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Indices de la partie psychotique de la personnalité

« Je suis en partance Pour un monde immense Où tout est si grand Où tout est si bizarre Je suis en partance Pour un monde immense Les bruits me font peur

1 ère étude des comportements : comportements qui ne semblent pas impliquer l’autre

2.1.2 Indices de la partie psychotique de la personnalité

Néanmoins, lorsque les enfants présentent les comportements de cette première catégorie, qui signent le recours à l’identification adhésive, il semble que leur moi soit sous l’influence de la zone autistique de leur personnalité. Je pense que cette zone autistique pourrait donc être celle que l’on voit également à l’œuvre au sein du fonctionnement psychotique, plus exactement « dans la partie psychotique de la personnalité », si l’on considère les caractéristiques présentées par W.R. Bion425. Celui-ci écrivait que, lorsque le moi d’un sujet est assujetti à cette partie psychotique, « son contact avec la réalité est masqué par la prédominance d’un fantasme d’omnipotence, dans l’esprit et le comportement du patient, qui vise à détruire la réalité ou la prise de conscience de celle-ci, et à réaliser un état qui n’est ni la vie ni la mort. »

J’ai déjà montré l’importance du fantasme d’omnipotence dans le fonctionnement des enfants étudiés. J’ai indiqué que, lorsqu’ils déploient leurs comportements d’agitation motrice ou verbale, ils ne paraissent pas percevoir les autres.

Il me semble que ce fantasme d’omnipotence participe fortement à l’activation de la zone autistique et au développement de leurs comportements solipsistes auto-calmants. Le fantasme d’omnipotence est au service du retrait narcissique : il se caractérise par le rejet de l’autre et surtout de la position de dépendance vis-à-vis de l’intervention de l’autre ; le

424 BOUBLI M., (2002), op.cit., p.76 425 BION W.R., (1957), op. cit.

sujet a le fantasme de subvenir en autarcie à tous ses besoins. M. Klein a utilisé en 1952426 le concept de « retrait narcissique » à propos d’un bébé qui utilise momentanément son pouce afin de nier le besoin qu’il a de sa mère. Ainsi le retrait narcissique repose sur le fantasme - dans le fantasme d’omnipotence – de s’être approprié une partie de l’autre ou de posséder un objet qui le remplace. Ceci est le signe du registre de l’autosensualité, qui se différencie de celui de l’autoérotisme : dans l’autoérotisme, sucer son pouce vise à soutenir la remémoration d’une rencontre réconfortante et plaisante avec l’objet. L’activité contient de l’objet. Dans l’autosensualité, sucer son pouce vise à se procurer soi-même une sensation à laquelle s’agripper afin de se procurer un sentiment d’existence. L’activité vise à remplacer, voire à nier l’objet, et la dépendance à l’objet. On pourrait dire que l’autosensualité perdure lorsque les autoérotismes n’ont pas pu se constituer.

