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symbiotique alternent dès le début de la vie et que le fantasme inconscient se met en route quand un passage en mode symbiotique est déclenché par des

instants de détresse ou de plaisir intenses, avec leurs affects paroxystiques correspondants ». (p.30)

Cet auteur considère ces états de vécu symbiotique comme les origines préconscientes de ce qui deviendra progressivement l’inconscient dynamique, le point de départ où sont « consignées » les traces mnésiques des affects intenses dans le contexte de représentations fusionnées de soi et de l’objet.

La période située entre 2 et 7 mois, serait celle de découverte et d’intégration des

« invariants de soi » , constitutifs du sens de soi, base de l’identité élémentaire.

Un sens organisé de soi résulterait de la combinaison des expériences de l’activité de soi, des expériences de cohérence de soi, des expériences de l’affectivité de soi, et enfin des expériences de la permanence de soi. Au cours de ces expériences, le nourrisson aurait de nombreuses occasions d’identifier des « auto-invariants », éléments constitutifs du sentiment de continuité d’existence et d’identité permanente. Une mémoire dynamique lierait les invariants de soi et donnerait au nourrisson la base d’un « soi-noyau ».

Mais ceci ne peut advenir qu’à la condition qu’il y ait de nombreuses répétitions de ces expériences, sous des formes variées, mais sans qu’elles déclenchent d’afflux d’excitations paroxystiques, sources de déplaisir. En effet, ces états affectifs extrêmes nuisent au développement d’un sentiment de continuité corporelle suffisamment intégré. Pour qu’il se constitue, il faut que le bébé expérimente une alternance tempérée et régulière de continuité et de discontinuité. On retrouve cette idée chez D. Houzel159. Il considère en effet, que les rencontres entre le self du bébé et l’objet doivent conserver la dynamique de gradient de l’expérience émotionnelle du bébé, et que ceci est nécessaire à l’établissement d’une véritable relation d’objet. Ainsi il écrit :

«Sans gradient, rien ne se passerait. Il n’y aurait ni sujet ni objet, mais une indistinction primitive, une totale indifférenciation. » (p.119)

Ainsi, sans gradient dans l’expérience émotionnelle, sans régularité rythmique dans la rencontre avec l’autre, le risque de confusion symbiotique avec l’autre est important, au détriment de la constitution du sens de l’identité propre. Dans ce processus, l’enfant peut être conduit à une impasse : une partie de lui peut rester « collée », fusionnée à l’autre.

M. Berger 160, se référant aux travaux de J.M. Gauthier161, écrit à ce propos :

159 HOUZEL D., (1999), Séduction et conflit esthétique, in Séduction, Journal de la psychanalyse de l’enfant, n° 25, pp. 109-129 160 BERGER M., (1999), L’enfant instable, Dunod, Paris

Le sentiment de continuité d’existence et d’identité propre « ne peut se construire qu’en lien avec la discontinuité : c’est le mouvement, la rythmicité qui indiquent les repères stables, ce qui est continu au-delà du discontinu. La « stabilité rythmique » de notre fonctionnement corporel constitue donc un des socles de notre identité, ce qui renvoie à la rythmicité des soins organisés par la mère. » (p.96)

On perçoit déjà que c’est dans un principe de mouvement alternatif que se produisent la naissance à la vie psychique, le développement de l’intrapsychique et l’épanouissement de la subjectivité. A ce propos, il convient de rappeler une expérience fondatrice que le bébé doit faire dans ses premiers liens.

1.4.3 L’expérience de la solitude en présence de l’autre

Cette expérience modélisée par D.W. Winnicott 162 est fondatrice et intermédiaire, dans la mesure où elle est un préalable de la capacité à se séparer et à faire de la séparation un évènement fécond en productions psychiques telles qu’elles ouvrent l’accès à un fonctionnement subjectif plus autonome.

D’après R. Roussillon163, « En présence de l’objet, au moins à l’origine,(...) l’objet, la perception de l’objet et la « représentation d’objet » de la pulsion, sont « transitionnellement » superposés, mêlés, intriqués. L’objet est investi et perçu dans le même mouvement. » En l’absence de l’objet, selon la métapsychologie freudienne, l’investissement reflue sur le sujet, ou plutôt sur sa représentation dans le sujet, il se perpétue dans le « souvenir », dans la certitude de son retour prochain ; le lien n’est ainsi pas menacé. Ce processus qui préfigure et fonde le principe de différenciation objet perçu-objet représenté et permet de se distancier suffisamment de l’perçu-objet réel pour répondre à une dynamique d’individualisation, ne peut se réaliser dans un premier temps que dans la présence effective de celui-ci. Mais pour que ce décollement soit opérant, il a d’abord fallu qu’il se constitue dans l’expérimentation itérative d’une situation relationnelle paradoxale créant un contexte d’illusion de solitude en présence de l’objet. L’enjeu, pour le sujet, est de pouvoir vérifier que l’abstraction, la mise en suspens du perceptif, de la manifestation active du lien sur la scène externe au profit du transfert de l’investissement à l’interne, sur la représentation, ne menace ni le sujet, ni l’objet, ni leur lien. Du côté de l’objet, cela implique un certain degré de tolérance au paradoxe de cette situation, ainsi qu’au processus de détachement du sujet qu’elle sous-tend. Il doit pouvoir demeurer suffisamment discret et silencieux pour être absenté, tout en se tenant à disposition, pour pouvoir percevoir et répondre aux sollicitations éventuelles.

