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Hypothèses méthodologiques et référentiels d’auteurs

« La notion d’objet est envisagée en psychanalyse sous trois aspects

1.2.2 Hypothèses méthodologiques et référentiels d’auteurs

J’ai constaté que les enfants qui ont vécu des traumatismes relationnels précoces répétés, lorsqu’ils sont placés en situation d’entrée en relation, réenclenchent systématiquement certains types de comportements avec leurs partenaires d’interaction. J’ai fondé ma recherche sur l’hypothèse méthodologique qu’une lecture et une analyse détaillées de ceux-ci peut permettre de comprendre quelques aspects de leur fonctionnement dans le registre relationnel, mettre en exergue les défauts et manques dans leur appareillage psychique, mais aussi ouvrir l’accès à la reconstruction de l’anamnèse de ceux-ci, en révélant les

76 Je ne citerai ici que deux exemples d’impasse choisie par renoncement. Tout d’abord, l’étude des caractéristiques de genre : le lecteur sera sans doute interpellé par le fait que la majorité des cas que je vais présenter concerne des garçons. J’ai en effet constaté qu’à l’hôpital de jour ou en consultation, j’ai été amenée à rencontrer principalement des garçons. Parmi l’ensemble de la population à partir de laquelle j’ai effectué ma recherche, la proportion est d’environ 1 fille pour 5 garçons. Est-ce à dire que les garçons sont plus sujets que les filles à développer une pathologie des traumatismes relationnels précoces ? l’identité de genre, les projections ou les qualités de l’éducation qu’ils reçoivent de la part de leur environnement joueraient-ils un rôle dans la constitution ou le développement de leurs troubles, ou encore dans la précocité de l’adresse thérapeutique ? Personnellement, je ne le pense pas, toutefois il me semble qu’il faudrait une recherche spécifique et approfondie sur un échantillon beaucoup plus important que celui que j’ai constitué pour pouvoir répondre à ces questions avec quelques certitudes. Un autre exemple d’impasse délibérée : les enjeux des traumatismes précoces dans la dimension de la sexualité infantile : il m’a semblé en effet que les thèmes concernant l’avènement et la construction psychique des enjeux de la sexualité chez les enfants qui ont connu des traumatisme relationnels précoces mériteraient à eux seuls un travail de recherche de grande ampleur.

77 Voir chapitre 1 § 1.6 « Présentation des hypothèses »

caractéristiques des interactions primitives qui les ont fomentés, et qui semblent régir les interactions actuelles.

A ce stade, et malgré le risque de redondance, je tiens à préciser à nouveau mon positionnement.

Je souhaite insister sur le fait que j’ai voulu que le principe d’élaboration de cette hypothèse se dégage nettement d’une reconstruction idéologique appliquée. J’ai tenté d’éviter le « piège » du plaquage théorique d’une modélisation fondée sur des abstractions antérieures, admises a priori. Je ne me situe pas dans une acception mythique d’un modèle pseudo-psychanalytique rigide et erroné, si souvent et à juste titre décrié, selon lequel le devenir du sujet serait soumis à un déterminisme linéaire, dont les fondements seraient immanquablement saisissables par l’application d’une « grille de lecture » préétablie.

La contrainte d’écriture, de mise en sens, en mots, ainsi que l’objectif de construction d’une modélisation partageable et confrontable, font de mon exposé une reconstruction abstraite du cheminement de la recherche et de l’investigation concrète, dans le réel de ma pratique clinicienne. Il est impossible de rendre compte de la totalité des observations, des lectures, des questionnements et analyses qui ont permis la formulation de mon hypothèse méthodologique. J’ai d’ores et déjà conscience du caractère artificiel que risquent de revêtir aux yeux du lecteur certaines de mes propositions. Aussi, m’efforcerai-je, tout au long du développement qui suit, de maintenir la démonstration que celles-ci sont issues de l’analyse systématique d’observations détaillées, ainsi que d’une interprétation rigoureusement inscrite dans un référentiel précis, dont la validité a été démontrée depuis de nombreuses années. Je n’ai pas pu observer moi-même (sauf dans deux cas) l’évolution et la construction des enfants qui constituent l’échantillon sur lequel repose ma recherche. De ce point de vue, le critère de fidélité de la reconstruction des caractéristiques des interactions précoces que je suppose être à l’origine des troubles observés, peut être questionné.

