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Atteintes de l’intelligence et dégradation des capacités cognitives

psychopathologie parentale et constitution des troubles chez l’enfant

1.7.6 Troubles observés

1.7.6.2 Atteintes de l’intelligence et dégradation des capacités cognitives

Les enfants observés manifestent peu de curiosité. Ces enfants peuvent être qualifiés par les personnes qui s’en occupent de « vivants », « pétillants », « joueurs »…alors que leur attitude m’a paru plutôt traduire en réalité une incapacité à se concentrer plus de quelques secondes et à sortir d’un registre d’activité à visée essentiellement manipulatrice, souvent destructrice et dispersante. Ils créent rarement et paraissent ne pas savoir jouer à « faire semblant », à inventer des histoires avec des personnages qu’ils incarneraient ou seraient incarnés par des figurines. M. Berger avait déjà observé334 que toute activité graphique, aussi bien le dessin que l’écriture semble dénuée d’intérêt. Aussi la production de dessins chez ces enfants est-elle rare. Il indiquait que l’idée ne semble pas venir à ces enfants et qu’ils opposent à toute incitation un refus catégorique. Lorsqu’ils s’y risquent, c’est presque exclusivement sur un tableau où les traits peuvent s’effacer facilement et en disant qu’ils ne savent pas faire, qu’ils ne vont pas y arriver ou que ce qu’ils vont produire sera « raté ». J’ai observé de mon côté qu’ils cherchent toujours un coloriage ou à « décalquer » l’illustration d’un livre qu’ils colorieront ensuite. Certains n’hésitent pas à cacher que leur dessin est copié ou « décalqué », ou encore à s’approprier le dessin d’un autre, afin de recevoir des compliments. S’il s’agit d’un dessin véritablement personnel, il est en général exécuté sans application et ils peinent à en parler. Souvent il est rapidement effacé, ou, si le support est une feuille de papier, elle est souillée ou découpée. Selon M. Berger, « il existe donc une difficulté à produire quelque chose qui reste. » (p.78)

D’autre part, il leur est extrêmement difficile d’entrer dans les apprentissages scolaires et, bien souvent, après une phase de stagnation, leur évolution intellectuelle s’infléchit.

Lorsque j’ai effectué un bilan plus précis avec ce type d’enfant, des dégâts cognitifs massifs sont apparus ; j’ai repéré notamment des carences et des dysharmonies très importantes dans les acquisitions et les compétences.

334 BERGER M., (1999), L’enfant instable, Dunod, Paris

L’utilisation des échelles de développement est fondée sur l’appréhension de l’intelligence comme une fonction d’établissement de relations335, elle est donc liée aux notions relatives aux capacités de liaison intra-psychique. Pour observer la qualité de développement de cette fonction, on en évalue le produit à travers l’expression d’une capacité. Le produit (ou la performance) n’est que le résultat, à un moment donné, des fonctions de liaison que le sujet est capable de mettre en œuvre dans une situation particulière. Beaucoup d’enfants ont un QI bas, avoisinant 54 à l’âge de 7-8 ans.

Lorsque j’exerçais à l’Aide Sociale à l’Enfance, j’ai pu proposer des passations de l’Echelle du Développement Psychomoteur de Brunet-Lézine à une petite dizaine enfants âgés en général de 10 à 30 mois. J’ai effectué des passations espacées de quelques mois à partir du moment où les enfants étaient retirés de leur environnement d’origine et confiés à des familles d’accueil. J’ai expérimenté ce principe de passation répétée, dans l’objectif de saisir la dynamique de développement de ces enfants et d’évaluer l’influence de la qualité du milieu et des soins reçus sur celle-ci. Par ailleurs, cette pratique me paraissait présenter l’avantage de constituer un temps d’observation clinique privilégié, car elle me donnait l’occasion de rechercher l’apparition (ou la disparition) de mécanismes de défenses pathologiques précoces, tels que les attitudes de retrait336, les troubles du tonus musculaire, l’inexpressivité, les procédés auto-calmants ou les jeux sur les niveaux de vigilance.337 Le résultat de ces observations est à considérer avec prudence, car je n’ai effectué cette étude que sur un nombre restreint d’enfants338, et dans des conditions de maîtrise imparfaite des paramètres susceptibles d’interférer et de biaiser les résultats339. Toutefois, j’ai pu observer avec une telle intensité de récurrence le phénomène que je vais évoquer que j’ai jugé intéressant de le présenter. Il me semble que cet « essai expérimental » donne un résultat suffisamment significatif pour imaginer que la dynamique de développement précoce des enfants placés donnera lieu un jour à une étude d’une plus grande ampleur, effectuée dans des conditions plus rigoureuses par d’autres chercheurs.

J’ai ainsi observé trois points intéressants :

∙ chez tous les enfants testés, on constate une reprise significative de la dynamique de développement après quelques mois d’accueil, puis cette reprise faiblit et le

335 PERRON-BORELLI M., PERRON R., (1970), L’examen psychologique chez l’enfant, 7ème édition (2001) PUF, Paris, 272p.

336 GUEDENEY A., (1999), op.cit.

337 J’utilisais alors en référence l’Echelle Alarme Détresse Bébé conçu par l’équipe de A. Guedeney. Voir http://adbb.net/

echelle.html

338 En effet, j’ai débuté cette pratique quelques mois seulement avant mon départ pour un autre terrain de pratique où je ne rencontre pas d’enfants aussi jeunes.

