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3- La séduction par les mythes

Nul ne peut choisir son nom, ses parents ou ses origines. Renier ces derniers, c’est s’opposer à une évidence. Mohamed Khaïr-Eddine est un être doublement paradoxal. Bien qu’il déteste ses origines et ses parents selon ses dires, (si nous pouvons lui attribuer les propos mentionnés dans Moi l’aigre), il défend sa culture, sa langue et son identité. L’homme berbère est présent dans sa prose et dans sa poésie. Le berbérisme est omniprésent à travers son œuvre littéraire : les coutumes, les traditions, les rites, les rituels, les croyances et même les superstitions berbères y sont évoqués. Situé dans la périphérie d’une culture berbère et d’une littérature qui fait parler la culture française, l’auteur d’Agadir a déterré un élément culturel, pour faire renaître et par la suite revivre les deux cultures.

Le mythe, un aspect fondamental de la culture, est ciblé par Mohamed Khaïr-Eddine. Quelle que soit l’origine des mythes, ils sont fortement évoqués dans ses écrits. Et loin de prétendre, à ce stade de notre travail, à une approche exhaustive de cet aspect dans toute l’œuvre, nous précisons qu’il s’agit d’une lecture de quelques mythes incrustés dans les textes de l’auteur.

III-3-1- Les mythes berbères :

Puisés dans la culture berbère, les mythes que nous évoquerons sont les plus dominants dans l’œuvre de Mohamed Khaïr-Eddine. Ce n’est pas d’une

manière exhaustive qu’ils vont être cités : c’est leur radiation, dans les textes, qui nous a interpellés.

Le premier mythe est celui de la Kahina. Elle s’appelait « la Kahina, la Kahya, Dihya ou Damya 1». La Kahina ayant une double signification : « la sorcière car elle fut haie par les musulmans 2» et « la prêtresse ou Cahen/Cohen qui dérive de l’hébreu3». Dahya ou Damya signifie : « la belle 4» en chaoui. La reine des Auras était la fille de Matya, chef de la tribu des Djawas5. Celle-ci dominait les Aurès. La naissance de Kahina fut considérée comme une malédiction car son père n’avait pas de descendance et voulait avoir un garçon6. La venue au monde de la belle des Aurès fut pour lui « une impuissance ». L’esprit téméraire et le tempérament fougueux de cette femme d’une extrême beauté ont été révélés dès son jeune âge. Elle succéda son père et devint le chef de sa tribu. La prêtresse ou la devineresse mit toute son énergie dans la lutte contre l’invasion arabo-musulmane. Elle ordonna la mort de Okba et régna sur sa tribu durant plus de 65 ans car elle vécut 127 ans7.

Cette femme légende, symbole de la force, de la rébellion, de la guerre, de la sagesse et de l’amour, devint un mythe de l’histoire maghrébine. Elle fut introduite par l’auteur de Mémorial, dans certains de ses romans, elle intervient dans Agadir au niveau de la partie théâtrale du roman. Son intervention se présente sous forme de dialogues brefs. Cette figure berbère est considérée comme une résistante. Son objectif fut l’assassinat du roi.

La manière avec laquelle la Kahina fut introduite dans Corps négatif

suivi de l’Histoire d’un bon dieu est différente. Présentée comme une femme

inconnue, c’est elle-même qui dévoile sa propre personnalité. Dans Une vie,

un rêve, un peuple toujours errants, la Kahina se présente autrement « un spectre ou un djinn8». Son intrusion dans le texte est secondaire et brève. Mais ce qui accroît l’ambigüité de la situation c’est le moment durant lequel,

1 Encyclopédie Berbère, « La Kahina » de Gabriel Camps et Salem Chaker, p.795 mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 17 septembre 2013. URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/2554

2 Ibid. p.795.

3 Ibid. p.796.

4 Ibid. p.796.

5 Ibid. p.797.

6 Christine Sauty de Chalon, Princesse Kahina, Jeanne d’arc des Aurès, Ed. Broché, France, 1996, p.51.

7 Ibid. p. 95.

Chapitre I : Les mythes, héritage colonial et / ou donnée culturelle

elle eut intervenu : c’est lorsqu’on tire sur le Caïd. Elle intervient, dans l’intervalle qui sépare l’éclatement du coup de feu et la mort du Caïd, dire :

Le temps efficace s’est dissous dans l’air puissant Qui gonflait les poumons des braves peints d’indigo ! Ils marchent maintenant vers l’éther, l’Ordre ancien !

