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1- Le mythe du labyrinthe :

Du pourrissement au mythe

VI- 1- Le mythe du labyrinthe :

Nous avons évoqué précédemment le mythe de la caverne dans la perspective de montrer la présence et l’investissement de ce mythe dans ce deuxième roman de Mohamed Khaïr-Eddine. Cependant, la caverne, monde souterrain, lieu obscur et profond, inspirant la terreur et la superstition, n’est accessible qu’après un long parcours et de rudes épreuves. Ce passage n’est autre que « le labyrinthe ». Un terme dont la signification a évolué à travers le temps et selon le contexte dans lequel il fut employé.

Le labyrinthe est devenu un mythe universel. Il est commun à toutes les civilisations antiques. Notre destination sera la mythologie grecque. Nous avons cherché les versions du mythe sur les dictionnaires de la mythologie ; cependant, la première version que nous allons proposer ne figure sur aucun des dictionnaires consultés. Il s’agit d’une histoire recueillie par Délia Steinberg Guzman dans La symbolique du Mythe1 où elle évoque la descente sur terre du très ancien dieu des premiers temps. Ce dieu est appelé Arès-Dionysos. Ce Dieu est descendu dans un monde où rien n’était créé, rien n’était formé. Il n’y avait que l’obscurité et les ténèbres. Mais, du haut des cieux, on octroya une arme à Arès-Dionysos, le Labris (qui signifie hache),2 et on lui dit qu’avec cet outil il devrait forger le monde. Ainsi, Arès-Dionysos se mit à marcher en rond, taillant l’obscurité et s’ouvrant un sillon avec sa hache. Le chemin qu’il ouvre et qui s’éclaire peu à peu, est appelé « Labyrinthe », c’est-à-dire le sentier taillé avec le « Labris ».

Arrivé au centre même de son sentier, Arès-Dionysos découvre que ce n’est plus la hache du début qu’il a entre les mains. Sa hache est devenue une lumière. Il est parvenu à la lumière. Il n’est plus dans l’obscurité et les ténèbres. Cette version du mythe est considérée comme « la plus vieille et la

moins connue3».

1 Délia Steinberg Guzman, La Symbolique du labyrinthe, Revue électronique « Sagesse de l’Orient et de l’Occident ». www.sagesse-marseille.com/lhomme-sage/symbolisme/la-symbolique-du-labyrinthe.html

2 Ibid.

Chapitre III : Du pourrissement au mythe

Néanmoins, si nous demeurons sceptiques envers cette version, c’est parce que le nom de ce dieu est au centre d’une problématique. Evoquer Arès-Dionysos pour un même dieu est une information confuse. Les dictionnaires de la mythologie consultés n’évoquent ces noms que séparément. Arès figure comme « dieu de la guerre et de la lutte1», et Dionysos comme « dieu du vin et de l’ivresse ; ce dernier est l’un des dieux les plus importants et les plus complexes de la Grèce2».

Nous constatons qu’il n’y a aucun lien entre les deux dieux, sauf que tous les deux sont les fils d’un même père, Zeus mais, de mère différente : Arès est le fils d’Héra alors que Dionysos est le fils de Sémélé. Le fait de rassembler les deux noms pour un seul dieu, nous a paru pour le moins étrange et, c’est à partir de là que nous avons opté pour la recherche d’autres versions plus connues et moins problématiques, sans toutefois perdre de vue cette première version.

Une autre version attribue à ce mythe le nom de « Dédale » qui n’est en réalité que le mythe du labyrinthe ; ce « Dédale », devenu synonyme de Labyrinthe est le nom du constructeur du labyrinthe, selon la mythologie grecque. Cette version évoque que le roi crétois Minos ordonna à l’architecte Dédale de construire un palais pour enfermer le Minotaure, monstre à corps d’homme et à tête de taureau. Ainsi, un labyrinthe à ciel ouvert fut construit et le sens du mot passe de labris (qui désigne une hache) à dédale, le constructeur du labyrinthe.3

Une autre version, identique à la précédente, rajoute que l’architecte et son fils Icare furent enfermés dans le labyrinthe par Minos lui-même. Ce dernier voulait être certain que le créateur de l’ouvrage n’éventerait pas les plans alors que l’architecte était lui-même bien incapable d’en trouver la sortie.4

D’autres versions stipulent que l’enfermement du créateur n’était qu’une punition parce qu’il avait donné l’idée du fil à Ariane et que Dédale et Icare sortirent du Labyrinthe en ayant recours à un stratagème, fuir grâce à des ailes faites de plumes collées avec de la cire.

1 Petit Larousse des Mythologies du monde, 2007, p.234.

2 Ibid. p.398.

3 Délia Steinberg Guzman, Op.cit.

Une autre légende reprend le mythe du labyrinthe dans une version complémentaire aux précédentes. Dédale, après sa fuite de Crète fut reçu par Cocalos (roi fondateur de Camicos en Sicile). Parti à sa poursuite, le roi Minos arriva quelque temps plus tard à Camicos : « Il promit une forte

récompense à quiconque pourrait passer un fil dans les spirales d’une coquille d’escargot1».

