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La séduction narcissique

présence de leur mère, elle-même agitée et loghorréïque, comme si la rythmicité propre du sujet était abolie et remplacée par la « rythmicité » anarchique et trop

1.4.5 La séduction narcissique

Dans le courant de pensée que je viens de présenter, il convient de considérer les apports du concept de séduction narcissique, de ses aléas et de leurs effets, proposé par P.C.

Racamier197.

Il postule une sorte d’ « unisson » entre la mère et le nourrisson qui succède normalement à l’unité corporelle prénatale, dont la séduction narcissique est le moteur et le ciment. Il donne de celle-ci la définition suivante (p. 23) :

« Une relation narcissique de séduction mutuelle originellement entre la mère et le bébé ; s’exerçant avant tout dans les premiers temps de vie du nourrisson avec la mère, elle vise à l’unisson tout-puissant, à la neutralisation, voire même à l’extinction des excitations d’origine externe ou pulsionnelle, et enfin à la mise hors-circuit (ou en attente) de la rivalité oedipienne. »

Selon son acception, « séduction » renvoie à un phénomène d’attraction irrésistible, qui vise à constituer une unité où chacun se reconnaît dans l’autre, ou plus exactement se reconnaît dans l’unité qu’ils forment ensemble. Le « moteur » de cette séduction-là n’est pas le

196 MELLIER D., (2002), Vie émotionnelle et souffrance du bébé, Dunod éd., Paris. TARDOS A., APPEL G., (1998), Prendre soin d’un jeune enfant, Erès éd., Ramonville Saint-Agne. GUEDENEY N. et A., (2002), L’attachement. Concept et application, Masson éd., Paris.

197 RACAMIER P.C., (1996), L’inceste et l’incestuel, Editions du Collège, Paris.

sexuel, mais le narcissique. P.C. Racamier souligne l’aspect paradoxal de la séduction et, par conséquent, de la relation narcissique. Il s’agirait d’une relation qui unit en séparant : (p. 25) « Unissant en ce qu’elle différencie et distinguant en ce qu’elle réunit ».

P.C. Racamier réfère son modèle à d’autres notions déjà connues. Ainsi il rappelle que, bien que la séduction primaire n’ait pas été développée par Freud, celui-ci la sous-entendait dès avant l’introduction du narcissisme. Toutefois, il la relie plutôt à la pensée de S. Ferenczi, qui avait fait preuve d’un intérêt particulier pour l’intersubjectivité primaire, « les archaïsmes fondamentaux ». Il évoque également « l’amour primaire » de M. Balint198, ainsi que

« « l’identification fusionnelle » de E. Jacobson199 et « l’identification adhésive » d’E. Bick200, que j’ai présentée plus haut. Il indique que ces processus reposent, selon lui, sur un fond de séduction narcissique. Il reproche l’aspect essentiellement descriptif et l’approximation théorique des concepts de « relation fusionnelle », de « symbiose » et d’« indifférenciation ».

Il rappelle que la fusion désigne un fantasme, tandis que la séduction rend compte des forces à l’œuvre, de leur fonction et de leur impact. La fonction de cette séduction semble essentiellement reliante et pare-excitante. Elle serait pour cela régie par un mouvement bi-polaire d’attraction-répulsion : il s’agirait d’amortir la disparité et soutenir les échanges entre le bébé et la mère. Sur ce point, elle rejoint la notion d’attachement proposée par J.

Bowlby, que je présenterai plus loin. Le vecteur de cette fonction serait la constitution d’un proto-fantasme d’unisson et de toute-puissance. Les cibles de la répulsion seraient toutes les excitations émanant de la perception du monde externe et du réservoir pulsionnel. En particulier, l’attraction de l’objet, l’excitation sexuelle et sensorielle, le monde objectal et le spectre de la séparation.