Selon A. Dubinsky427, le concept de retrait narcissique peut être utilisé pour caractériser certaines formes d’évitement du réel ou de la pensée. La non-pensée est une forme de retrait narcissique. Il me semble que les enfants que j’ai observés utilisent l’agitation, l’activité de leur corps et les sensations qui en découlent, pour se mettre en état de non-pensée, afin d’échapper à une peine, mal psychisée dont l’origine reste encore à étudier428. En effet, l’activité de pensée, que ce soit à des fins de symbolisation, de liaison subjectivante des expériences ou d’apprentissage, nécessite une suspension de l’activité motrice dispersante, et une concentration sur l’objet de la pensée. Or ces enfants en semblent incapables. Au contraire, ils déploient des processus auto-calmants, dont le résultat est de stopper la capacité de pensée et bloquer les possibilités de représentation429 : j’ai observé qu’ils ne s’absorbent pas dans un scénario de jeu mais manipulent les jouets, qu’ils ne créent pas un dessin mais griffonnent quelques traits ou figures bâclées, avant de détruire leur production ou de l’abandonner pour passer à autre chose. Enfin, ils ne peuvent rester assis et fixer leur attention sur un exercice ou une lecture que quelques minutes, lorsqu’ils y sont absolument contraints, et encore avec force contorsions, « pédalage » des jambes sous la table, « tripotage destructeur » de tout objet à proximité (crayons, gommes,…) et productions sonores. Ils ne peuvent s’empêcher de se lever et de s’agiter dans la classe. Les tentatives des adultes pour stopper ces conduites et les contraindre à rester assis et attentifs aux cours déclenchent automatiquement soit une augmentation de l’agitation : s’ils persévèrent, l’agitation évolue en « crise » de rage et d’angoisse mêlées, soit une « absence », qui rappelle fortement le mécanisme de suspension de l’attention, qui fait partie, on l’a vu, du démantèlement : les enfants semblent ne plus être « connectés » à ce qui se passe ; ils ont les yeux dans le vide, ou le regard fixé sur la fenêtre. Ils n’écoutent pas, ne réagissent pas si on les appelle… Les éducatrices disent alors qu’ils sont « dans leur bulle », « dans la lune », « dans leur monde ». Le point commun de ces expressions tient en ce qu’on ne sait où les localiser psychiquement, en tout cas, pas dans la réalité partagée…

Au Centre de Jour, les éducatrices sont confrontées à ce phénomène dans le cadre des repas thérapeutiques : elles invitent les enfants non seulement à rester assis à table jusqu’à la fin du repas, mais également à prendre la parole à propos, à écouter les discussions et à

426 KLEIN M., (1952), Quelques conclusions théoriques au sujet de la vie émotionnelle des bébés, in KLEIN M., HEIMANN P., Heimann, ISAACS S., RIVIERE J., Développements de la Psychanalyse, (1991) 6ème édition, PUF, Paris6ème édition

427 DUBINSKY A., (1997), op.cit.

428 Je reviendrai un peu plus loin sur ce point en étudiant le recours aux auto-excitations comme procédés auto-calmants.

Voir chapitre 2 § 2.1.1 « Expérience émotionnelle d’agonie subjective: des mécanismes de défense précoces au fonctionnement autistique »

429 BOUBLI M., (2002), op.cit.

donner leur avis sans empiéter sur l’espace de l’autre, sans couper la parole. Il arrive ainsi fréquemment qu’un enfant doive attendre, sans s’agiter, son tour pour prendre la parole, ou être servi. De même, il n’est pas rare qu’ils doivent écouter un autre enfant parler de peurs, de souffrances, de désirs ou de fantasmes semblables aux leurs… Cela leur est très difficile, et ils expriment parfois une vraie souffrance issue à la fois de leur difficulté et de la conscience de celle-ci. La plupart tentent d’échapper à la tension insupportable que cette situation déclenche en eux en ayant recours aux mêmes conduites d’agitation que l’on observe en classe : les éducatrices doivent mettre hors d’atteinte tous les objets qui se trouvent à proximité, pour les empêcher de se couper de ce qui se dit, et « tromper l’attente » en s’absorbant dans la manipulation. Certains s’agitent tellement que les éducatrices ont proposé de revenir à la chaise haute : elles ont trouvé des chaises à leur taille, dont la hauteur et la largeur peuvent s’ajuster. Calées tout contre la table, ces chaises présentent l’intérêt d’offrir un contenant et nous avons observé que l’agitation diminue nettement.

Enfin, les éducatrices doivent être vigilantes à la façon de s’alimenter des enfants. En effet, ils ont tendance à se précipiter sur leur assiette sitôt servis et à engloutir les aliments à grande vitesse, sans prendre le temps de mâcher. Une fois l’assiette vide, ils ingurgitent des morceaux de pain. S’il n’y a plus de pain, ils avalent des verres d’eau sans arrêt. Ceci sans paraître écouter un mot des conversations, sans même réagir lorsqu’un enfant ou un adulte s’adresse à eux ou les appelle par leur prénom. Si l’on n’interrompt pas ces comportements, ils se remplissent si bien qu’ils sont malades avant la fin du repas.