339 C. Castellani et K. Ninoreille, psychologues cliniciennes – chercheuses dans le service de pédopsychiatrie où j’exerce actuellement – indiquent par exemple que l’investissement de la passation par la personne qui accompagne l’enfant influence les résultats. Dans la mesure où le protocole de passation stipule qu’il convient dans certains cas de consulter l’accompagnateur, il peut exister des différences significatives entre les résultats obtenus lorsque les passations sont proposées à des enfants accompagnés des personnes auxquels ils sont confiés par un examinateur indépendant, et les résultats obtenus lorsqu’elles sont proposées par un examinateur qui travaille pour l’institution qui emploie les personnes sus-citées. Ainsi, elles indiquent que les résultats obtenus seraient moins élevés lorsque l’examinateur est employé par l’institution qui emploie les donneurs de soins. Leur hypothèse est que ceux-ci auraient tendance à minimiser les réussites de l’enfant à certaines épreuves, de façon à montrer la difficulté de leur travail. A contrario, les résultats seraient plus élevés lorsque l’examinateur est indépendant, car les donneurs de soins tendraient à maximiser les réussites dans le but de faire valoir la qualité de leur prise en charge.

développement stagne avant que la dynamique ne s’infléchisse à nouveau pour rester à un niveau inférieur à la moyenne des enfants du même âge.

∙ d’autre part, j’ai observé l’installation d’une dysharmonie entre les différents

secteurs du développement étudiés. J’ai trouvé des résultats assez élevés dans les registres « posture » et « coordination », qui impliquent surtout l’activité autonome et l’investissement du corps propre, de la musculature et la cohésion des mouvements.

Ces enfants étaient d’ailleurs souvent qualifiés de « débrouillards » et « agiles ».

Par contre, j’ai trouvé des résultats très bas dans les catégories « langage » et « sociabilité », qui impliquent la sphère relationnelle et se structurent dans l’intersubjectivité primaire, ainsi que je l’ai exposé plus haut. Enfin, j’ai constaté un phénomène d’inversion dans l’ordre des acquisitions. Les acquisitions des

registres « posture » et « coordination » précédaient celles des registres « langage » et « sociabilité ». Ainsi les enfants pouvaient-ils réussir aux items des premières catégories correspondant à leur classe d’âge, voire correspondant à des classes d’âges supérieures, tandis qu’ils échouaient aux items des deux autres catégories correspondant à leur classe d’âge ou à des classes d’âge inférieures.

A l’hôpital de jour, la très grande majorité des enfants plus âgés auxquels j’ai pu proposer une échelle de développement (Telles WIPPSI-III, WISC-III, WISC IV), avant leur entrée et le démarrage des soins, présentaient également des profils cognitifs dysharmoniques, ne dépassant pas 70 à 75, ce qui les situe dans le registre de la déficience par rapport à la moyenne des enfants du même âge, avec une différence significative entre QI verbal et QI performance. On observe là aussi un effet de surinvestissement du registre Performance et un très faible niveau dans le registre Verbal. D. Josse340 indique qu’on ne considère qu’il y a un véritable retard que si le QD global est inférieur à 70. Mais cela a été établi à partir de cotations réalisées avec des enfants prématurés, ou présentant d’autres difficultés, ou encore vivant dans un environnement non-défaillant. Il semble qu’il n’y ait pas eu à ce jour d’étude menées dans un contexte de dysfonctionnement parental précoce et de situation de traumatismes relationnels précoces. C. Castellani341 a mesuré le QD de 10 nourrisson âgés de 30 mois (seuil de l’Echelle de Brunet-Lézine) vivant dans des familles très dysfonctionnelles ou ayant été placés récemment, leur QI étant mesuré à la même période grâce à l’échelle de WIPPSI-III qui débute à cet âge. Il est apparu une nette concordance entre QD et QI. Ainsi un enfant ayant un QD à 82 avait un QI à 84 ; un autre au QD à 75 obtenait un QI à 77, avec une proportion de liaison de 94%.

Ces résultats suggèrent deux remarques. D’abord, d’un point de vue théorique et clinique, QD et QI n’évaluent pas les mêmes éléments du fonctionnement intellectuel et affectif342, et aucune recherche d’une ampleur conséquente ne semble avoir été réalisée à ce jour pour déterminer s’il existe une continuité entre QD bas et QI bas. Par ailleurs, les résultats obtenus par C. Castellani sont fondés sur l’étude d’un échantillon trop faible pour en tirer des conclusions définitives, comme pour l’étude que j’avais moi-même réalisée à propos de la dynamique de développement des enfants placés. Toutefois, là aussi, on peut leur reconnaître l’intérêt d’apportrer une hypothèse de travail crédible, susceptibles d’inviter d’autres chercheurs à approfondir les investigations en augmentant la taille de l’échantillon.

340 JOSSE D., (1997), Le Brunet-Lézine Révisé, Editions et Applications Psychologiques, Issy-les-Moulinaux

341 CASTELLANI C., (2005), Recherche non-publiée, réalisée pour le Service de Pédopsychiatrie de l’hôpital Bellevue – CHU de Saint-Etienne

342 voir PERRON-BORELLI M., PERRON R., (1970), op. cit.

La considération des aléas de la dynamique développementale cognitive des enfants qui constituent la population étudiée me paraît intéressante, dans la mesure où la croissance et la complexification des connaissances et des capacités intellectuelles d’un sujet dépendent largement de la qualité de l’établissement et du développement précoces des fonctions de liaison. J’ai ainsi été interpellée par les phénomènes de ralentissement, de stagnation, voire de régression du développement psychomoteur, qui montrent le défaut de permanence de l’expression de ces capacités et des acquisitions. D’autre part, plus que le niveau ou la vitesse du développement, il me semble que les atypies, les dysharmonies et les inversions dans les acquisitions signent une organisation singulière du fonctionnement mental de ces sujets.

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