Cette reconstruction s’est établie à partir de l’observation répétée d’une série d’indices qui se manifestent dans l’intimité des relations actuelles. J’ai constaté en effet que les comportements des partenaires de ces relations, considérés comme des expressions agies manifestes se présentant comme des énoncés verbaux et non-verbaux, paraissent traduire et véhiculer des états affectifs, des défenses, des réactions transférentielles et contre-transférentielles singuliers qui semblent appartenir au registre de l’intersubjectivité primaire.

L’observation attentive de séquences interactives, ainsi que l’écoute de récits d’adultes qui sont affectivement et émotionnellement très engagés dans le soin de ces enfants, m’ont permis de percevoir en détail comment ceux-ci semblent « mettre en jeu », dans le sens psychodramatique de l’expression, leurs modèles internes subjectifs primaires. D’autres indices me sont également apparus dans les façons dont ces enfants se présentent et disposent de leur corps. En m’appuyant sur la démonstration de G. Haag78 du phénomène d’incorporation au moi des expériences d’investissement corporel précoces, par cette forme de liaison qu’elle nomme « identification intra-corporelle », ainsi que sur le travail de M.

Boubli à propos de la « narration sensorielle » 79 , j’ai pu mesurer que ces façons de se tenir, d’utiliser ou non les différentes parties du corps, ces façons de se montrer, de s’offrir ou de se dérober au regard ou au toucher de l’autre, pourraient constituer des indices corporels et

78 Voir notamment : HAAG G., (1997), Contribution à la compréhension des identifications en jeu dans le moi corporel, in Journal de la psychanalyse de l’enfant, n°20, pp.111-113

79 Voir notamment : BOUBLI M., (1997), Emergence du langage au cours d’une psychothérapie d’enfant, in PINOL DOURIEZ M. (dir.), Pulsions, représentations, langage, Delachaux et Niestlé, Lausanne ; et BOUBLI M., (2002), Autosensualité, procédés auto-calmants et créativité, in BOUBLI M., KONICHECKIS A., Clinique psychanalytique de la sensorialité, Dunod, Paris

posturaux des modalités du holding précoce. Ceux-ci « parleraient » de la manière dont leur corps a été investi dans les premières relations, par les sujets eux-mêmes et par leur premier donneur de soin. En cela, ils pourraient constituer une sorte de récit sensoriel et gestuel. Il m’a semblé possible de concevoir une hypothèse de reconstruction raisonnablement fidèle, en considérant ces postures et utilisations sensorielles comme une remise en scène et en jeu, dans et par le corps propre, des expériences relationnelles précoces dont il a fait l’objet.

Pour cela, je considère qu’il est nécessaire de revisiter les enjeux des interactions précoces pour le développement et la vie émotionnelle du bébé. En conséquence, j’ai choisi de consacrer une partie de l’exposé de ma recherche aux analyses des théoriciens du bébé80.

J’ai élaboré mes hypothèses méthodologiques à partir de l’esprit de la position psychanalytique telle que Freud l’avait élaborée : toute production humaine est porteuse de sens, même si ce sens échappe de prime abord à la conscience du sujet et à la compréhension de l’observateur. Il s’agit alors d’un sens caché, en instance d’être découvert et construit. Freud a fait de la production onirique le paradigme de ce principe, avant de l’étendre à toutes les manifestations incontrôlées de l’Inconscient : les lapsus, les actes manqués, les comportements obsessionnels, les conversions hystériques…Ainsi, en 190981, Freud montre que, dans l’attaque hystérique, le fantasme (ou la condensation de plusieurs fantasmes) est directement mis en scène par le corps et la motricité : le corps de l’hystérique serait une scène, sur laquelle évolueraient différents personnages du scénario fantasmatique issu d’une scène historique traumatique. Ces personnages seraient perceptibles dans les agirs, les comportements du sujet. Ceux-ci ne correspondraient ainsi pas seulement à des mouvements d’éconduction d’une tension interne insupportable, mais à la « présentation » des conduites des personnages du scénario. Dans la même logique, les conversions hystériques seraient la traduction corporelle de ce que le sujet ne peut dire « en mots » : les nausées disent le « mal au cœur », « la peine de cœur »…L’autre élément fondamental de la pensée freudienne à propos de l’acte, est que, non seulement l’acte dramatise, métaphorise et « dit » une pensée, un fantasme ou une expérience , mais, dans la même logique de théâtralisation du fait psychique, il dramatise pour un spectateur singulier, il s’adresse et n’adviendrait sans doute pas (ou pas de la même manière) sans auditoire. Il s’agirait d’un auditoire à la fois interne (le sujet présente le scenario à lui-même) et externe, bien que la finalité soit la même, dans la mesure où l’autre, pris à témoin, est investi selon un processus d’externalisation du soi82. Le sujet agissant s’adresse ainsi à lui-même par le truchement du regard de l’autre posé sur son corps en action.

