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Liaisons, liens intrapsychiques et relations d’objet

« Le cas du traumatisme comme effraction étendue des limites du moi

1.3.2 Liaisons, liens intrapsychiques et relations d’objet

Tout au long du développement de sa pensée sur les processus de liaison, de liens intra-psychiques, Freud évoque de façon plus ou moins explicite la question de l’objet. Il semble que ce soit à partir de l’évolution de ses théories à propos de la pulsion, et en particulier du rapport de la pulsion à l’objet, que Freud ait été amené à interroger le rapport du moi et de l’objet, « jusqu’à faire du moi le lieu des objets introjectés et perdus en tant qu’objets extérieurs. » écrit B. Brusset. 121 . Autrement dit, le moi est considéré comme le lieu d’établissement de multiples liens avec les objets internes et externes. En effet, il me semble que l’on puisse discriminer deux niveaux de liens aux objets dans le moi : d’une part le niveau des liens avec les objets du moi du sujet : imagos, processus,

117 LAPLANCHE J., PONTALIS J.B., (1967), op.cit

118 Je reviendrai plus longuement sur ces notions au cours du développement. Voir chapitre 2 § 2.2.1 « Excitations et fonctions du moi »

119 FREUD S., (1923), Le moi et le ça, in Essais de psychanalyse tr.fr. Payot, La Petite Bibliothèque, Paris (2001) 120 FREUD S., (1938), Abrégé de psychanalyse, (1950) tr.fr. PUF, Paris

121 BRUSSET B., (1988), op.cit.

instances et motions internes et d’autre part, le niveau des liens partant du moi en direction des objets extérieurs au sujet.

Depuis de nombreuses décennies, les psychanalystes ont tenté de concevoir des modèles qui permettent de relier et d’articuler la théorie des pulsions à la théorie des relations d’objets.

Dès 1909, Ferenczi définissait le transfert comme une répétition des premières relations d’objet. En 1921 122 , Freud écrit :

« Certes, la psychologie individuelle a pour objet l’homme isolé et elle cherche à savoir par quelles voies celui-ci tente d’obtenir la satisfaction de ses motions pulsionnelles, mais, ce faisant, elle n’est que rarement – dans certaines

conditions exceptionnelles – en mesure de faire abstraction des relations de cet individu avec les autres. Dans la vie psychique de l’individu pris isolément, l’autre intervient très régulièrement en tant que modèle, soutien et adversaire, et de ce fait, la psychologie individuelle est aussi, d’emblée et simultanément, une psychologie sociale, en ce sens élargi mais parfaitement justifié. » (p.137)

Il semble ainsi qu’une théorie traditionnelle des pulsions qui néglige les implications de la théorie des relations d’objet risque d’aboutir au postulat arbitraire d’un développement primaire des pulsions en tant que phénomène inné.

Or, les théories de M. Klein 123 , puis de J. Laplanche 124 font des pulsions des fantasmes inconscients chargés affectivement qui impliquent des relations désirées et redoutées entre soi et les objets internes. Selon J. Laplanche, les pulsions seraient des

« structures motivationnelles intrapsychiques» qui trouvent leur origine dans le contexte de la dépendance totale du nourrisson, non seulement vis-à-vis des soins prodigués par la figure maternelle, mais également par rapport aux messages inconscients émanant de la mère. Ceux-ci seraient ressentis comme des stimulations énigmatiques atteignant l’enfant dès sa naissance, et destinés à être activés rétrospectivement par les expériences traumatiques ultérieures. Ces expériences détermineraient le tout premier fantasme inconscient, par un processus d’accumulation d’expériences envahissantes précoces et leur élaboration inconsciente a posteriori, selon le principe de traitement après coup, décrit par Freud dès 1896 125 .

L’émergence et le déploiement de l’activité pulsionnelle impliqueraient donc l’objet.

Ceci serait particulièrement saisissable dans les manifestations pulsionnelles inconscientes hétéro et auto agressives, sous forme d’attaques contre les relations d’objet.

122 FREUD S., (1921), Psychologie des foules et analyse du moi, in Essais de psychanalyse, (2001) tr.fr. Payot, La Petite Bibliothèque, Paris

123 KLEIN M., (1932), La psychanalyse des enfants, (1959) tr. fr. PUF, Paris KLEIN M., (1934), Contribution à l’étude de la psychogénèse des états maniaco-dépressifs, in Essais de psychanalyse, (1967) tr.fr., Payot, Paris KLEIN M., (1946), Notes sur les mécanismes schizoïdes, in Développement de la psychanalyse, op.cit.

