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Hypothèses cliniques

primaire ? Ce qui est théoriquement difficile à envisager se retrouve en revanche en clinique où les objets peuvent ne pas être suffisamment bons, soit parce

1.6 Présentation des hypothèses

1.6.3 Hypothèses cliniques

1. Les enfants concernés par la recherche ont vécu des expériences traumatogènes dans les liens primaires à l’objet, lors de leurs premiers temps de vie. Ils auraient eu affaire à un objet premier défaillant, à la fois décevant et effrayant, qui se serait dérobé aux projections du sujet, ne se serait pas adapté à ses besoins, et lui aurait fait vivre des expériences répétées d’empiètement. Ce vécu précoce aurait gravement entravé le développement de leur appareil psychique et de leurs capacités de liaison élaborative. L’introjection d’une fonction insuffisamment contenante et régulatrice, associée à l’échec de la séduction primaire, aurait fomenté des zones de fragilité narcissique et identitaire, et aurait été à l’origine de la fixation à des modalités d’identification archaïques, ainsi qu’à un fonctionnement défensif pathologique, sous le primat des mécanismes de dissociation et de multi-clivage. Les phénomènes de désintrication pulsionnelle et de clivages du moi extrêmes conduiraient à une atomisation du moi. Ce vécu précoce traumatogène aurait également contribué à la constitution d’objets internes haineux, simultanément absents et envahissants.

2. Les caractéristiques des défaillances de la relation primaire à l’objet auraient

participé à la constitution d’un modèle interne de la rencontre insécure, associé à un

« appareil à relationner » défaillant, qui relèveraient de la clinique du traumatisme.

Les comportements relationnels, ainsi que les attitudes et postures corporelles des enfants observés porteraient les traces et seraient fortement influencées par la

reproduction inconsciente de certaines des caractéristiques des interactions primitives traumatiques qu’ils auraient expérimentées de façon répétée avec leur premier

donneur de soins. Ces enfants présenteraient une construction pathologique de l’originaire, dont les effets traverseraient les trois niveaux de liens mentionnés : intra-, trans- et inter-. Du fait de l’inadéquation des interactions précoces, le lien originaire

264 GODFRIND-HABER J., HABER M., (2002), De la communication par identification projective, in Revue Française de Psychanalyse , tome LXVI

n’aurait pas apaisé ni transformé le trauma « classique » issu de la confrontation à l’originaire. Aussi les quatre fantasmes inhérents à ce registre, qui contiendraient les notions de l’autre et du rapport à l’autre, se seraient-ils organisés sous le signe de la persécution. Le modèle interne de la rencontre reposerait sur une représentation de l’autre et du principe de la relation, tout à la fois idéalisés et appréhendés comme imprévisibles et dangereux ; mais également objets de fascination, d’envie et objets de crainte, objets-cibles d’attaques haineuses. Ce modèle serait activé lors de chaque nouvelle potentialité de rencontre d’objet. Les interactions qui en résultent seraient organisées par les processus inhérents au lien traumatique, lien qui condenserait les expériences subjectives primitives, les relations d’objet primaires intériorisées, les aléas des processus de liaison congruents, et les phénomènes d’aliénation à l’objet réel.

3. Lesenfants qui présentent une pathologie des traumatismes relationnels précoces ne pourraient investir l’autre proposé en tant qu’objet potentiel, ou, comme l’exprime Winnicott,WINNICOTT D.W., (1975), Objets de l’usage d’un objet, in La crainte de l’effondrement, op. cit.(p. 234), ils ne seraient pas en capacité d’utiliser l’objet, de

« faire usage de l’objet », car ils resteraient fixés au stade du « mode de relation à l’objet », dans lequel celui-ci ne serait pas perçu dans le réel, mais demeure un

« faisceau de projections ». Ces enfants ne pourraient ainsi percevoir ce dernier qu’à travers la souffrance que sa rencontre procure. Ils ne pourraient par conséquent en retirer de bénéfices en termes de dégagement et de maturation psychiques.

Il semblerait que cette souffrance soit en lien avec l’émergence d’insupportables angoisses, appartenant au registre des agonies subjectives primitives. Elle paraît recouvrir différentes formes d’angoisses catastrophiques d’anéantissement, aux enjeux projectifs de persécution, qui donneraient lieu à un traitement défensif du même registre de fonctionnement. Ceci révèlerait l’existence active, chez ces enfants, de zones de fonctionnement autistique et psychotique.

4. C’est pour répondre à un impératif de dégagement, ou d’évitement de l’envahissement par l’angoisse, ainsi qu’à la nécessité urgente de décharge

immédiate de la tension interne dans la sphère psychomotrice, que se déploierait la répétition des comportements pathologiques.

∙ soit en expression directe par le recours au registre sollipsiste de l’« agitation de désinvestissement » et des agirs, pour pallier les défaillances du système pare-excitation, des capacités d’élaboration et de liaison intrapsychique, ainsi que de l’ « appareil à signifier ».

∙ soit en expression indirecte par un processus de projection en l’autre, objet d’emprise

266 , utilisé alors en « double narcissique de soi ».