En 193883, Freud reprend les hypothèses qu’il avait commencé à élaborer en 1913.

Il soutient que tout acte, y compris chez les sujets psychotiques ou schizophrènes, ont une organisation et un sens précis, qui correspondraient aux éléments décomposés d’un événement vécu dans la prime enfance, avant l’acquisition du langage, et maintenu en l’état,

80 voir § 1.2.2 « Hypothèses méthodologiques et référentiel d’auteurs »

81 FREUD S., (1909), Considérations générales sur l’attaque hystérique, in Œuvres Complètes : Psychanalyse, Tome VIII : 1906-1908, PUF, (2006), Paris, pp. 243-249

82 Je reviendrai longuement sur cette notion au cours du développement, car elle est au fondement de ma seconde hypothèse clinique.

83 FREUD S., (1938), Abrégé de psychanalyse, tr. fr. (1967) PUF (5ème édition), Paris

du fait de la faiblesse des capacités de liaison et de synthèse du moi. Selon R. Roussillon84, les hypothèses de Freud sous-entendent que ce qui a été vécu par le sujet, à un stade de son développement où le verbe n’est pas encore l’organisateur de la subjectivation des événements, va avoir tendance à s’exprimer sous la forme de langage archaïque qui avait cours à l’époque du vécu de l’expérience. Autrement dit, le langage de l’infans, un langage du corps et de l’acte.

Des chercheurs contemporains ont appliqué cette lecture freudienne à d’autres champs. Au plus près de la clinique qui m’intéresse, il convient d’évoquer le champ de la psychanalyse appliquée aux affections corporelles. Au contraire de l'approche psychosomatique médicale qui envisage le malade à partir de sa maladie, l'approche psychanalytique l'envisage à partir du repérage dans son fonctionnement psychique d'un processus de somatisation. Pour les recherches menées à partir de cette conception, on peut citer notamment l'École de Paris de Psychosomatique, née vers la fin des années 40.

Elle réunit un certain nombre de psychanalystes de la Société de Psychanalyse de Paris : P. Marty85, M. Fain86, M. de M'Uzan87

P. Marty élabore une doctrine évolutionniste de l'économie psychosomatique. Celle-ci repose sur la coexistence et l'alternance de deux types de mouvements individuels.

Les premiers, dits de vie, sont des mouvements d'organisation hiérarchisée. Les seconds, dits de mort, sont des mouvements de désorganisation. L'évolution individuelle aboutit ainsi, pour chaque individu, à l'édification de systèmes de fixation-régression plus ou moins résistants au courant de désorganisation. D'une manière générale, les somatisations résultent de façon plus ou moins durable de l'échec de ces systèmes de défense.

Dans ses travaux, M. Fain met l'accent sur l'inachèvement de la structure oedipienne du futur somatisant, lié à la prééminence de conjonctures traumatiques dans sa relation précoce à son environnement premier. De ce fait, la voie de la réalisation hallucinatoire du désir est plus ou moins durablement barrée et le Moi s'organise prématurément sur un mode autonome. L'état de déliaison pulsionnelle fait ainsi le lit des somatisations qui peuvent alors être interprétées comme un destin singulier de la pulsion.

M. de M'Uzan distingue les troubles psycho-fonctionnels des maladies organiques. Les premiers seraient liés à un processus de régression tandis que les secondes résulteraient d'une modalité spécifique de fonctionnement mental. Cette modalité, qualifiée initialement de « structure psychosomatique » par son auteur, appartiendrait en fait à la palette habituelle de fonctionnements psychiques chez tout individu. Elle associe une carence de la vie fantasmatique, une pensée opératoire et le mécanisme de reduplication projective, et résulte d'une déqualification de l'énergie psychique.

Selon le modèle psychosomatique de Sami-Ali88, la théorie relationnelle de la psychosomatique définit trois axes fondamentaux de fonctionnement, à partir de quoi se

84 ROUSSILLON R., séminaire de recherche de l’Ecole Doctorale de Psychologie Clinique de l’Université Lumière Lyon 2, le 7/03/2003.