Cocalos réussit à le faire, sous le conseil de Dédale. Celui-ci, et sans difficulté, trouva la solution comme il l’avait déjà fait avec le labyrinthe et le fil d’Ariane; cette fois-ci, il substitua à la pelote, offerte par Ariane à Thésée, une fourmi : « Il attacha le fil à la patte d’une fourmi, qui s’engagea dans la

coquille et la parcourut jusqu’au fond2».

L’ingéniosité de Dédale, lui a valu toute reconnaissance mais n’a pas pu l’épargner de Minos, convaincu que seul Dédale pourrait aller au fond du problème et le résoudre ; « il exigea la restitution immédiate de son

prisonnier3», et « plutôt que de livrer leur hôte, Cocalos et ses filles

complotèrent alors la perte de Minos et finirent par l’ébouillanter4».

Une autre version, très particulière du mythe du labyrinthe car, elle intègre Poséidon, fut rapportée dans la mythologie grecque. Elle se résume en ce qui suit : « Pour devenir roi, Minos compta avec l’aide d’un autre puissant

dieu, celui des océans et des eaux, Poséidon. Pour que Minos soit assuré de la stabilité de son trône parmi les hommes de Crète ; Poséidon fait un prodige des eaux et de l’écume des eaux, il fait surgir par magie un taureau blanc, présent qu’il octroie à ce roi des îles de Crète. Par ce geste, il signifie le règne effectif de Minos5». A ce niveau de la légende, l’histoire qui parait harmonieuse divergeaprès l’introduction de l’épouse de Minos.

L’une de ces histoires évoque que « l’épouse de Minos devient

éperdument amoureuse de ce taureau blanc6». Elle le convoite et le désire

mais la façon de l’approcher demeure un obstacle pour elle : « Elle demande à

Dédale qu’il fabrique une énorme vache de bronze suffisamment belle et attirante pour que le taureau éprouve de l’inclination pour elle7». Dédale

1 Dictionnaire des mythes et mythologie, p. 651.

2 Ibid. p.651.

3 Ibid. p.651.

4 Ibid. p.651.

5 Délia Steinberg Guzman, Op.cit.

6 Ibid.

Chapitre III : Du pourrissement au mythe

construit la vache, Pasiphaé se cache à l’intérieur, le taureau s’approche d’elle et, de cette étrange union entre une femme et un taureau, va naître une bête, moitié homme, moitié taureau : Le Minotaure.

D’autres versions, rapportées du mythe et avec une histoire similaire à celle-ci, portent quelques modifications. Il est dit que l’amour éprouvé par Pasiphaé envers le taureau n’est qu’une inspiration de Poséidon, voulant ainsi punir Minos « car il a refusé d’immoler le taureau qu’il lui avait envoyé1».

Parmi tous les détails qui divergent entre les versions du mythe, un élément est convergent, la naissance d’un horrible monstre, fruit de cette liaison entre la fille d’Hélios et l’animal.

Minos voulant dissimuler la créature « honteuse », ordonna à Dédale la construction d’un labyrinthe dont ce monstre ne saura jamais trouver l’issue. Cependant, cette bête constituait une menace pour les autres royaumes : « Sept jeunes filles vierges et sept jeunes gens devaient être sacrifiés à la

créature. Minos imposait cet effroyable tribut chaque sept ans afin qu’il soit

dévoré par le Minotaure2».

Thésée, fils d’Athéna et d’Egée, proposa de délivrer sa patrie de cet impôt sanglant. Il s’embarqua avec les victimes et arriva en Crète. Il séduisit la fille de Minos, il put arriver au centre du labyrinthe, tuer le monstre et quitter le lieu grâce au fil de la pelote qu’Ariane lui avait donnée.

Quelles que soient les versions du mythe, l’existence du mythe du labyrinthe dans la mythologie grecque demeure indiscutable. Cela n’exclut en aucun cas la présence du labyrinthe dans d’autres mythologies et d’autres civilisations : « Dans la Sibérie, au Danube, en passant par la Savoie, l’Irlande, la Sardaigne, le Portugal, l’Italie, Malte ou à Belgrade, le labyrinthe se manifeste à travers des tracés inscrits dans des carrés ou des cercles3».

Le mythe grec s’applique par sa structure, sa légende et sa charge symbolique à l’écriture de Mohamed Khaïr-Eddine dans Une Vie, un rêve, un

peuple toujours errants, qui, d’après les détours, les voyages et les rêves peut

désigner une écriture à parcours labyrinthique.

1 Dictionnaire des mythes et mythologies, 2009, p.797.

2 Ibid. p.798.

3 Giuseppe Lovito, « Le mythe du labyrinthe revisité par Eco théoricien et romancier à des fins cognitives et métaphoriques», Cahiers d’Etudes Romanes, N°27,2013, pp.344-357.