Selon P.C. Racamier, la séduction narcissique est un processus évolutif, qui apparaît à la naissance de l’enfant, croît jusqu’à culminer dans la fascination, avant de s’atténuer. En effet, elle se heurte aux forces de croissance qui poussent à la différenciation, à l’autonomie, à la séparation et ainsi à la distension de l’unisson narcissique. Elle entre également en concurrence avec les forces sexuelles, « qui poussent l’individu à se déprendre de sa propre substance », écrit P.C. Racamier (p. 29).

Les traces heureuses et bénéfiques, laissées par la séduction narcissique originaire lorsque l’appel sexuel et les forces de croissance l’ont emporté, se trouvent dans l’idéal du moi, sous la forme d’un sentiment profond et informel de connivence avec le monde, d’isomorphie avec le réel que P.C. Racamier nomme « l’idée du moi ». Ce sentiment permet d’appréhender le monde de façon familière, confiante et intéressée. A contrario, son absence produit une représentation du réel comme imprévisible, « restant toujours et sans cesse à séduire » (p. 31).

Les traces de la séduction narcissique fondent également le principe d’empathie. P.C.

Racamier décrit ici un phénomène similaire aux traces mnésiques d’ « être avec l’autre », constituées en objet interne, que D. Stern nomme « compagnon évoqué ».

Enfin, on les trouve dans les alliances narcissiques, fondées sur le processus d’identification narcissique. P.C. Racamier pointe ici que certaines peuvent être bénéfiques, si l’on considère le très fort pouvoir reliant, anti-exclusion, de ce type de relations. Mais il note que la plupart sont finalement néfastes, dans la mesure où, si elles assurent une étroite

198 BALINT M., (1930-1953), textes rassemblés dans Amour primaire et technique psychanalytique, (1972) Payot, Paris 199 JACOBSON E., (1985), Les identifications psychotiques, in Les dépressions : Etude comparée d’états normaux, névrotiques et psychotiques, Payot, Paris, pp. 248-268

200 BICK E., (1986), op. cit.

connivence entre les deux partenaires, elles font le vide autour d’eux. Il étudie ailleurs201 les noyaux de perversion narcissique, dérivés des « alliances intarissables », nouées par la séduction narcissique.

Ainsi, P.C. Racamier distingue une séduction narcissique originaire normale, nécessaire, qui trouve naturellement son terme, déclinant avec l’évolution du développement de la vie psychique de l’enfant, et une séduction narcissique « a-normale » et pathogène. Selon lui, cette dernière se caractérise par sa dimension aliénante : dans ce cas, les deux partenaires ne sont pas liés, mais « ligaturés » par une séduction qui n’en finit pas. Il s’agit d’une séduction « qui a mal tourné », qui est devenue captatrice. Elle est exclusive, intolérante ou aveugle envers et contre tout ce qui pourrait distraire chacun des partenaires de leur fascination réciproque : le monde extérieur, les attractions libidinales, finalement, contre le mouvement libidinal de la vie. Selon un autre référentiel, on pourrait la qualifier de « dissymbiose ».

P.C. Racamier en donne la description suivante (p. 32-33) :

« Tout les soude, rien ne les sépare, mais rien non plus ne les unit, si ce n’est l’irrépressible ciment de la séduction narcissique. « Ensemble nous formons un être à tous égards unique, inimitable, insurmontable et parfait. Ensemble nous sommes le monde, et rien ni personne d’autre ne saurait nous plaire. Ensemble nous ignorons le deuil, l’envie, la castration… et l’Œdipe. Etc » (…) Il faut être et rester deux, accolés dans l’espace et la pensée, soudés moins par le cœur et les sens que par le moi. »

Selon l’auteur, l’origine de la relation narcissique pathologique se trouve chez les mères avides et insatiables de confirmations narcissiques (p.34) :

« La relation narcissique ne s’achève pas car la mère n’entend pas qu’elle s’achève : tout simplement, elle ne le supporte pas. »

Cette relation ne pourrait s’achever par une heureuse transformation car elle n’aurait pas