85 MARTY P., L'ordre psychosomatique, Les mouvements individuels de vie et de mort. Essai d'économie psychosomatique,(1976) Tome I.,(1980) Tome II., Payot, Paris

86 FAIN M., (1971), Prélude à la vie fantasmatique, in Revue Française de Psychanalyse, n° 3-4, PUF,Paris

87 De M’UZAN M., (1973), Psychodynamic mechanism in psychosomatic symptom formation, Actes du IIème Congrès international de médecine psychosomatique, Amsterdam

88 SAMI-ALI M., (1990), Le corps, l’espace et le temps, Dunod, Paris

dessinent trois formes majeures de pathologie, impliquant à la fois le psychique et le somatique.

Selon C. Smadja89, un processus de somatisation est une chaîne d'événements psychiques qui favorisent le développement d'une affection somatique. Il distingue deux modalités de processus de somatisation : le processus de somatisation par régression et le processus de somatisation par déliaison pulsionnelle. Ces deux mouvements psychiques s'opposent par la qualité de la mentalisation sur laquelle ils se développent.

La mentalisation concerne principalement l'activité représentative et fantasmatique de l'individu. La somatisation signerait donc la défaillance de la mentalisation, et une tentative de pallier cette défaillance par une autre forme de liaison. Cette tentative de liaison, passant par le corps, correspondrait historiquement au stade du développement antérieur à la constitution de la mentalisation. Ainsi, selon une expression bien connue, dans la plus pure tradition freudienne, le sujet dit « en maux » ce qu’il ne peut dire « en mots »…

D’autre part, on retrouve l’implication de ces concepts dans les hypothèses émises à propos de la clinique des passages à l’acte et des agirs. Cette clinique singulière, dont relèvent certains des phénomènes impliquant le corps propre que je me propose d’étudier, se situe également à l’interface psyché-soma, donc dans le registre du psychosomatique.

Les travaux de recherches menés à la faculté de psychologie de l’Université Lumière Lyon 2 sous l’égide du Pr. R. Roussillon, à propos de la criminalité, l’antisocialité et des problématiques narcissiques identitaires, ont mis en évidence la validité des hypothèses freudiennes dans ce champ clinique : comme dans les manifestations hystériques, psychotiques et schizophrènes, les actes posés par les sujets, aussi insensés puissent-ils paraître, ne semblent pas correspondre seulement à de « purs agirs évacuateurs de tensions internes ou de motions pulsionnelles » 90 . D’après R. Roussillon91, ils semblent toujours témoigner d’une tentative de liaison d’expériences traumatiques précoces, survenues en amont de l’acquisition du langage.

Prolongeant la position freudienne sur laquelle il étaye son raisonnement, R. Roussillon propose une théorisation des formes de langage de l’acte, considéré comme porteur d’un message adressé. Selon cette approche, la survenue d’un acte serait « passage du langage par l’acte, plus que passage à l’acte » (p.3).

L’hypothèse centrale est que les actes du sujet seraient l’expression à visée de communication et de partage avec l’environnement d’expériences archaïques, datant d’une époque précédant la maîtrise du langage.

Toutes les expériences archaïques d’un sujet ne connaissent pas pour autant ce devenir. Freud a montré, en utilisant le concept d’après-coup92, que la plupart des

89 SMADJA C., (1998), Le fonctionnement opératoire dans la pratiquepsychosomatique, C.P.L.F.P.R., Revue française de psychosomatique, n° 5, PUF, Paris SMADJA C., Argument, in SZWEZC G., (1993),Les procédés autocalmants en psychosomatique et en psychiatrie de l’enfant, Revue Française de Psychosomatique, 4, PUF, Paris, pp. 5-6

90 ROUSSILLON R., (2006), Corps et actes messagers, GERCPEA Textes et Livres, http://www.gercpea.lu/textes_livres/

start_textes_R_Roussillon , Texte présenté au colloque du C.R.P.P.C. de l’Université Lumière Lyon 2 le 10.03.2006

91 ROUSSILLON R., (1995), Perception, hallucination et solutions « bio-logiques » du traumatisme, Revue Française de psychosomatique, 8, PUF, Paris

92 Selon LAPLANCHE J., PONTALIS J.B., (1967), sous la direction de LAGACHE D., Vocabulaire de la psychanalyse, (1997), op.cit., p.33, « Après-coup » est un « terme employé par Freud en relation avec sa conception de la temporalité et de la causalité psychiques : des expériences, des impressions, des traces mnésiques sont remaniées ultérieurement en fonction d’expériences

expériences précoces ont un destin intégratif naturel de reprise secondaire, dans le fonctionnement organisé par le langage verbal. L’après-coup est, pour Freud, une véritable élaboration psychique, non assimilable à une simple décharge de tension accumulée, mais à un ensemble complexe d’opérations psychologiques.