De ces observations semblent pouvoir être retenus plusieurs points : le caractère apparemment irrépressible de l’agitation et le fait qu’elle augmente si l’on tente de l’empêcher ; la nette tendance à se couper de la perception de l’environnement en se retranchant dans des activités motrices, enfin le fait que ces conduites tendent à diminuer chez les enfants qui sont contenus dans la chaise haute.

Ces observations m’ont amenée à penser cette agitation en termes défensifs, renvoyant à l’activité du bébé face aux éprouvés de douleur psychique. A. Ciccone430 rapporte ainsi que lorsqu’un bébé ne trouve pas de réponse adéquate à ce type d’éprouvé dans son monde environnant, ou lorsqu’il ne peut pas profiter des qualités de celui-ci, il utiliserait deux moyens principaux pour se soustraire aux angoisses que cet état susciterait : s’immobiliser ou se mettre en mouvement perpétuel. L’immobilisation serait selon lui une façon radicale de suspendre l’existence avec un vécu proche de « je ne suis pas là, donc je ne peux rien éprouver », tandis que le mouvement perpétuel viserait à se protéger d’un vécu corporel de dispersion, déclenché par exemple par le fait d’être nu, sans l’enveloppe contenante des vêtements.

Je postule donc que dans le fonctionnement psychique de ces enfants où perdure l’emploi des mécanismes de défense précoces, l’activité corporelle serait investie en objet-autistique. Elle viendrait pallier un défaut d’enveloppe et une défaillance des fonctions de régulation, de contenance et de transformation internes. L’agitation motrice et verbale serait ainsi investie et utilisée à la fois comme protection contre les effractions du réel extérieur intransformables et comme vecteur d’évacuation des tensions internes.

Je tiens à indiquer que M. Berger431 avait déjà formulé en 1990 une hypothèse à propos de l’agitation chez l’enfant instable qui me paraît aller dans ce sens. Reprenant une idée de R .Roussillon selon laquelle le sujet tenterait de lier musculairement ce que la psyché ne

430 CICCONE A., (1995), Le nourrisson et la douleur psychique, in Dialogue n°128, pp. 6-15

431 BERGER M., (1990), Des entretiens familiaux à la représentation de soi, Editions du Collège de Psychanalyse Familiale, Paris, p.108

pourrait pas lier en pensée (processus qui serait différent de la simple décharge pulsionnelle motrice), il postulait que ce type d’agitation pourrait être « une tentative de tenir reliés par le mouvement différents morceaux de son corps qu’il ne sent pas maintenus ensemble par une enveloppe contenante. »

J’ai indiqué432 que C.Smadja et G.Szwec ont développé cette hypothèse dans le cadre de leurs travaux sur les procédés auto-calmants.

L’omniprésence de l’agitation viendrait donc signifier l’absence de constitution d’un système d’enveloppe psychique suffisamment efficient. Ce serait l’agitation qui tiendrait lieu de système d’enveloppe : elle « ferait peau », à la place de la peau psychique. En présentant les travaux de E. Bick et G. Haag433 , j’ai montré précédemment que, grâce à un mécanisme d’identification adhésive normale, le bébé passe d’un fantasme de peau commune avec l’objet qui l’enveloppe, le porte, l’apaise et le protège, à l’introjection, la « psychisation » progressive des expériences de contenance de sa propre peau caressée, stimulée par cet objet. La constitution de la fonction contenante de l’appareil psychique se constitue donc au sein et au cours des interactions précoces.