Plus vrais que ce roi couché sur des sofas, camions, rotules qui roulent vers le désert superbe !

(…)Nul plus que ce peuple éventé sur mon ventre Traîné hors de soi en des villes enfumées

Peuple de haillons rapiécés, peuple en sursis ! Nul hormis toi ne trempe dans la fange des sorts Et n’ourdit le grain de sable qui me parle des tribus !1

A la mort du Caïd, la notion de démocratie est évoquée par la reine des Aurès. Une image contemporaine est ainsi attribuée à la Kahina et qui intensifie son symbolisme et son aspect mythique ; faire parler la Kahina de la démocratie est un acte à la fois réfléchi et osé car la reine avait comme objectif de: protéger la terre avec tous les moyens et les stratégies :

O peuple assis sur la crête de mes doutes ! Horreur lucide et vaste offre qui me déroute !

Jamais pardon ne fut plus âpre ni plus dur à mes redoutes !

(…)J’apporte des grenades, des fusils, j’apporte des balles !

Ajoutez courage, ajoutez intelligence

Et nous ferons d’ici un pays démocratique ! 2

La disparition de la Kahina se fait de la même manière que son apparition :

« dehors, des coups de feu. Apparaît le spectre de la Kahina, la berbère rebelle3 ».

Si elle est introduite ainsi, elle part en s’éclipsant après avoir dit ceci :

1 Ibid. p.91.

2 Ibid. p.92.

Adieu terre brulée !

Adieu le printemps féroce dont ma robe lamentable conserve le secret des verts délires !2

Nous ne cherchons nullement à expliquer la causalité du recours à ce mythe mais surtout à tisser le lien entre le personnage en question et le mythe choisi.

Connue par sa stratégie politique et ses stratagèmes guerriers, la Kahina est devenue un mythe grâce à ses apparitions et ses disparitions inattendues et ses attaques subites. Une magie s’opère entre ses éclipses et ses surgissements. A ce constat, viennent s’ajouter des caractéristiques censées exister uniquement chez les hommes ; la force, l’énergie et la sagesse. A cette magie et ces propriétés exceptionnelles, s’ajoute l’aspect véridique de l’existence du personnage, un point de consolidation des piliers du mythe.

Ainsi, le mythe est construit : imagination, magie et caractéristiques extraordinaires, le tout fusionné dans un être surnommé « La gazelle des

berbères »1, ce qui donne lieu à un paradoxe qui tend inévitablement vers le

mythe.

L’intrusion de Dihya, dans Agadir a eu lieu pour certaines de ses caractéristiques. Courageuse et rebelle, elle est la seule à oser dire du roi :

Vos royautés cent fois interdites, vos danses d’éclipses,

Vos interruptions dans le galop du sang, Vos crimes

Vos fastes sans basilic sans vraie fête le peuple opprimé de faim molesté d’astres intangible.

Pérégrinant aux confins du néant2.

Quant à la présence de la rebelle dans Corps négatif suivi de l’Histoire

d’un bon dieu, elle se relie à une ambiguïté. Femme inconnue dans son

intervention, dévoilant sa propre identité, elle demeure toujours en possession

1Christine Sauty de Chalon, Op.cit. p.49.

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d’un secret inexplicable : son existence. Preuve à l’appui ; la multiplicité des noms attribués à ce personnage, la diversité des lieux auxquels elle appartenait et la pluralité des versions de son histoire.

Cependant une vérité est indiscutable, elle est la révoltée : « Je

m’appelle la brulée-vive […], je suis l’aigle femme […], je m’appelle la

tuée-vive de son visage de sarrasin-et-de violette Kahina 1».

Déterrée de sa mémoire culturelle ou évoquée pour des raisons scripturales, la Kahina demeure l’image des figures féminines ensevelies dans les plis et les replis de l’oubli et dans les affres du silence.

