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La Suisse : des autorités fédérales réticentes à suivre la communauté scientifique

Critère X (anciennement IV) contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les

Chapitre 3 : La reconnaissance du patrimoine géologique dans les différents pays de l’arc alpin

3.6 La Suisse : des autorités fédérales réticentes à suivre la communauté scientifique

3.6.1 Une législation qui prend avant tout en compte les paysages

En Suisse, tout comme en France ou en Allemagne, les mouvements de protection de l’environnement sont nés au XIXe siècle d’une réaction face à la destruction de « monuments naturels » de nature géologique, ici les blocs erratiques. Ainsi, la Pierre à Bôt ou bloc Agassiz, un bloc erratique de conglomérat de 2.600 tonnes en provenance de la région du Mont-Blanc, situé au pied de Chaumont au-dessus de Neuchâtel, a été placé sous protection le 2 juillet 1838. Ces blocs erratiques étaient menacés par leur exploitation comme ressource naturelle et déjà dans ses écrits H-B De Saussure en 1779 témoignait de la disparition progressive de ceux-ci. La découverte de leur valeur patrimoniale comme témoin du passé glaciaire de ces régions conduisit à un vaste mouvement de défense de ces géotopes marqué par « l’appel aux Suisses pour les engager à conserver les blocs erratiques », présenté par la commission géologique à l’assemblée de la Société Helvétique de Sciences Naturelles du 9 septembre 1867 (Aubert, 1989). Cet appel conduisit à la création de commissions des blocs erratiques au sein des sociétés d’histoire naturelle cantonales. Un vaste élan populaire qui se manifesta par des souscriptions et permit le rachat des blocs les plus menacés.

Si des objets géologiques sont à l’origine de la prise de conscience de l’importance du patrimoine naturel, ceux-ci seront ensuite largement délaissés par les mouvements de protection de l’environnement et il faudra attendre la fin du XXe siècle, alors que les blocs erratiques seront eux passés de mode et d’intérêt, pour voir la protection des géotopes redevenir d’actualité.

En 1874, c’est un groupe de rose des Alpes qui est protégé par la commune argovienne de Schneisingen en tant que relique de l’ère glaciaire ( stat. suisse de l’environnement n ° 13) et en 1876, le Club Jurassien acquiert le creux du Van et le déclare réserve naturelle privée (Ray, 2006).

Comme dans de nombreux pays européens, ces premières mesures touchent des objets ponctuels caractéristiques d’une identité nationale, souvent du fait d’initiatives privées en provenance de particuliers ou d’associations. C’est d’ailleurs à cette époque que voient successivement le jour la Ligue pour la conservation de la Suisse pittoresque, en 1905, devenue depuis « Patrimoine Suisse », ainsi que la Ligue Suisse pour la protection de la nature en 1909. Ces deux associations vont contribuer avec le soutien de la Société Helvétique de sciences naturelles devenue depuis l’Académie suisse des sciences naturelles à la création, le 1 août 1914, du Parc National Suisse (Nahraht, 2004). A l’image des grands parcs américains, c’est le premier qui au cœur du massif alpin va protéger de grands espaces sauvages, 172,4 km2 soit 0,4 % du territoire suisse… C’est aussi le seul existant aujourd’hui dans le pays !

Dans les années 60, face à l’industrialisation et la croissance urbaine, la confédération prend conscience de l’intérêt qu’il y a à protéger son patrimoine naturel et le 27 mai 1962, le peuple et les cantons adoptent l’article 24 sexies de la constitution fédérale qui sera repris dans la nouvelle constitution fédérale du 18 avril 1999. Celle-ci stipule dans ses dispositions générales que « la confédération s’engage en faveur de la conservation durable des ressources naturelles et en faveur d’un ordre international juste et pacifique » (Constitution Art.2) et affirme la souveraineté des cantons pour tous les droits qui ne sont pas délégués à la confédération.

Dans son article 78 elle aborde la Protection de la nature et du patrimoine en précisant :

1

La protection de la nature et du patrimoine est du ressort des cantons.

2

Dans l’accomplissement de ses tâches, la Confédération prend en considération les objectifs de la protection de la nature et du patrimoine. Elle ménage les paysages, la physionomie des localités, les sites historiques et les monuments naturels et culturels; elle les conserve dans leur intégralité si l’intérêt public l’exige.