« réussi ». L’auteur présente comme une évidence que « les attardés de la séduction narcissique ont été des frustrés précoces » (p.38). Il décrit les mères comme peu disponibles, et, en même temps, dans une position d’attentes disproportionnées à l’égard de leur enfant. Le gouffre narcissique qui les mine les rend incapables de mettre en œuvre les fonctions de la séduction narcissique originelle nécessaire et « normale ». Il s’agit de mères au monde interne absent ou dévasté. Elles n’ont pas connu leur père ou leur mère, ou elles n’ont pas expérimenté de relations chaleureuses et étayantes avec eux, elles ont perdu leur mari, etc…Dans ce contexte, l’enfant captif de projection narcissique envahissante, a pour mission d’incarner à lui seul les objets internes manquants. Il « concrétisera la projection par cette mère de l’idéalité qui la fait survivre à la place des présences internes qui lui manquent. (…) le court-circuit narcissique remplace les trajectoires libidinales». (p.75)

Les attitudes d’hyperprotection sont dépourvues de chaleur, elles ne correspondent en rien au principe d’accordage. Dans le même esprit, en (s’)agrippant leur enfant pour ne pas le lâcher, ces mères ne le (con-)tiennent pas.

Cette séduction interminable présente plusieurs caractéristiques. P.C. Racamier la qualifie de « dévoyée », elle serait détournée de ses buts naturels. Par ailleurs, elle serait

« dissymétrique et manipulatoire ». En cela, le parent serait agisseur, et l’enfant manœuvré, agi. Le parent y gagnerait en narcissisme, tandis que l’enfant y perdrait en autonomie et en reconnaissance d’identité. Il serait réduit à l’état d’objet narcissique du parent :

201 RACAMIER P.C., (1992), Les noyaux pervers,in Le génie des origines : Psychanalyse et psychose, chap.10, Payot, Paris

« instrument de valeur, mais instrument » écrit P.C. Racamier (p. 35). Toutefois, il précise que l’enfant n’est pas si passif que l’on pourrait le croire. En effet, il peut trouver des bénéfices secondaires non négligeables à cette situation : il peut jouir de se sentir indispensable, et de percevoir l’exclusivité de la passion dont il fait l’objet. Il peut être flatté par la grandeur à laquelle il contribue. Ainsi, de son côté aussi, c’est le narcissisme qui motive l’acceptation et la participation à l’engrenage relationnel où tout semble se vivre en termes de vie et de mort.

Trois fantasmes organiseraient la relation narcissique interminable : un fantasme de suffisance dans la complicité, un fantasme de toute puissance dans l’unité, un fantasme de mort dans la différenciation. L’auteur les traduit en ces termes (p.37) :

∙ « Ensemble nous nous suffisons et n’avons besoin de personne »

∙ « Ensemble et soudés, nous triompherons de tout »

∙ « Si tu me quittes, je me meurs »

Pour conclure sur la présentation de la séduction narcissique202, on retiendra qu’il existe deux destins de la séduction narcissique originelle, selon ses deux versants, positif et négatif. La séduction « normale », « réussie » et « positive » nourrit le moi dans lequel elle se fond. La séduction « pathologique », « interminable », aliène le moi à un éternel recommencement, une nécessité de séduction perpétuelle d’un réel dont l’investissement n’est jamais fiable.

« Rien ne saurait étancher la soif d’une séduction narcissique manquée : elle laisse de l’amertume, mais rien de fécond ; elle ne saurait déboucher que sur des dégâts, et ceux-ci feront surface à distance, soit chez l’intéressé, soit – et plus encore – dans son entourage » (p.40)

Cette réflexion de P.C. Racamier me semble tout à fait résonner avec la clinique qui fonde le champ de ma recherche. Ainsi l’utilisation des concepts liés à la séduction narcissique pathologique me paraît pouvoir heureusement éclairer certains aspects de la clinique des interactions que les enfants étudiés ont noué et noue avec leurs objets premiers, puis répétitivement avec les personnes chargées de prendre soin d’eux plus tard. Je reviendrai donc sur ces notions lors de l’étude des caractéristiques des troubles de la parentalité.

A ce stade, je propose de considérer les apports de la recherche en neurologie sur les thèmes que je viens de présenter.

1.4.6 Interactions précoces, accordage et développement

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