Lors de notre lecture de l’œuvre de Mohamed Khaïr-Eddine, nous avons été interpellée par la présence d’un autre mythe largement répandu chez les berbères. Bien que l’invasion arabo-musulmane ait ciblé les croyances ancestrales et tout aspect fabuleux chez les Berbères, quelques mythes ont survécu à cette tentative d’anéantissement.

« Anzar, Taslit n’Ounazar, Boughenja, Thaslith n’Ouamen2 », une pluralité d’appellations fut attribuée à un même mythe. Celui-ci est revendiqué par les différents pays constituants le Maghreb, ce qui lui octroie une multiplicité de versions. Lié au rituel d’obtention de la pluie, ce mythe fait partie des légendes qui ont marqué la société berbérophone. Pour aller dans les profondeurs de ce legs culturel, nous avons opté pour deux versions enterrées chez deux populations et deux régions différentes.

Chez les Aït-Ziki dans la vallée du Haut-Sébaou, en Kabylie, la légende racontait qu’

« Il était jadis un personnage du nom d’Anzar, c’était le dieu de la pluie. Il désirait s’unir à une jeune fille d’une merveilleuse beauté, la lune brille dans le ciel, ainsi elle brillait elle-même sur la terre. Son visage était resplendissant, son vêtement était de soie chatoyante. Elle avait l’habitude de se baigner dans une rivière aux reflets d’argent. Quand le dieu de la pluie descendait sur la terre et s’approchait d’elle, elle prenait peur et lui se retirait. Un jour, il finit par lui dire : Tel l’éclair j’ai fendu l’immensité du ciel, Ô toi, étoile plus brillante que les autres, donne-moi donc le trésor qui est tien sinon je te priverai de cette eau. La jeune fille lui répondit : je

1 Mohamed Khaïr-Eddine, Corps négatif suivi d’Histoire d’Un bon Dieu, Ed. Seuil, 1968, p.p.110-116.

2 Gabriel. Camps et Salem. Chaker, « Anẓar », Encyclopédie berbère, Tome O6 | Antilopes – Arzuges mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 17 mai 2014. URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/2424

t’en supplie, Maître des eaux, au front couronné de corail. (Je le sais) nous sommes faits l’un pour l’autre… mais je redoute le « qu’en dira-t-on»… A ces mots, le Maître de l’eau tourna brusquement la bague qu’il portait au doigt : la rivière soudain tarit et il disparut. La jeune fille poussa un cri et fondit en larmes. Alors, elle se dépouilla de sa robe de soie et resta toute nue. Et elle criait vers le ciel : Ô Anzar, Ô Anzar ! Ô toi, floraison des prairies ! Laisse à nouveau couler la rivière, et viens prendre ta revanche. A l’instant même, elle vit le Maître de l’eau sous l’aspect d’un éclair immense. Il serra contre lui la jeune fille : la rivière se remit à couler et toute la terre se couvrit de verdure 1 ».

Cette première version, très connue en Algérie, parait simple. Cependant, une version, assez compliquée, est répandue dans la région du Haut-Atlas marocain, plus précisément chez la tribu des Aït-Hdiddou, l’une des fameuses tribus de la confédération des Aït-Yefelman.

La légende marocaine stipule qu’il y avait eu dans une époque lointaine, deux amoureux dont les parents refusèrent le mariage. Ils moururent d’amour et se transformèrent en deux lacs : Isli et Tislit signifiant « Le fiancé et la fiancée »2. Les deux lacs font partie de la montagne d’Imilchil. D’un bout à l’autre de cette montagne, Tislit envoyait des vers devenus légendaires à son amoureux qui y répondait par des vers non moins pathétiques :

« Je pleurerai Pleure

Faisons comme les oiseaux O mon bien aimé

Appelle Yaâkoub et que je l’appelle3».