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Elle peut soutenir les efforts déployés afin de protéger la nature et le patrimoine et acquérir ou sauvegarder, par voie de contrat ou d’expropriation, les objets présentant un intérêt national (RS 101).

C’est donc dans la seconde moitié du XXe siècle que la Suisse va progressivement établir sa législation pour la protection de l’environnement. Plusieurs lois marqueront des étapes importantes dans l’établissement de ce droit.

La loi fédérale sur la protection de la nature et des paysages du 1 juillet 1966 (RS 451) prévoit ainsi dans son Art. 1 : de ménager et de protéger l’aspect caractéristique du paysage et des localités, les sites évocateurs du passé, les curiosité naturelles et les monuments du pays, et de promouvoir leur conservation et leur entretien.

Elle instaure dans son article 5 la mise en place d’inventaires nationaux : ceux-ci devront préciser :

a-la description exacte de l’objet

b- les raisons leur conférant une importance nationale c- les dangers qui peuvent les menacer

d- les mesures de protection déjà prises e- la protection à assurer

f- les propositions d’amélioration.

Dans son chapitre 2, la loi précise les modalités de financement et d’accompagnement des différentes mesures de protection :

Art. 13 :

1- La Confédération peut soutenir la protection de la nature et du paysage et la conservation des monuments historiques par l’allocation de subventions ; celles-ci s’élèvent au plus à 35 % des frais imputables à la conservation, à l’acquisition et à l’entretien des paysages, des localités caractéristiques, des sites évocateurs du passé, des curiosités naturelles et des monuments dignes de protection, ainsi qu’aux travaux d’exploration et de documentation liés à ces activités. Ces subventions ne sont accordées que si le canton participe aussi aux frais dans une mesure équitable. Leur taux se détermine d’après l’importance de l’objet à protéger : (Art. 4) la somme des frais et la capacité financière du canton.

1bis- Le taux de subvention peut s’élever au plus à 45 % des frais s’il est établi que le taux prévu à l’art.1 ne permet pas de financer les mesures dont l’éxécution est indispensable.

L’ordonnance concernant l’Inventaire Fédéral des Paysages (IFP), sites et monuments du 10 août 1977 (RS 451-11) précise les modalités de présentation des sites relevant de l’IFP.

Trois types d’objets sont recensés dans l’IFP : les objets uniques, les paysages types et les monuments naturels.

Dans un premier temps, en 1977, 65 sites sont annexés à l’ordonnance à partir de l’inventaire CPN réalisé en 1963 par la ligue suisse pour la protection de la nature (LSPN devenue Pronatura), la Ligue Suisse du Patrimoine national (LSP), et le Club Alpin Suisse (CAS). En 1983, 55 sites y sont ajoutés, 3 autres en 1996 et 9 en 1998. Parmi ces sites, certains relèvent d’un intérêt géologique important : creux du Van, Gorges du Trient, Monte San Giorgio… L’inventaire contient actuellement 162 sites qui représentent 18,9 % du territoire.

Un premier rapport de l’OCDE paru en 1998 sur les performances environnementales de la Suisse remit en cause cette politique des inventaires.

En 2002, la commission de Gestion du Conseil national (CdG-N) accompagnée par la sous-commission DFI-DETEC chargea l’OPCA (Organe Parlementaire de Contrôle de l’Administration ) d’établir un bilan de l’IFP. Celui-ci fut réalisé par le bureau Hintermann et Weber. Il fit apparaître que dans certains sites appartenant à l’IFP, la pression du bâti et des

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infrastructures n’avait pu être enrayée. Ainsi le site n° 1803 du Monte San Giorgio avait connu une progression du bâti de 16,6 % et des infrastructures de 14 % (évaluation de l’IFP rapport de l’OPCA 2003). L’une des principales causes évoquée était le manque de moyens associé à cet inventaire, puisqu’il ne prenait en compte que 35 % des investissements liés à sa réalisation par les cantons et les communes. Ainsi, seuls 7 cantons sur 25 protégeaient toute la surface répertoriée dans l’inventaire.

Actuellement, un projet de remaniement de l’IFP est en cours. Il prévoit principalement d’intégrer les sites retenus dans les plans directeurs cantonaux afin de rendre plus contraignante leur protection.