Lorsqu’un enfant manifeste le besoin de s’agiter en permanence pour se protéger du réel et pour s’apaiser, sans jamais faire appel à l’autre pour remplir ces fonctions, lorsqu’un enfant se calme quand il se trouve contenu dans l’espace très restreint, délimité par un bord de table et le dossier, les bras en bois d’une chaise haute, il me semble qu’il vise à se tenir-contenir tout seul, en niant la dépendance à l’objet. Faisant cela, il pallie et dénie à la fois, toujours sous le primat du fantasme d’omnipotence, d’une part les manques rencontrés dans les expériences d’interactions précoces, d’autre part, les lacunes dans la constitution de son appareil psychique. Selon cette logique, le recours à l’agitation pourrait être pensé comme une défense visant à récupérer une organisation temporaire, fugace, une « identité narcissique primaire ». Il me semble que l’on puisse donc percevoir dans ce phénomène une pathologie des défenses du moi-narcissique de ces sujets, qui menacent fortement l’accrochage à la réalité.

Je trouve intéressant de remarquer que les enfants s’apaisent lorsqu’ils sont collés aux parties en bois de la chaise haute. Ceci m’a rappelé les bébés qui se collaient aux barreaux en bois de leur lit, lorsqu’ils s’éveillaient la nuit ou lors de la sieste, au lieu d’appeler leur assistante maternelle ou leur puéricultrice référente. On a vu comment cette attitude correspond à une pathologisation du mécanisme d’identification adhésive. E. Bick434 postulait que les enfants confrontés aux carences des fonctions maternelles surinvestissent l’environnement concret et inanimé, les objets matériels, et tentent de s’y agripper de manière à sentir rassemblés les parties éparses de leur personnalité, et sortir ainsi d’un état de non-intégration. Ce phénomène défensif me semble être le signe de l’introjection de l’absence ou des manques du holding de l’objet, qu’il s’agit de pallier en développant une « pseudo-indépendance », une capacité protectrice autonome, en investissant le collage aux objets-choses en lieu et place des objets de relation.

Pour cela, il semble se produire un phénomène qui me paraît proche de la fusion hallucinatoire avec l’objet : l’enfant fusionne avec l’objet par le truchement de l’objet-agitation ou d’un objet concret. L’objet-chaise haute en est un exemple. En voici un autre :

432 Voir supra § 2.1.1.1 « Rappel des fonctions des processus autistiques »

433 Voir in chapitre 1 § 1.2.2 « Hypothèses méthodologiques et référentiel d’auteurs », BICK E., (1968) et HAAG G., (1986) 434 BICK E., (1968), op.cit.

J’ai remarqué que plusieurs des enfants qui viennent dans mon bureau, lorsqu’ils cessent de tourbillonner dans la pièce, se placent rapidement contre le meuble du même nom et s’absorbent dans la manipulation d’un gros bouchon en plastique, qui sert à combler un trou laissé dans la table pour faire passer des câbles de téléphone et d’ordinateur, et que je n’utilise pas. Ainsi, lorsque les enfants arrivent, le trou est rempli par le bouchon.

Leur manipulation consiste à ôter et remettre le bouchon dans le trou. Il me semble qu’on trouve là une activité très primaire, qui signifie à la fois l’identification à la table, au trou dans la table et au bouchon. Le trou est aussi bien attracteur et répulsif. Il matérialise le vécu de trou psychique. Par le trou, la substance psychique peut s’échapper, s’écouler, se vider. Il faut boucher le trou avec un bouchon bien hermétique. Mais si rien ne s’écoule, rien ne passe non plus, rien ne vient enrichir la substance psychique. J’ai remarqué que lorsqu’ils s’absorbent dans cette manipulation, ils ne s’agitent pas, mais ils ne paraissent pas entendre mes paroles, ni même percevoir ma présence.

A ce stade du développement, on s’aperçoit que j’ai déjà fait référence plusieurs fois au processus inhérents au registre du narcissisme. Les analyses qui vont suivre m’ont amenée à utiliser fréquemment les concepts qui s’y rattachent. Aussi me semble-t-il opportun de revisiter brièvement quelques notions relatives à ce champ, susceptibles d’être utiles à l’intelligibilité des éléments proposés.

2.1.3 Pathologie du narcissisme, défenses narcissiques et troubles du

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