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Interactions précoces et accordage affectif

comme une tabula rasa ; il nous faut envisager la possibilité que des expériences émotionnelles, leur représentation symbolique dans la pensée du rêve et leur

1.4.4 Interactions précoces et accordage affectif

D. Stern a proposé ce modèle à propos des conduites d’imitation du nourrisson par la mère et de la mère par le nourrisson, dans le sens d’un partage d’états affectifs . On peut y retrouver les enjeux décrits par E. Bick à propos de l’apprentissage par mimétisme.

Lors des exposés précédents, il est apparu nécessaire que s’établisse entre l’enfant et sa mère, dès les premiers moments de vie, une relation fondée sur le partage des émotions et des sensations, régie par un principe d’accordage affectif réciproque 183 et amodal. « Pour que s’organise un lien suffisamment sécurisé avec un objet investi, il est nécessaire que celui-ci soit progressivement « perçu », « construit » et conçu » comme un double de soi. » 184 . C’est-à-dire un double qui n’est pas identique, mais suffisamment semblable pour être investi comme miroir de soi, et suffisamment autre pour ne pas être confondu. L’altérité tempérée de l’objet introduit une possibilité d’écart par la modulation de ses réponses aux émissions du sujet. L’organisation de cette relation en double repose sur les compétences croisées de la mère et, plus particulièrement, du bébé : il est aujourd’hui reconnu que le bébé dispose de facultés innées de projection et d’imitation.

181 STERN D., (1989), op.cit.

182 Voir HOPKINS J., (1992), Echec du « holding » : quelques effets du rejet physique sur l’attachement de l’enfant et sur son expérience interne » in Devenir, vol.4, n°4, pp.49-67

183 STERN D., (1989), op.cit.

184 ROUSSILLON R., (2003), op.cit.

L’imitation concerne presque exclusivement les perceptions : elle a pour enjeu essentiel et narcissique de préserver le sentiment d’une continuité d’exister en cherchant à conserver les impressions laissées par l’objet. « Imiter afin d’être » écrivait E. Gaddini185 (p. 972). À ce stade en effet, le sujet a besoin de sentir pour exister, et le lien vital à l’objet se traduit par une identité de perception. En effet, il a le sentiment de rétablir la relation à l’objet de façon toute-puissante et magique dès qu’il appréhende la perception que l’objet suscite en lui (nous avons vu précédemment comment, pris dans l’illusion fruit des difficultés de discrimination et d’attribution, il se vit comme créateur de son environnement). D. Stern dénomme « accordage affectif » le fait que l’imitation puisse traduire le passage d’états internes de la mère au bébé et réciproquement, par la contagion d’affect.

Etudions ce processus du côté du bébé : si le bébé excelle à percevoir et à s’imprégner des sensations que lui procure son environnement, il ne dispose que de très faibles compétences en termes d’élaboration des effets de déliaison interne de ces perceptions, d’auto-régulation de l’excitation qu’elles suscitent et de modification de l’état de souffrance que les débordements de ses systèmes intégratifs engendrent. Aussi se doit-il d’expulser ces expériences sous forme de projections, dans ce qu’il considère comme la partie de son soi apte à les traiter, et à les lui restituer au travers d’une image de soi réunifiée. Cette partie de soi à laquelle il délègue ainsi, qu’il « contamine de sa personne » 186 (p.221), c’est l’objet en tant que figure du double, le « moi-environnement », supplétif et auxiliaire.

Il semble que l’accordage affectif doive surtout intervenir lors des états affectifs paroxystiques du bébé, qui le menace de désorganisation. A propos de ces états, D.

Stern parle d’ « affects de vitalité ». Cette expression concerne la qualité de ce qui est ressenti par le bébé lors des changements d’état émotionnel, liés à des accès de colère, de joie ou à une inondation de stimulus (lumière, son…), voire une suite accélérée de pensée.

Ces états appellent une transformation de la part de l’objet qui propose alors au bébé une reformulation de son état subjectif.

Pour que cet appareillage soit efficient, il faut qu’il s’organise selon un double mouvement qui autorise une véritable rencontre dans laquelle les deux partenaires soient également actifs. D’un côté, l’objet stimule le sujet, la mère « va chercher » le bébé, en suscitant des perceptions en lui par l’effet de ses stimulations adressées. De l’autre, le bébé projetant doit rencontrer la compétence de son objet, disposé à la complémentarité.

Celle-ci suppose qu’il puisse tolérer les effets de la « contagion psychique » sur sa propre organisation, de façon à pouvoir s’identifier à l’enfant et recevoir sereinement ses projections. Cet appariement correspond à cette disposition particulière de l’objet premier, de l’ordre de la préoccupation maternelle primaire 187 , que G. Haag a si joliment nommée « élan au fond de la tête de l’autre » 188 (p.28). Ce mouvement fonde la rencontre émotionnelle, ou élationnelle primitive 189 , qui autorise le phénomène d’accordage affectif

185 GADDINI E., (1969), De l’imitation in Revue Française de Psychanalyse, L II, 4

186 KONICHECKIS A., (2002), Modalités du lien dans la clinique au quotidien : des identifications à la crèche, in MARTY F.

et col. Le lien et quelques unes de ses figures, op.cit., pp. 215-232 187 WINNICOTT D., (1956), op.cit.