Le 6 décembre 1987, une initiative populaire fédérale pour la protection des marais ou initiative Rothenturn a permis l’intégration des marais et sites marécageux à un niveau de protection lui aussi national.

L’ordonnance sur la protection des sites marécageux d’une beauté particulière et d’importance nationale (RS 451-35) du 1 Mai 1996 établit l’inventaire de ces sites qui, pour certains d’entre eux, relèvent d’éléments géomorphologiques (comme les étangs de Gruyère).

Plus récemment, la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 Juin 1979 (RS 700) stipule dans son Art. 1 que dans le cadre de l’aménagement du territoire, « la confédération doit soutenir les efforts qui sont entrepris notamment aux fins :

a- de protéger les bases naturelles de la vie, telles que le sol, l’air, l’eau, la forêt et les paysages ».

Ainsi, une coopération doit être trouvée entre les différents niveaux : fédéral, cantonal et communal, afin de mener à bien les conceptions et plans sectoriels fédéraux qui doivent se retrouver dans les plans directeurs cantonaux ainsi que les plans d’affectation communaux, tout en protégeant des zones comme Art.17 b : « les paysages d ‘une beauté particulière, d’un grand intérêt pour les sciences naturelles ou d’une grande valeur en tant qu’éléments du patrimoine culturel » ainsi que Art. 17 c « les localités typiques, les lieux historiques, les monuments naturels ou culturels » .

L’ordonnance sur l’aménagement du territoire du 28 Juin 2000 (RS 700-1) renforce dans les faits les contraintes liées au respect de l’IFP.

La loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (RS 814-01)

Elle instaure l’étude d’impact environnemental pour les projets « pouvant affecter sensiblement l’environnement ».

L’ordonnance du 19 octobre 1988 (RS 814- 011) en précise les modalités.

Des dispositions particulières existent aussi dans d’autres textes législatifs comme par exemple dans la loi fédérale sur l’utilisation des forces hydrauliques (LFH, 1916), la loi sur l’eau, la forêt ou l’agriculture.

L’ensemble de ces mesures de protection conduit à la protection d’environ 30 % de la surface du territoire, l’IFP constituant 18, 91 % de cette globalité.

La révision de la loi fédérale sur la protection de la nature et des paysages avait été envisagée pour la législature 1999-2003, et le résultat officiel de la consultation publié en juillet 2003 avait montré la très large adhésion à cette réforme, une quarantaine de projets de parcs naturels étant alors à l’étude. Mais ce premier programme de révision a été gelé le 25 janvier 2004 et rayé de la législature 2004-2007 par manque de moyens. Les réactions furent vives et en automne 2004, le Parlement accepta la motion du conseiller aux états tessinois Dick Marty

(04-Le patrimoine géologique de l’arc alpin : de la médiation scientifique à la valorisation touristique N. Cayla, 2009. Thèse de l’Université de Savoie, Laboratoire EDYTEM 81 3048) et remit en chantier son programme de réforme, adoptant la nouvelle modification en octobre 2006 (Duhem V., 2008)

C’est la volonté de création d’un second parc national qui avait conduit l’association Pro-natura à lancer cette idée de réforme. Elle organisa en 2000 un concours doté d’un prix de 1 million de francs et 6 projets furent présentés ( Les Muverans VD/VS, Haut Val de Bagnes VS, Zermatt/Matterhorn VS, Adula/ Rheinwaldhorn TI/GR, Locarnese TI, Maderanertal UR). En effet, outre la protection des milieux assurée par le parc national des Grisons, la valeur ajoutée touristique est évaluée à 10 millions de francs suisses auxquels s’ajoutent 7 millions de revenus et d’emplois indirects, d’où l’intérêt selon Pronatura de voir se multiplier en Suisse des espaces protégés supports d’un écotourisme rémunérateur.

Dans le projet de réforme, trois catégories de parcs sont proposés :

Les parcs nationaux avec une zone centrale intégralement protégée d’une surface supérieure à 50 km2 sur le Plateau, 75 km2 dans le Jura et 100 km2 dans les Alpes, et d’une zone périphérique correspondant à 75 à 150 % de la zone centrale où des activités économiques sont réalisables

Les parcs naturels régionaux : zones rurales de développement durable assurant un développement économique associé au tourisme dans le respect de l’environnement. Une convention doit être passée entre les communes volontaires et le conseil d’état pour 10 ans renouvelables et s’appliquant sur un territoire intercommunal de 10 km2 au moins et d’un seul tenant.