Le contenu de ces vers nous oblige à évoquer la légende génératrice de celle des deux lacs. Dans la culture amazigh du moyen Atlas, une légende évoquait ceci : « Il était une fois, il y a de cela bien longtemps, deux

amoureux qui avaient défrayé la chronique par leur idylle merveilleuse. Mais le dieu de l’amour, outré par un manquement aux règles, après les avoir

1 Gabriel Camps et Salem Chaker, Op.cit. p.1335.

2 Marie Luce Gélard, « Une cuiller à pot pour demander la pluie. Analyse de rituels nord-africains

contemporains », Journal des Africanistes, numéro spécial « Sahara : identités et mutations sociales en

objets », Paris, 2006, pp. 81-102

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transformés en oiseaux décida que les deux amoureux vivraient dans la même forêt sans jamais pouvoir se voir 1».

Ces damnés de l’amour sans raisons apparentes font couler les larmes de ceux qui croient à l’amour. Les oiseaux s’interpellent : « on entendit dire

clairement : ‘Yaâkoub’ puis ‘Ishaak ‘ 2 ». Un calvaire fut infligé à ces deux amoureux. Leur interpellation leur permit de se rapprocher l’un de l’autre, jusqu’à ce qu’ils occupent le même arbre : « A ce moment-là, craignant de

crier en même temps et ne pas s’entendre, ils se taisent tous les deux en même

temps, et un lourd silence enveloppe la forêt 3».

Et comme tout silence peut être interrompu, celui des maudits de l’amour le fit après une longue attente : « Le désespoir, la lassitude mais

surtout la volonté de recommencer de nouveau les prend tous les deux en même temps : ils s’envolent chacun dans une direction et, quelques kilomètres plus loin, ils se reposent sur la cime d’un cèdre, d’un chêne, d’un pistachier

sauvage, d’un quelconque arbre. Puis le calvaire de l’absence, de la nostalgie, de la douleur recommence à crier : ‘Yaâkoub’, ‘Ishaaak’…4».

Ainsi, les deux jeunes gens qui se sont rencontrés et se sont aimés de toutes leurs forces, mais appartenaient à deux tribus devenues rivales pour une affaire non dévoilée. Leur mariage était impossible, à l’image des deux oiseaux leur calvaire fut entamé. Cependant : « […] un merveilleux arc en

-ciel fait par les mains de l’amour, s’étendait d’un bout à l’autre du lac, formant une couronne magistralement portée à la tête des deux amoureux

d’Aït-Hdiddou5».

Qu’il s’agisse d’oiseaux, de lacs ou d’un jeune homme et une jeune femme, le destin fut unique : « Je sais que ce lac sera notre adresse pour

l’éternité. Tu verras, nous allons vivre dans la mort puisqu’on a été forcé de mourir dans la vie6».

Une fin tragique et identique à celle de Roméo et Juliette. Une simple histoire d’amour en apparence nous mène vers une chute libre. Cette apparence si banale nous oriente vers le chaos, la catastrophe et le cataclysme.

1 Gabriel Camps et Salem Chaker, Op.cit. p.1337

2 Ibid. p. 1337

3 Ibid. p.1337.

4 Ibid. p.1339.

5 Ibid. p.1339.

Mohamed Khaïr-Eddine a investi le mythe de « Tislit Ouaman » dans son récit « Il était une fois un vieux couple heureux ». Le poème que Bouchaïb va rédiger aura le même titre que le mythe : « Tislit Ouaman ». Le vieux précise à sa femme que son écrit résumera l’idée suivante :

« La fiancée de l’eau perd son ami à cause du soleil. Rendue folle par sa disparition, elle monte au septième ciel, regarde un bon moment l’univers étoilé et noir, puis elle s’élance dans le vide sidéral. Dès lors, il n’y a plus de tonnerre, plus d’orage, aucune averse, aucune ondée. C’est le début d’une grande sécheresse sur terre. Les hommes ont beau faire des prières rogatoires, aucune goutte d’eau ne tombe plus du ciel. Les vallées s’assèchent, les cailloux apparaissent sous l’effet du vent, la désertification prend d’assaut les sols autrefois fertiles 1».

Fortes ressemblances et infinies différences marquent ainsi le mythe avec ses multiples versions et le poème de Bouchaïb. Le recours à cette légende berbère s’explique par la trajectoire identique de l’histoire du récit et celle de Tislit Ouaman.