188 HAAG G., (2000), Discussion, in LACROIX M.-B., MONTMAYRANT M. et col., Enfants terribles, enfants féroces, Erès, Ramonville Saint-Agne, p.28

189 ROUSSILLON R., (2003), op.cit.

réciproque 190 , c’est-à-dire, la pénétration des expériences affectives dans le domaine de l’intersubjectivité. Il se manifeste par une forme d’interaction fondée par une chaîne d’ajustements allant du sujet à l’objet et de l’objet au sujet, selon le principe de réflexivité

« au mode près » décrit plus haut. L’expérience paradigmatique soutien de cette rencontre est le moment de relation « les yeux dans les yeux ». Les deux partenaires sont alors chacun capables de modifier attitudes, comportements, gestes et postures, à partir de ce qu’il comprend que l’autre émet dans sa direction. Mais, selon G. Haag, il n’est pas évident que

« l’élancée » et la plongée dans le regard de l’autre s’accompagne d’un retour « enrichi » de substance psychique, à la fois du côté du contenant, ou conteneur intrapsychique (sentiment d’enveloppe), et du côté des contenus (coloration affective, formes perceptibles, figurations, personnifications, liaisons symbolisantes donnant lieu à des représentations dramatisées de plus en plus riches). Elle pose à cela deux conditions préalables chez le bébé et son partenaire, qui doit pouvoir se mettre en position de dépendance introjectante. Elle écrit à ce propos :

« Il faut que la sensation de l’appui-dos se combine à une pénétration du regard, à condition que cette pénétration soit douce et rencontre un « fond » capable de rebondissement, d’élasticité, de renvoi. Ce fond doit posséder des qualités d’impressivité, au départ sans représentation figurée, comme si ce qui était d’abord mis au fond était seulement ces qualités-là même, au mieux l’idée seulement de la coloration, assimilée aux affects. » (p.225)

Ainsi l’accordage ne relève-t-il pas de la reproduction à l’identique ; il se situe au-delà de l’imitation, qui traduit la forme, tandis que lui-même traduit la sensation contenue et signifiée dans/par la forme. Ceci semble correspondre aux prémices et aux bases de l’identification et du jeu.

«Ce qui est rendu, ce n’est pas en soi le comportement de l’autre personne, mais plutôt un certain aspect du comportement qui reflète l’état émotionnel de la personne. (...) L’accordage traite l’état subjectif en tant que référent et le comportement manifeste en tant que l’une des multiples manifestations ou expressions possibles du référent. »

, souligne D. Stern (p.185).

L’accordage du côté de l’objet me paraît faire écho à la fonction alpha décrite par Bion191, dans le sens où il porte aussi des enjeux de transformation, de « détoxification » des données sensorielles reçues du sujet, avant la restitution par l’ajustement, de façon à ce qu’il puisse se les approprier, et non les rejeter. L’objet dans ce rôle assure une fonction de filtre protecteur des débordements émotionnels et de liaison des quantum d’excitation libre. D’autre part, lorsque l’objet ressent une expression émotionnelle du sujet comme trop intense, inadaptée au regard de la nature objective de son élément déclencheur, il ajuste sa réponse dans le sens de l’atténuation de l’intensité émotionnelle de son accordage. Il propose ainsi une certaine forme de « recyclage » des émotions, de réaménagements des états subjectifs. Selon R. Roussillon192, « cette forme d’ajustement revient à commencer à transmettre au bébé la différence entre un affect « passionnel », intense, adapté à certaines conditions bien particulières, et un affect-signal qui se contente de « représenter » l’affect, d’en donner le signe ».

190 STERN D., (1989), op.cit.

191 BION W.R., (1962), Aux sources de l’expérience, PUF, Paris 192 ROUSSILLON R., (2003), op.cit.

L’absence de cet écart, ce hiatus, cette discontinuité, indispensables à l’exploration signifiante de ses états intérieurs propres et des mouvements de son objet, a pour effet d’entretenir, si ce n’est d’augmenter, l’état affectif paroxystique, devenue excitation partagée dans un fantasme symbiotique. L’ajustement et ses effets bénéfiques pour l’enfant n’opèrent pas, tant ils demeurent tous deux dans l’identique. La confusion s’installe là où l’individuation aurait pu heureusement advenir.

Par ailleurs, une autre composante de l’interaction, essentielle aux yeux de R.

Roussillon193, paraît nécessaire pour que le bébé jouisse de l’efficience de la réflexivité.

En effet, l’investissement positif de la révélation d’affects préalablement inconscients, l’avènement heureux et la pérennité des mécanismes d’conservation et des auto-érotismes sont conditionnés par le plaisir que prend l’objet dans ce type d’échange. On a vu plus haut les effets désastreux, sur la qualité de l’identité constituée par le sujet, que produit le fait d’être « mal reflété », et par un objet qui n’y prend aucun plaisir.

Nous avons vu que l’accordage de l’objet au sujet dépend de sa capacité à se rendre disponible pour recevoir les projections et les restituer de manière adéquate. Mais D.

Stern précise que le processus d’accordage est réciproque. Il existe donc des états internes qui « appartiennent » à l’objet qui sont communiqués au bébé. Le mode de fonctionnement ainsi que les fantasmes inconscients de l’objet premier peuvent suivre le même chemin. La perception de plus en plus complexe qu’a le nourrisson des interactions entre lui et son objet comprend le « stockage » des messages inconscients émis par ce dernier. Ceux-ci semblent être destinés à être activés rétrospectivement par le sujet. A propos des enfants instables, M. Berger194 a fait l’observation suivante :

« Certains enfants ne sont instables, et cela de manière importante, qu’en

présence de leur mère, elle-même agitée et loghorréïque, comme si la rythmicité

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