124 LAPLANCHE J., (1987), Nouveaux fondements pour la psychanalyse, PUF, Paris

125 FREUD S., (6/12/1896), Lettre à Wilhelm Fliess, in La naissance de la psychanalyse, lettres à Wilhelm Fliess, notes et plan, PUF, Paris (1956) Je reviendrai plus loin sur cette notion qui a joué un rôle essentiel dans ma recherche. Voir chapitre 2 § 2.4

« Inadéquation de l’environnement premier, défaillances des interactions précoces et théories du traumatisme »

O. Kernberg (1998) 126 insiste également sur le rôle central de l’érotisation inconsciente de la relation mère-enfant dans le développement libidinal et pulsionnel. Selon son hypothèse principale :

« Les expériences de plaisir intense de l’enfant vis-à-vis de sa mère génèrent des unités « entièrement bonnes » de représentation de soi et de l’objet, tandis que les expériences paroxystiques de douleur et de peur génèrent des unités

« entièrement mauvaises ». A l’intérieur de ces unités inconscientes, les représentations du soi et de l’objet ne sont pas encore différenciées l’une de l’autre. » (p.24)

A partir de cette lecture, O. Kernberg propose une topique des expériences de lien primitives, selon laquelle les expériences à forte charge affective s’inscriraient profondément dans l’inconscient du sujet, tandis que les interactions mère-enfant conscientes et inconscientes, intervenant dans des conditions de faible activation affective et répondant à des objectifs d’adaptation, seraient incorporées dans le moi conscient et préconscient. Les interactions à forte charge affective seraient liées et fixées dans les structures mnésiques précoces et élaborées en fantasme inconscient. Elles participeraient alors à la formation des processus pulsionnels. Il écrit :

« A mon avis, l’intégration progressive des expériences affectives agréables, idéalisées, « entièrement bonnes » de la mère, aux significations érotiques inconscientes injectées au travers de ses messages « énigmatiques »,

constituera la libido en tant que pulsion.

127

(…) De la même manière, l’intégration des expériences affectives de douleur, de terreur, de rage aux significations inconscientes des réponses énigmatiques hostiles de la mère constituera la pulsion de mort. » (p.25).

J’y reviendrai 128 .

Il semble que les théoriciens post-kleiniens notamment s’accordent à reconnaître, dans la pulsion de mort ainsi constituée, le fondement des précurseurs du surmoi persécuteur.

Selon leurs recherches, le produit de la combinaison des expressions de la pulsion de mort et des mécanismes projectifs (qui s’y associent dans l’objectif d’éconduire hors du soi ces persécuteurs internes) participeraient à la constitution du potentiel d’auto-destructivité, des tendances paranoïaques ainsi qu’aux efforts défensifs visant à éviter ou à détruire les relations intersubjectives. Il s’établirait ainsi un gradient dynamique entre des forces opposées, se déployant entre la recherche de liens à visée de satisfaction avec les objets externes de l’entourage et l’attaque de ces liens, dans le but d’éradiquer toute dépendance vis-à-vis des autres, et donc tout ressenti de frustration, mais également dans l’objectif d’éliminer le moi pensant et éprouvant. Le principe de plaisir serait associé à cette fonction qui répond à l’aspiration inconsciente de retour au repos de l’état anorganique, et donc aux

126 KERNBERG O., (1998), Relationsd’objet, affects et pulsions : vers une nouvelle synthèse, in Les liens, Journal de la psychanalyse de l’enfant, 23, Bayard, Paris, pp.21-39

127 Il semble qu’O. Kernberg fait ici allusion aux pulsions de vie Eros. Je développerai plus loin les notions de

« messages énigmatiques » érotisés, en lien avec la théorie de la séduction généralisée proposée par J. Laplanche, ainsi que celle de D. Meltzer à propos du conflit esthétique

128 Voir Chapitre 2 § 2.5 « Effets des traumatismes relationnels précoces sur l’intrication pulsionnelle et l’activité dela pulsion de mort »

pulsions de mort. A. Green 129 propose de nommer « Anti-Eros » la qualité des pulsions de mort qui concerne les forces anti-libidinales.

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