Les expériences subjectives du bébé sont ainsi articulées aux états affectifs et corporels, mais aussi aux expériences de la personne qui prend soin de lui, dans sa disponibilité, sa malléabilité et sa fonction de régulation des états de tension et d’excitation.

Il semble que le bébé perçoive l’Autre d’abord à partir des changements d’état affectif et corporel que ses interventions suscitent. En effet, le nourrisson immature manque de

161 GAUTHIER J.M., (1999), Le corps et son interprète, in Le corps de l’enfant psychotique, Dunod, Paris, pp. 119-142 162 WINNICOTT D.W., (1975), Jeu et réalité. L’espace potentiel, Gallimard, Paris

163 ROUSSILLON R., (2002), La capacité à être seul en présence du couple, in Revue Française de Psychanalyse, vol. 66, n° 1, pp. 9-20

capacité à s’auto-réguler164. Il peut être particulièrement sensibilisé, et par conséquent, très vulnérable à des stimuli sensoriels et affectifs, tout en manquant de capacités psychiques et cognitives pour saisir et moduler leur détresse psychique. C’est par l’intermédiaire de la co-régulation, avec l’objet-environnement premier, de ses état affectifs et corporels, par exemple le changement de l’état lié dû à la faim à l’état dû à la satiété, que l’enfant développe un sens de soi continu et une préforme d’identité unifiée. En cela, on peut parler chez le nourrisson de « corps relationnel », impliqué dans la rencontre avec l’autre.

Ainsi, pour J.M. Gauthier165, penser le corps relationnel du bébé, c’est penser le corps réel dans la relation à l’objet premier. Ces relations apporteraient ainsi non seulement le milieu puissamment émotionnel et la valence des premières traces mnésiques du bébé, mais aussi les modèles sensoriels et moteurs pour « encoder » les informations à partir desquelles il conçoit un sens de lui de plus en plus intégré. Ces informations seraient encodées par et dans le corps, qui, en quelque sorte, « marque les points »

Ceci organise en outre les premières représentations de « soi avec l’autre », du principe d’ « être avec », sans rupture avec le « soi-noyau ». D’après D. Stern, elles seraient le produit des abstractions que le bébé réalise dès le 10ème mois, à partir de la répétition d’expériences subjectives. Stern a nommé ces abstractions « représentations d’interactions généralisées ». Celles-ci seraient enregistrées dans une forme de mémoire précoce dite « procédurale », antérieure à l’apparition des formes de mémoire déclarative.

Elles participeraient à la constitution de schèmes mémoriels qui permettent le traitement et l’organisation des expériences subjectives ultérieures.

R. Roussillon166précise que les expériences subjectives sont corrélées aux états du corps et aux sensations issues de celui-ci. Elles seraient vécues «hors du temps» : quelle que soit leur durée objective, elles ne sont pas appréhendées comme ayant un début et une fin, en particulier lorsqu’elles s’accompagnent de déplaisir. Enfin, elles auraient tendance à s’inscrire dans des figures rythmiques élémentaires, qui lesorganiseraient dans des formes de temporalité rudimentaires.167

A ce propos, il est intéressant de noter que, puisque l’hippocampe, structure-clé du système limbique, responsable de la mémoire explicite ou « déclarative », ne se myélinise pas avant que l’enfant ait 3 ou 4 ans, on a longtemps pensé que les expériences antérieures à cette période n’auraient que peu d’impact à long terme. Le terme d’ « amnésie infantile », proposé par Freud en 1899168, correspond à la relative incapacité de se souvenir d’événements avant 3 ans. Sur cette base, on a pu penser que les expériences traumatiques précoces auraient peu d’effet, car elles n’auraient pas été mémorisées. Mais les recherches contemporaines sur le développement du bébé paraissent bien invalider cette hypothèse.

En effet, il convient de ne pas confondre le fait que les sujets n’aient pas accès à ces expériences subjectives primitives sous la forme de souvenirs remémorables et le fait que celles-ci n’aient pas été « enregistrées ». Il semble ainsi au contraire qu’elles

164 SCHORE A.N., (1994), Affect regulation and the origin of the self : the neurobiology of emotional development, ERLBAUM N.J., Mahwah

165 GAUTHIER J.M., (1999), op.cit.

166 ROUSSILLON R., (2006), op.cit.

167 Voir aussi les travaux de MARCELLI D., (1992), Le rôle des microrythmes et des macrorythmes dans l’émergence de la pensée chez le nourrisson, in Psychiatrie de l’enfant, vol. XXXV, fasc.1, pp. 57-82

168 FREUD S., (1900), L’interprétation des rêves,(1967), tr.fr. PUF, Paris

s’inscrivent de façon extrêmement précoce et durable dans le fonctionnement et l’identité mêmes des sujets.

A partir de ces considérations, on peut évoquer le modèle du moi précoce proposé par D. Meltzer169 , reprenant la théorisation de Bion170 :

« Le moi devient le cheval qui, voulant toujours suivre l’itinéraire qu’il a parcouru auparavant, fait un écart chaque fois qu’il rencontre sur son chemin un objet inconnu, tandis que les objets internes inconscients sont le cavalier qui le conduit sans relâche vers de nouvelles expériences développementales. (…) Ce changement de modèle opéré par Bion doit nous faire repenser tout le problème de la souffrance psychique et le processus développemental à partir de la toute petite enfance. Nous ne pouvons pas considérer le nouveau-né

comme une tabula rasa ; il nous faut envisager la possibilité que des expériences

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