibier abondaient, ainsi que champs de céréales et vergers.

Une force militaire et une richesse incomparables. La ville est enviée. La conséquence de cette envie n’a pas tardé à se manifester ; un anéantissement absolu emporta cette ville dans ses plis sans clémence aucune.

1 C’est l’année durant laquelle Platon rédigeait le Timée suivi du Critias.

2 Platon, Le récit de l’Atlantide, « Le Timée » suivi du « Critias », traduction par Victor Cousin, version électronique : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Platon/Cousin/Timée.html.

L’image procurée par les récits de Platon nous livre un tableau identique à celui fourni par Khaïr-Eddine sur Tamdoult n’Ouqqa. Les lieux fabuleux ne sont pas si éloignés. Des guerres entre les Athéniens et les habitants de l’Afrique du nord sont signalées dans les récits du philosophe. Les ancêtres des Athéniens auraient repoussés des envahisseurs venus de l’ouest, depuis un vaste continent « plus grand que la Libye et l’Asie réunies 1» situé en face des

colonnes d’Hercule « nom antique du détroit de Gibraltar 2». Une conjugaison exceptionnelle d’un mythe grec dans l’espace narratif d’une littérature marocaine d’expression française est offerte.

L’imprégnation des textes de Khaïr-Eddine par les mythes grecs ne cesse de nous fournir des images insolites. De Légende et vie d’Agoun Chich à Résurrection des fleurs sauvages, une autre fusion particulière s’exhibe. La résurrection, ayant plusieurs origines mythiques, côtoie des fleurs sauvages. L’auteur du Déterreur nous livre un pan du mythe en expliquant que les fleurs sauvages ne sont que des asphodèles3, une espèce très largement répandue sur l'Afrique du Nord.

Dans un milieu extrême comme le désert, les plantes comme tout ce qui est vivant, adoptent des stratégies de survie. Ainsi, cette plante, aux feuilles-ressorts, s'arrange pour ne pas exposer à l'agressivité du soleil la totalité de la surface de ses feuilles. En mythologie Grecque : « le mythe de la résurrection

s’est développé surtout après l’apparition de l’orphisme »4.

L’existence du mythe est liée à Atys5. La version que nous allons proposer du mythe est celle donnée par Ovide, et qui stipule que :

Cybèle, qui se personnifie sous plusieurs noms : Mère des dieux, Grande déesse et Grande mère, conçut en effet pour Atys, jeune et beau berger de Phrygie, un amour violent mais platonique ; elle lui confia le soin de son culte, en lui donnant l’ordre de demeurer chaste. Mais Attis trahit sa promesse : il s’éprit de la nymphe Sagaritis et l’épousa. Irritée, Cybèle tua sa rivale et frappa de folie l’infortuné

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Mohamed Khaïr-Eddine a précisé dans un entretien parmi ceux réunis dans l’ouvrage intitulé Le Temps du

refus, précédemment cité que les fleurs dont il parlait sont des asphodèles, en précisant que ces fleurs se

trouvent surtout dans le désert.

4 Félix Guirand et Joël Schmidt, Op.cit. p.628.

Chapitre I : Les mythes, héritage colonial et / ou donnée culturelle

berger, qui, au cours d’une crise se mutila. Par la suite, la déesse repentante ressuscita Atys sous la forme d’un sapin ».1

Tel est le mythe de la résurrection chez les grecs, même si « ce mythe

(est dit) importé en Grèce et à Rome2» car Cybèle est en réalité « une divinité

de Phrygie (…) Elle est sans doute la plus grande divinité du

Proche-Orient3».asphodèles », lieu u séjournent les fantômes des morts...

Ce qui nous interpelle encore une fois, c’est la mise en relation entre une plante et sa résurrection. Si la résurrection est en elle-même un mythe universel, qu’en est-il de l’aspect mythique de cette fleur ?

Nous avons signalé antérieurement que cette fleur est un asphodèle. Bien qu’il s’agisse d’une belle fleur du désert, la catégorie de l’asphodèle parait avoir d’autres charmes à exhiber et d’autres secrets à dévoiler : « pour

les grecs et les romains, les asphodèles sont toujours liés à la mort »4. Ces plantes sont aussi appelées « fleurs des prairies infernales »5. Si elles sont liées à Hadès, elles le sont aussi avec Perséphone : « personnage mythique à

qui, il est permis de revenir provisoirement sur la terre »6. Ainsi, cette plante

revêt une symbolisation mythique diverse. Elle est la fleur des enfers, celle de la mort et de la résurrection.

Néanmoins, une autre lecture nous a menée à formuler des constats à propos de cette fleur mythique. En abordant le mythe de la résurrection, nous ne pouvons ignorer « Asclépios, le médecin, ou Circé, la magicienne qui

ressuscitent les morts, grâce à leur connaissance des plantes magiques

capables de vaincre la mort7».

D’autres mythes appartenant à d’autres cultures évoquent la résurrection et suggèrent l’existence de plantes aptes à faire renaître des âmes. Une légende lydienne nous montre le serpent-détenteur du secret de la vie, et, en conséquence capable de ressusciter les morts :

1 Ibid. p.629.

2 Petit Larousse des mythologies du monde, p. 517.

3 Ibid. p.517.

4 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Co-éd. Robert Laffont /Jupiter, Paris, 2008, p.808.

5 Ibid. p.807.

6 Petit Larousse des mythologies du monde, p. 520.

«Un serpent mordit un jour au visage Tylos, frère de Moria; il en mourut sur l’heure. Un géant, Damasen, appelé par Moria, écrasa le serpent. La femelle du serpent s’éloigna précipitamment vers un bois et en rapporta une herbe qu’elle mit sur les narines du monstre. Il revint aussitôt à la vie et s’enfuit avec elle. Moria, témoin de la scène, utilisa l’herbe et ressuscita son frère1».

Cette légende nous est d’un très grand intérêt. Elle consolide l’idée du ressourcement de cette fleur du champ de la résurrection. Ainsi, nous pouvons dire qu’un agencement entre les fleurs sauvages et la résurrection, ouvre de vastes perspectives sur un texte qui cultivait sa solitude et un mythe sa multiplicité.

Qu’ils soient européens, grecs ou berbères, les mythes sont présents dans l’œuvre de Mohamed Khaïr-Eddine. Une rencontre entre un texte littéraire et un mythe résultera des rapports complexes qui aboutiront à une liaison confuse. Sans être trop alarmistes, nous pouvons dès le départ signaler la complexité de la tâche car la manière dont se manifeste le mythe dans un écrit littéraire diffère d’un texte à l’autre et dans le même texte.