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1- S’introduire dans la caverne

Du pourrissement au mythe

II- 1- S’introduire dans la caverne

Loin de considérer la colonisation comme une entreprise de domination économico-politique, le heurt des civilisations est une autre entreprise qui passe sous silence mais résultera beaucoup de bruit. Ces propos paraissent plus ou moins contradictoires mais une analyse profonde du sens anéantira tout paradoxe et toute contradiction.

Le colonisateur a pensé à la terre conquise, aux butins cueillis, aux fortunes gagnées. Il a tracé les différents objectifs de son projet colonial, cependant, il a omis volontairement l’entrecroisement culturel, linguistique et civilisationnaire. Celui-ci ne figurait pas sur la liste des priorités du dominateur. Il l’a peut être pris pour une option.

Toutefois, l’interaction culturelle et linguistique naît sans autorisation quelconque. Il s’agit bel et bien d’une évidence. Cette interaction évidente accouche à son tour d’une hybridation fatale. Cette hybridation marque toute forme de connaissance chez le colonisé. Ainsi, la littérature née d’un croisement entre deux cultures et deux langues différentes n’est qu’une littérature à caractéristiques particulières. La littérature produite par l’auteur marocain, Mohammed Khaïr-Eddine représente un cas de figure qui relève de cette catégorie littéraire. Et l’insertion du mythe de la caverne dans ce roman, cas d’étude, est une résultante logique d’une double culture. Cependant et avant d’emprunter le chemin vers la caverne, une précision sur cette même notion s’avère indispensable. Mohammed Khaïr-Eddine a utilisé un champ de synonymes du terme caverne. On y trouve : grotte – trou – repaire. Etaler la définition du terme en question nous permettra d’être de vrais pisteurs de mythes. Car l’utilisation d’un tel terme dans un tel contexte pourrait être inadéquate.

Pour mieux nous situer dans cette nouvelle constatation nous avons proposé un retour sur les notions de « grotte » et « caverne ». D’après Le Petit Robert, « une caverne est une cavité naturelle formé dans les roches,

rencontrée dans des montagnes ou sous – terre1» . Le même dictionnaire

définit la grotte comme étant : « une cavité naturelle de grande taille dans le

rocher 1».

Donc, Le Petit Robert différencie entre les deux termes par le fait que la grotte soit plus vaste que la caverne. Notons aussi que le Larousse propose à la caverne la définition suivante : « La caverne est une excavation naturelle

vaste et profonde 2». Tandis que la grotte est : « Une excavation naturelle ou

artificielle 3». Bien que chacune des définitions soit brève, concise et ciblant

le sens, une absence de consensus sur la définition de la caverne et de la grotte paraît bien nette.

Si quelques dictionnaires ont mis l’accent sur l’aspect anthropique des grottes, cela demeure confus car mêmes les cavernes peuvent avoir une origine dénaturalisée.

Devant cette confusion, nous avons cherché refuge dans « Le

Dictionnaire des synonymes » et notre surprise fut frappante. Antre, grotte,

refuge, fosse, gouffre, trou, ravin, repaire, excavation, cratère, abîme tous ces termes sont censés être des synonymes de « caverne ».

Puisqu’il n’y a pas d’accord sur l’aspect définitionnel et différentiel des termes « grotte » et « caverne », nous avons opté pour la prise en considération de la synonymie tout en gardant en vue une proposition de définition figurant dans Le Dictionnaire des Synonymes : « Sous le terme

générique de caverne, nous comprenons également les grottes et les antres, bien qu’il n’y ait pas synonymie parfaite entre ces mots. Nous entendons par là un lieu souterrain ou rupestre, au sommet voûté, plus ou moins enfoncé

dans la terre ou la montagne, plus ou moins obscur4».

Face à une définition péjorative et une synonymie relative, nous n’avons qu’à nous introduire dans la caverne armés de toutes les acceptations synonymiques et symboliques du terme. La caverne que nous allons repérer et par la suite visiter et scruter du regard dans chacun de ses coins est celle évoquée dans « Une Vie, un rêve, un peuple toujours errants » de Mohamed Khaïr-Eddine.

1 Ibid. p.1195

2 Petit Larousse, 1980, p.401.

3 Ibid. p.1230

Chapitre III : Du pourrissement au mythe

L’introduction dans une caverne quelconque s’avère une tâche à risques. A cet effet, notre mission encourra toutes sortes de risques possibles. C’est pourquoi nous devons caver dans l’écriture de Khaïr-Eddine pour atteindre cette excavation quelle que soit sa nature ou ses dimensions.