Puisé dans la propre culture de l’auteur, ce mythe sert de passerelle entre le récit et le poème de Bouchaïb. La co-présence de ces trois données ; mythe poème et récit, nous offre une transposition particulière. L’idée du poème et le récit du mythe tendent vers le cataclysme, l’histoire du récit de Khaïr-Eddine aussi.

L’auteur d’Agadir s’est approprié du mythe le Tislit Ouaman. Il l’a adapté à l’idée du poème de son personnage principal et il l’a positionné dans le même sens que l’histoire du récit Il était une fois un vieux couple heureux. Nous pouvons, dès lors, penser à la notion de mise en abîme et comprendre le choix du mythe, sa contextualisation et sa recontextualisation. Et de là, expliquer le choix d’un tel mythe, signaler encore une fois l’exigence thématique et observer les joyaux enfouis dans la culture berbère et l’esprit de Mohamed Khaïr-Eddine qui a osé tisser sa culture avec une écriture littéraire de langue française.

Si le sudiste a trouvé ce qu’il cherchait dans le mythe de « Tislit Ouaman », d’autres mythes berbères étaient sa cible. L’auteur ne cesse de déterrer des légendes dissimulées dans les entrailles de la culture berbère.

Chapitre I : Les mythes, héritage colonial et / ou donnée culturelle

Dans Légende et vie d’Agoun’Chich, des mythes berbères émergent et nourrissent le texte du début à la fin. La légende de Lahcène Agoun’Chich est l’axe autour duquel gravite toute l’histoire du roman. Comparé à Lahcène Ifoughine, un ancêtre de l’auteur lui-même1, Agoun’Chich est vu comme un bandit et une bute assoiffée de sang. Assassiner est pour lui l’acte le plus banal du monde. Il veut venger sa sœur qui a été tuée par un membre d’une tribu adverse.

Un long parcours lui permet de rencontrer un violeur, de devenir son ami, de connaître les vrais massacres commis par le colonisateur et de prendre connaissance d’un monde autre que celui dans lequel il a vécu. Toute une légende nourrit la métamorphose qu’Agoun’Chich a subie. La résurrection d’Oufoughine et son incarnation dans le personnage d’Agoun’Chich nous introduit d’emblée dans une atmosphère mythique dans laquelle nous assistons à la fois à un fusionnement et un éclatement de mythes berbères.

Des figures berbères sont évoquées, convoquées et mythifiées si c’est nécessaire. Le personnage de la guérisseuse est introduit à travers le portrait d’une vieille savante : « Cette vieille femme était vénérée dans toute la région. On disait qu’elle était sainte ; elle avait accumulé un savoir théologique immense ; elle n’ignorait rien non plus sur les plantes médicinales(…) Au sens moderne, elle était une psychothérapeute doublée d’une religieuse qui savait démêler le vrai du faux, vivre au rythme du

cosmos…2».

Ces caractéristiques procurent à la vieille une image identique à Lalla T’lazza T’asemlalt, une figure mythique de la culture berbère : « D’aucuns la comparent à la sainte Lalla T’lazza T’asemlalt, patronne des Ida Ou Smlal dont le sanctuaire et le mausolée sont situés sur la route de Tafraout(…). C’était une ascète dans toute l’acception du terme, une religieuse comparable à Saint Augustin, autre berbère gagné aux mystères de l’Orient(…). Elle aura tout de même laissé la marque indélébile de ses petits pas d’ange sur le terreau des mémoires…3 ».

L’image de Sidi Ahmed Oumoussa, évoquée dans le roman est parmi les plus frappantes. La mère de Sidi Ahmed est une vieille veuve abandonnée

1 Mohamed Khair-Eddine, Le Temps des refus, entretiens 1966-1995, Ed. Broché, Paris, 1999

2 Mohamed Khaïr-Eddine, Op.cit. 1984, p. 117.

par son unique enfant depuis longtemps. La vieille recouvre la vue à la suite d’un geste accompli par son fils revenant. Il lui effleure les yeux de sa main droite. Les miracles du revenant sont à couper le souffle. Il a ramené la vie à une vache censée être morte, et ce, devant des témoins oculaires.