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1- La superposition structurale

Sisyphe dans « il était une fois un vieux couple heureux »

VI- 1- La superposition structurale

Il était une fois un vieux couple heureux s’inscrit parmi les textes

narratifs. Soumis à des critères que nous citerons d’une manière succincte, l’écrit est classé comme un récit. Le titre entamé par la formule « il était une

fois », va orienter le narrateur à opérer une mise à distance à la fois

énonciative et fictionnelle : « Le caractère fictionnel ou non du texte est tout à

fait essentiel pour classer un texte dans le rang des récits1».

La narrativité du récit est aussi apparente à travers sa soumission à ce qui est appelé : la définition minimale. Ainsi, « la suite de propositions liées

progressant vers une fin 2» fort présente dans il était une fois un vieux couple

heureux, confirme sa classification parmi les textes narratifs.

Une petite approche analytique des constituants de base de tout récit confirme l’intégration de l’écrit de Khaïr-Eddine dans le sillage des récits. Dans Logique du récit de Bremond, trois critères sont cités à travers la définition suivante :

« Que par ce message, un sujet quelconque (animé ou inanimé, il

n’importe) soit placé dans un temps t, puis t+n et qu’il soit dit ce qu’il

advient à l’instant t+n des prédicats qui le caractérisaient à l’instant t 3 »

Les trois constituants : sujet, temporalité et prédicats transformés, sont présents dans l’écrit et qu’on peut résumer dans ce qui suit : « Un vieux couple qui assiste à travers le temps à l’intrusion de la modernité dans son village, niché au fin fond du sud marocain, et aux changements générés par cette nouvelle situation ».

Même si la définition de Claude Bremond est considérée comme étant la définition « La plus courte4», elle insère l’écrit de Khaïr-Eddine de plus en

plus dans la catégorie des textes classés comme récits.

1 Jean Michel Adam, Op.cit. p.40.

2 Ibid. p.45.

3 Claude Bremond, Logique du récit, Ed. Seuil, Paris, 1973, p.99.

Chapitre II : Sisyphe dans « il était une fois un vieux couple heureux »

Cependant, Bremond propose d’autres définitions qui incluent d’autres critères : La succession d’évènements, l’unité thématique, le procès, la causalité narrative d’une mise en intrigue et l’évaluation finale. L’écrit de Khaïr-Eddine répond à la plupart des critères. Ainsi, il se fraye une place parmi les récits obéissant aux critères exigés par la narratologie. Le récit en question assure une succession d’évènements, en présence d’un sujet à un moment donné et avec un prédicat transformé. Il possède une unité thématique, une causalité narrative autour d’un projet humain, dans un aspect plus ou moins fictionnel et assurant un intérêt d’amusement d’instruction ou d’émotion. Tous les critères se rassemblent pour faire de l’écrit un récit. Mais qu’en est-il de sa structure ?

Le récit se construit autour de vingt-six chapitres. Aucun d’entre eux ne possède un titre. La trame narrative de Il était une fois un vieux couple

heureux parait simple. La narration s’alterne entre la première et la troisième

personne du singulier. Le narrateur relate la vie du couple, les aventures du vieux lors de sa jeunesse et la vie des villageois. Il peint un tableau du sud marocain. Il évoque l’invitation ou l’intrusion de la modernité au sein du village. Il reflète à travers le contenu, la situation économique, les rites et les rituels exercés, sans oublier les fléaux sociaux causés par la modernité.

A première vue, tout dirait qu’il s’agit bel et bien d’un roman de l’apaisement dont Mohamed Khaïr-Eddine avait tant rêvé1. Néanmoins, la structure narrative du texte va nous interpeller et nous obliger à relire et revoir les constats. Le récit s’ouvre sur une interrogation paradoxale : « Qu’y a-t-il

de plus fascinant et de plus inquiétant que des ruines récentes qui furent des demeures qu’on avait connues au temps où la vallée vivait au rythme des saisons du labeur des hommes qui ne négligeaient pas la moindre parcelle de

terre pour assurer leur subsistance2».

Tout en proposant une réponse aussi paradoxale que l’interrogation elle-même : « Ces maisons de pierre sèche, bâties sur le flanc du roc à

quelques mètres seulement au –dessus de la vallée, ne sont plus qu’un triste amas de décombres, domaine incontesté des reptiles, des arachnides, des rongeurs et des myriapodes. Le hérisson y trouve ses proies mais il n’y gîte pas. Il y vient seulement chasser la nuit quand un clair de lune blafard fait

1 Il était une fois un vieux couple heureux est jugé comme étant le roman d’apaisement dont Mohamed

Khaïr-Eddine a toujours rêvé et ce en comparaison avec toute sa production littéraire qui a précédé ce récit.

surgir çà et là des formes furtives qu’on confondrait assurément avec les anciens habitants des lieux disparus depuis longtemps, […] . Une de ces ruines dresse des pans de murs difformes par-dessus un buisson touffus de ronces et de nopals et quelques amandiers vieux et squelettiques. Elle avait été la demeure d’un couple âgé sans descendance qui n’attirait guère l’attention car il vivait en silence1 ».

L’auteur inaugure son récit avec une fin. Il dresse une image d’un village ruiné. Les séquences narratives s’enchainent, tout en respectant les différentes unités constitutives et les différentes contraintes qui pèsent sur le récit. Une situation initiale est introduite à la fin de la situation finale. Il s’agit d’une situation finale introduisant la situation initiale et le récit est entamé.

La voix narrative identifie un narrateur distinct de l’auteur réel. Tantôt, il est un personnage de l’histoire « Bouchaïb », preuve à l’appui, le pronom personnel « je » dominant une grande majorité du récit. Tantôt, il est un témoin discret ou plutôt nous avons l’impression que l’histoire se raconte toute seule, avec le recours au pronom personnel « il ».

La chronologie du récit est bouleversée. Réelle ou fictive, elle a subi toutes sortes d’anachronies, de retour en arrière, ou de prévisions de l’avenir. L’incarnation de toutes ces données dans une construction fictionnelle orientera l’histoire vers la fin. Mais, c’est une fin qui refuse de se manifester. Elle se veut inconcevable. Elle se refuse de conclure sans (ré) introduire. En d’autres termes, quand le lecteur arrive à la fin du récit et devant le mot « fin » mentionné à la dernière page, il se trouve obligé, et nous insistons sur le caractère de l’obligation, à revenir aux premières pages du récit, afin de saisir la fin.

Nous avons l’impression que le récit nous tord le cou afin de se retourner, de revenir sur nos traces et chercher une fin au parcours. Un besoin incessant d’aboutir à la fin, nous oriente directement vers le début. Un début ouvrant par sa fin un récit qui n’a aucune fin. Ce constat nous permettra de dire que le récit possède les caractéristiques du récit circulaire dont Jean Yves Tadié dans Le récit poétique propose la définition suivante : « Certains récits

sont construits selon un modèle circulaire : ceux dont la fin recouvre exactement le commencement […] Et voici qu’apparait une autre sorte de récit qui, lorsqu’on le croit achever, se replie sur même, se raconte

Chapitre II : Sisyphe dans « il était une fois un vieux couple heureux »

même, ses dernières pages renvoient aux premières, qu’elles invitent ainsi à

reprendre dans une lecture toujours recommencée1».

Ainsi, Il était une fois un vieux couple heureux adopte une structure circulaire à travers laquelle le lecteur doit effectuer un parcours semblable à celui de l’eau, du rêve mais surtout de Sisyphe.