L’image sur laquelle s’ouvre le roman nous propose une première piste. « Les hommes hirsutes, tout nus errant dans ce délire1», sans précision

aucune sur l’endroit où se trouvaient ces hommes. Des indices nous permettront de parvenir à destination. Durant la nuit, ces hommes s’entretuent pour survivre mais dès l’apparition du jour : « un silence pesant et

insupportable s’établit sur toute chose 2». Un accent est mis sur « le jour », et

ce n’est pas d’une manière fortuite. S’il est dit : « Mais peut-on appeler

‘’jour’’ cette tâche crémeuse et verdâtre qui sourd du sol en flacons

intermittents3», c’est parce que de nature, le jour jaillit du ciel, du soleil, du

haut. Cependant, la lumière éclairant l’endroit abominable dans lequel se trouvaient ces hirsutes, surgit de la terre.

Réinstallons le décor; des hommes qui existent dans un endroit où la seule source de lumière provient de la terre et ne peut atténuer l’obscurité régnante. A cette atmosphère de ténèbres, l’auteur glisse la présence de certaines créatures, les chauves-souris. Celles-ci avaient pour mission, la consommation des cadavres remplissant l’endroit. A la place des chauves-souris, l’auteur aurait pu citer des charognards qui adorent le cadavre.

Ainsi, la conjugaison entre la source de la lumière éclairant l’obscurité régnant dans l’endroit et les chauves-souris, dévoratrices de cadavres et fameuses propriétaires des cavernes, est la première trace révélatrice de la présence d’une excavation.

Loin d’être convaincu d’une seule trace, nous avons cherché la caverne. Nous avons décidé de la rejoindre à travers Une Vie, un rêve, un peuple

toujours errants. Notre parcours ne fut pas long. Il s’est interrompu juste au

deuxième chapitre. Les hommes égarés et endormis furent réveillés par la mer qui déferlait sur le lieu où ils erraient : « Elle réprimait la lumière qui les

tuait4».

1 Mohamed Khaïr-Eddine, Op.cit. 1978, p.07.

2 Ibid. p.07.

3 Ibid. p.07.

Une image terrifiante de ces hommes est dressée. Ce qui accentue cette terreur, c’est que la mer en se retirant les abandonna aux oiseaux charognards car ils étaient des cadavres : « De leurs corps partaient des bulles jaunes et

des jets de poussière qui remontaient à la surface des flots en vrilles concentriques1».

Cependant, « Ceux qui n’avaient de crevé que les yeux et qui étaient

véloces pouvaient ramper jusqu’à leurs repaire2». Le repaire est le leur. Il leur appartient. C’est leur lieu de perte, d’errance, de sommeil, c’est leur refuge, bref, c’est leur monde. Le monde de ces créatures est un repaire qui n’est autre qu’un antre, synonyme de caverne.

Nous avons repris notre voyage entre les lignes du roman car nous sommes décidée de mettre les pieds dans la caverne à travers son synonyme le plus proche « grotte ». Nous avons pisté toutes les lignes. Des signes prétendent nous indiquer le chemin mais nous sommes à la recherche d’une route et non pas d’une piste boueuse ou d’un chemin de sables mouvants.

A l’entrée du septième chapitre, une indication claire et sans aucune confusion nous interpelle et nous ouvre l’accès : « Tous vivaient dans un

trou3». Apparemment, cette fois-ci nous n’avons plus besoin de chercher des

signes indicateurs, nous nous sommes introduits dans la caverne.

L’exploration d’autres pistes demeure possible. Lors de notre passage du deuxième au troisième chapitre, un passage exhibait sa capacité de nous introduire dans la caverne :

« La nuit venue, ces hommes qui tout le jour étaient entassés les uns sur les

autres sortaient brusquement de la carapace lourde qui les maintenait soudés au sol. Ils déambulaient entre les ruines, bavant et hurlant, ne se parlant pas, ne sachant pas entendre. Ils agitaient violemment leur corps amorphe, se propulsaient obliquement vers l’espace mais ils retombaient si vite qu’ils finissaient par renoncer à toute velléité d’envol et se contentaient de se frayer

un chemin parmi les décombres4».

1 Ibid. p.09.

2 Ibid. p.09.

3 Ibid. p.23.

Chapitre III : Du pourrissement au mythe

Si ce passage est moins important que celui que nous avons déjà cité, il ne pourra passer inaperçu. Aussi, à la page cinquante, un passage consolidant l’idée de l’existence d’une grotte ambigüe ou problématique est incroyable : « En ce temps-là, les flics existaient mais ils déambulaient bruyamment sur

les plaines. Nous les guettions et lorsqu’ils se pointaient devant l’entrée de la grotte, nous leur lancions des glaviots. Il repartaient immédiatement, sans brouhaha 1».

D’autres passages s’étalent à travers tout le roman. Ils indiquent la présence d’une caverne. Néanmoins, l’analyse de cette réalité ne se limite pas à ce niveau car la réalité de la caverne elle-même dépasse la réalité de son existence. La caverne qui cache dans ses entrailles des refugiés, des créatures diverses, des bêtes féroces, des fortunes, et des secrets imperceptibles, nous plonge dans un univers symbolique complexe, englobant croyances, superstitions, mythes et réalités.