1. La compulsion de répétition, la maîtrise absolue des expériences de déplaisir par sa production, les attaques inconscientes de tout processus de lien, de même que l’expression des affects éprouvés chez l’objet comme chez le sujet dans leurs aléatoires rencontres, affects qui écartent au lieu de rapprocher, signeraient la présence active de la pulsion de mort, ainsi que le travail de la haine primaire.

Cela produirait un principe de non-relation, à l’intérieur de la relation, analogue à l’expression négativante des anti-liens, qui appellerait l’utilisation défensive et palliative de fantasmes symbiotiques. Chez ces enfants « incapables d’oubli », dépourvus des bases de la symbolisation nécessaire au refoulement, et donc d’un inconscient fonctionnel, il en résulterait la reproduction sans fin, en boucle du trauma

initial, dramatiquement « validé » et perpétué dans le réel par les expériences actuelles qui alternent phases de fusion et phases de rupture. Ainsi se creuserait l’antagonisme entre le sujet et ses objets potentiels d’investissement. L’issue tragique que l’on pourrait redouter semble être celle de la désobjectalisation, impasse

relationnelle paroxystique.

2. Néanmoins, l’implication des objets de l’environnement dans les comportements et interactions pathologiques montrerait qu’une « spore d’objet » serait toujours présente, même dans les attitudes apparemment les plus auto-centrées, ne serait-ce qu’à cause des formes spectaculaires des comportements déployés qui empêchent l’environnement d’en faire abstraction : le bruit qu’ils produisent attire l’attention, leurs chutes appellent des protections et des soins, leurs « déconnexions » des petites contraintes quotidiennes mobilisent une prise en charge totale par l’environnement…

Dans ces comportements, il apparaîtrait toujours que ces sujets, sans doute à leur insu même, délèguent à l’environnement la pulsion d’autoconservation qui les habite nonobstant. Il semble qu’il existerait ainsi une intrication libidinale certes minimale, mais toujours présente, ainsi qu’un espoir de reprise signifiante. Ceci m’amène à penser, avec Winnicott encoreWINNICOTT D.W., (1961), L’effet des parents psychotiques sur le développement de l’enfant, in De la pédiatrie à la psychanalyse, op.cit., pp. 385-397, que ces comportements seraient tout de même le signe que tout espoir n’est pas perdu chez le sujet, et par conséquent, ne doit pas l’être chez l’objet potentiel.

Pour une pleine intelligibilité du développement à venir, je tiens à préciser d’emblée que son organisation ne suivra pas le fil des hypothèses que je viens d’énoncer : je ne ferai pas correspondre une partie à l’étude d’une hypothèse. Toutefois, je reviendrai régulièrement sur ces hypothèses afin de proposer de « faire le point », et d’évaluer en quoi les éléments abordés dans chaque partie participent à leur confirmation ou à leur infirmation.

A ce stade, plusieurs problèmes thérapeutiques se posent :

Comment aider ces enfants à sortir du cercle vicieux et mortifère de la répétition ? Soit, au regard de ce qui précède, comment les aider à oser « lâcher » leur identité, leur place précédente et les fonctionnements qui en découlent, oser se confronter à une phase vide d’auto-représentation, vérifier qu’ils peuvent y survivre, et internaliser cette expérience ?

Comment aider ces enfants à vivre un moment relationnel qui demeure « informe » pour eux jusqu’à ce qu’ils puissent y mettre du sens ?

Si l’on considère, avec Bowlby, que c’est l’investissement d’une nouvelle figure d’attachement positive qui peut permettre le réaménagement des modèles internes opérants sur des bases plus sécures, comment aider ces enfants à tolérer d’investir ce nouvel objet et ainsi accéder à l’objectalisation, pour progressivement se détacher des fonctionnements en processus primaires ?

J’ai pu observer à quel point toute incitation à l’activité de pensée pouvait être mal tolérée par ces enfants, et éveiller en eux une terreur indicible. D’abord parce qu’ils semblent en avoir une appréhension psychotique et lui prêtent un caractère magico-opératoire ; la crainte principale est que cette « convocation » des réminiscences sur la scène interne ne ramène le vécu d’alors. Crainte aussi que le « lâchage du sensoriel » détruise ou implique la disparition de l’objet réel auquel ils se doivent d’être agrippés, même de manière violente, pour la pérennité de l’efficience de leur fonctionnement et de leur sentiment d’exister.

J’ai noté chez certains une grande intolérance au silence, à la solitude et à l’inactivité motrice, qui sont les conditions sine qua non de l’avènement de la pensée. On perçoit bien dans la nécessité impérieuse de se manifester activement, de mobiliser, de « tenir » l’objet du regard, de la peau, de la voix, comment celui-ci n’est perçu qu’en « prolongement » du sujet lui-même et non en entité singulière267. Le principe de permanence psychique n’étant pas acquis, si le sujet suspend l’accrochage sensoriel, il risque d’être envahi d’angoisses de mort ou de dissolution.

Il semble que le thérapeute ne doive pas échapper d’emblée à cette logique : il est lui-même appréhendé par la nature de ses incitations – et l’espace lui-même de rencontre par effet de contamination - non pas comme objet réel, mais comme facteur de déclenchement de ces risques.

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