Le 6 décembre 1896 déjà, Freud écrit à Fliess93 :

« Je travaille sur l’hypothèse que notre mécanisme psychique s’est établi par stratification : les matériaux présents sous forme de traces mnésiques subissent de temps en temps, en fonction de nouvelles conditions, une réorganisation, une ré-inscription. »

La majorité de ces expériences sont reprises et prennnent sens ultérieurement, lorsque la maturation du sujet lui permet une compréhension nouvelle de son vécu primaire. La survenue d’événements et de situations qui « font écho » aux expériences précoces non encore élaborées permet le remaniement intégratif de ces dernières et l’accès à un nouveau type de signification. Toutefois, dans la théorie freudienne, deux types de destin sont encore possibles. Si le remaniement « après-coup » permet une intégration optimale au moi de certaines expériences, il peut avoir un effet inverse pour d’autres. C’est-à-dire que le remaniement peut conférer aux expériences passées un sens et une efficacité psychique singulière, mais aussi un nouveau pouvoir pathogène. Ainsi, si l’on considère que chaque nouvelle expérience suscite un quantum d’émotions particulières, on peut concevoir que les émotions éprouvées lors de l’expérience précoce se mêlent aux émotions éprouvées lors de l’expérience plus tardive. Ceci génère une confusion, ou une interpénétration, des émotions issues de la perception et des traces mnésiques. Ceci est particulièrement caractéristique des émotions chargées d’affects de déplaisir. En 189694, Freud écrit :

« L’attention est dirigée vers les perceptions car ce sont elles qui d’habitude sont l’occasion d’une libération de déplaisir. Mais ici c’est une trace mnésique et non une perception qui, de façon imprévue, libère du déplaisir et le moi s’en aperçoit trop tard. » (p. 369)

Dans ce cas, le moi utilise alors les défenses associées à la trace mnésique, c’est-à-dire celles qui ont été activées au moment du vécu et où il opère en processus primaire. Ce phénomène confère au traitement de l’expérience son caractère pathologique.

Freud développe particulièrement cette hypothèse en 1918 dans L’homme aux loups

95 . Son approche est particulière, car il propose une étude de ce phénomène chez l’enfant à partir de reconstructions dans l’analyse d’un adulte. Il écrit :

« Nous avons poursuivi notre exposé jusqu’aux environs du 4 ème anniversaire de l’enfant, époque à laquelle, par l’entremise du rêve, l’observation du coït faite à 1 an 1/2 produit après coup ses effets. (…) La réactivation de l’image, de cette image qui peut maintenant être comprise grâce au développement intellectuel plus avancé, agit à la façon d’un événement récent, mais aussi à la

nouvelle, de l’accès à un autre degré de développement. Elles peuvent alors se voir conférer, en même temps qu’un sens nouveau, une efficacité psychique. »

93 FREUD S., (1896), La naissance de la psychanalyse. Lettres à W. Fliess. Notes et plans, Paris, PUF 94 FREUD S., (1896), op. cit.

95 FREUD S., (1918),L’homme aux loups, in Cinq psychanalyses, PUF, Paris (17ème édition 1992), pp. 325-420

manière d’un traumatisme nouveau, d’une intervention étrangère analogue à une séduction. » (p.409).

Ainsi, dans cette perspective, Freud postule que c’est la seconde situation qui donne à la première sa valeur pathogène : la première n’aurait pas eu de nature traumatique, ce serait le vécu et le traitement de la seconde situation qui la rendrait traumatique.

Toutefois, les théoriciens du traumatisme96 considèrent aujourd’hui que ce modèle de l’après-coup contient un risque évident : celui de déconsidérer l’impact des événements actuels, de disqualifier la valeur traumatique des événements actuels.

Reprenant le travail amorcé par l’équipe de traumatologie de la Tavistock Clinic de Londres, sous la direction de Caroline Garland, A. Ciccone signale un autre modèle de l’après-coup, ou une variante légèrement différente. Je présenterai en détail plus loin97,

Reprenant le travail amorcé par l’équipe de traumatologie de la Tavistock Clinic de Londres, sous la direction de Caroline Garland, A. Ciccone signale un autre modèle de l’après-coup, ou une variante légèrement différente. Je présenterai en détail plus loin97,

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