Les parcs naturels péri-urbains : de plus petite taille (< 6 km2) espaces de détente et de loisirs à proximité de zones urbaines (Reynard, 2004).

Actuellement, 10 projets de parcs d’importance nationale sont en cours d’étude par l’OFEV. La confédération a voté un budget de 3,5 millions de francs en 2008 pour soutenir leur sélection, budget qui devrait passer à 12 millions jusqu’en 2012 afin de soutenir leur création. Ces parcs couvriront 7.000 km2 du territoire national soit 7 % de sa superficie.

Certaines mesures qui limitent le droit de propriété concernent directement la protection des géotopes :

dans le code civil suisse élaboré en 1912, un certain nombre d’articles induisent une protection d’objets géologiques par limitation du droit de propriété.

Art. 702 : limitation du droit de propriété privée pour la protection du patrimoine naturel et du paysage.

Art. 724 : propriété publique sur les objets à haute valeur scientifique.

1 Les curiosités naturelles ou les antiquités qui n’appartiennent à personne et qui offrent un intérêt scientifique considérable deviennent la propriété du canton sur le territoire duquel elles ont été trouvées.

2 Le propriétaire dans le fonds duquel sont trouvées des choses semblables est obligé de permettre les fouilles nécessaires, moyennant qu’il soit indemnisé du préjudice causé par ces travaux.

L’auteur de la découverte et de même, s’il s’agit d’un trésor, le propriétaire a droit à une indemnité équitable, qui n’excédera pas la valeur de la chose (Jordan, 2004).

Cet aperçu de l’arsenal législatif de la protection de l’environnement en Suisse nous montre que la plupart du temps, les objets géologiques sont protégés du fait d’une autre de leur caractéristique (biotope pour des espèces protégées comme les grottes pour les chauve-souris), ou plus généralement pour les caractéristiques paysagères dont ils sont à l’origine. Cette protection est donc insuffisante et de nombreux sites sont menacés de pillage, de comblement… La Suisse, état fédéral, possède quatre niveaux institutionnels : la confédération, les cantons, les districts et les communes aux compétences bien définies.

Les 26 cantons sont des membres égaux en droits et souverains dans de nombreux domaines tels que l’environnement, la justice, l’éducation ou la santé. Leur diversité est importante

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puisque l’écart entre la superficie du plus grand (Grisons 7.105 km2) et du plus petit (Bâle-ville 37 km2) est de 192 et l’écart entre le plus peuplé ( Zurich 1.228 600 habitants) et du moins habité (Appenzell-Rhodes intérieures 15.000 habitants) est de 85. Les enjeux liés à la protection de l’environnement n’y revêtent donc pas au sein de chacun les mêmes priorités.

Ainsi, le canton du Tessin possède depuis 2002 une nouvelle loi sur la protection de la nature (Legge cantonale sulla protezione della natura (Lcn, 9.3.1.7) qui, dans son article 1, prend en compte le patrimoine géomorphologique en précisant que la loi doit promouvoir la connaissance, la sauvegarde et la valorisation des composantes naturelles du paysage (Pagano, 2008).

L’organisation administrative de la protection de l’environnement est répartie entre plusieurs organismes aux compétences et au pouvoirs décisionnels variés. En 1936, Le Conseil Fédéral a institué la commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage. Celle-ci, extra-parlementaire et indépendante, est composée de quinze membres et a pour mandat légal d’examiner des projets dans des paysages et sites protégés. Elle conseille le Conseil fédéral et le département compétent dans les questions de fond concernant la protection de la nature et des paysages.

Le département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), conformément à l’article 1 alinéa 3 de la Loi sur l’organisation du Gouvernement et l’Administration (LOGA) et de l’ordonnance du 6 Décembre 1999, est chargé de la mise en place de la politique environnementale de la Suisse. Il est composé de divers offices dont l’Office Fédéral de l’Environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (OFEFP) qui est regroupé depuis le 01 janvier 2006 avec une grande partie de l’Office Fédéral des Eaux et de la Géologie (OFEG) dans une nouvelle structure : l’Office Fédéral de l’Environnement (OFEN) (Figure 1.27).

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