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Critère X (anciennement IV) contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les

Chapitre 3 : La reconnaissance du patrimoine géologique dans les différents pays de l’arc alpin

3.1 L’Allemagne : un exemple reconnu

3.1.1 Histoire de la protection du patrimoine naturel

La première prise de conscience de la nécessité de protéger le patrimoine naturel contre les excès de l’exploitation humaine est liée à la menace de disparition d’un patrimoine géologique emblématique pour le pays. Au milieu du XIXe siècle, le Drachenfels (le rocher du dragon, 321 m) au sud de la ville de Bonn dans le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, est en effet menacé par l’extension des carrières qui en exploitent les flancs (Figure 1.13). Ce massif des sept collines (Siebengebirge), formé principalement de coulées basaltiques, de tufs volcaniques d’âge oligocène et d’intrusions de trachyte repose sur un socle dévonien plissé (Figure 1.14).

Figure 1.13 : Les carrières de Oberkassel en 1886 (Source : VVS- Verschönerungsverein für das Siebengebirge).

Figure 1.14 : Coupe géologique de Weilberg (source GeoBonn).

Des carrières de trachyte, une roche gris clair à phénocristaux de sanidine, ont été ouvertes sur les flancs du massif à l’époque romaine. Après une longue période d’abandon, l’exploitation a repris de 1248 à 1560 pour la construction de la cathédrale de Cologne dont les fondations qui reposent sur les alluvions du Rhin sont enfouies à plus de 17 mètres de profondeur. L’extension anarchique des carrières a ensuite menacé le château situé au sommet de la colline dont un pan de mur s’est effondré en 1827. L’état prussien a suspendu l’exploitation en 1828 puis a acheté quelque 4800 ha afin de maîtriser le développement de ce territoire. En 1868 l’association pour la protection des Siebengebirge (Verschönerungsverein für das Siebengebirge) a vu le jour, elle contribua activement à la création de la première réserve naturelle d’Allemagne le 7 juin 1922. Cette réserve est devenue parc naturel régional en 1956. Elle accueille aujourd’hui environ 750.000 touristes par an sur une surface de 420 km2 et certaines journées d’été plus de 35.000 visiteurs peuvent s’y presser.

Les premières lois en matière de protection des milieux naturels sont promulguées au début du XXe siècle et concernent les « monuments naturels » (Naturdenkmal), notion rendue populaire par Alexandre de Humboldt (1769-1859). Ainsi, Le grand duché de Hesse vote le 16 juillet 1902 une loi qui prévoit d’inventorier, en vue de leur protection, les monuments naturels tels que les rochers, rivières et arbres remarquables (Wiedenbein, 1991).

Cette mobilisation précoce en faveur de l’environnement peut s’expliquer en partie par les profondes mutations qu’a connues l’Allemagne à cette époque. Si en 1870, le pays comptait encore deux tiers de ruraux, en 1900, les proportions étaient inversées en raison de l’industrialisation ayant déclenché une urbanisation rapide et massive. Les menaces sur l’environnement étaient donc fortes dès l’aube du XXe siècle. Par comparaison, la France, ne connaîtra cette inversion rural/urbain qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, d’où une prise en compte plus tardive des menaces pesant sur l’environnement dans notre pays.

L’un des acteurs majeurs de la naissance de ce mouvement de protection est le botaniste Hugo Conwentz (1855-1922). Après des études de sciences naturelles, il travaille au jardin botanique à Breslau puis est nommé, en 1879, directeur du musée de la province de Prusse occidentale à

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Dantzig (Gdansk, en Pologne aujourd’hui), où il va initier une série d’inventaires et de suivis des principaux sites naturels. Il présente ses travaux dans un ouvrage paru en 1904 : « La menace des monuments naturels et des propositions pour leur protection », qui jouera un rôle important dans le promulgation, le 15 Juillet 1907, par le ministre de la culture prussien des principes d’entretien et de préservation des sites naturels remarquables (Grundsätze für die Förderung der Naturdenkmalpflege in den Provinzen).

Le mouvement associatif va alors développer la prise de conscience de la nécessité d’un réseau de sites naturels protégés. A cette époque, de nombreuses associations voient le jour, quatre d’entre elle, la société pour la vallée de l’Isar, la société pour les parcs naturels, la ligue pour la conservation en Bavière et la ligue pour la protection des oiseaux, regroupent déjà 50.000 adhérents en 1918 (Raymond, 1992).

Il faut ensuite attendre le 26 juin 1935 pour qu’un premier texte de référence sur la protection de la nature soit promulgué ( Reichnaturschutsgesetz ). Dans l’ex RDA, la loi pour la protection de la nature est votée le 4 août 1954 ; la RFA fera de même le 20 décembre 1976 (Bundesnaturschutzgesetz) tout en confiant cette protection à la juridiction des Länder.

Cette loi instaure un certain nombre de catégories d’espaces protégés :

Les réserves naturelles (Naturschutzgebiet) : dans ces réserves, toute action de destruction, de dégradation ou de modification sont interdites et les réserves doivent être prises en compte dans les documents d’urbanisme. Des mesures compensatoires sont prévues.

Il en existe 7.632 sur une surface qui atteint en 2005 1.185.401 ha soit 3,3 % du territoire. Les parcs nationaux (Nationalpark) et les réserves de Biosphère (Biosphärenreservate) :

plus étendus que les réserves naturelles, ils en possèdent les mêmes contraintes de protection.

Au nombre de 28, 14 pour chacun de ces types d’aires protégées, ils occupent 5,14 % du territoire.

Les parcs naturels (Naturparke) : ils combinent protection et mise en valeur des territoires et occupent 23,4 % de celui-ci.

Les monuments naturels (Naturdenkmal) : d’une surface très limitée, souvent inférieure à 5 ha ; ces objets présentent des caractéristiques remarquables qui relève principalement de leur côté pittoresque.

L’état fédéral se dote d’un ministère de l’environnement le 6 juin 1986, relayé au niveau de chaque Land par deux offices fédéraux (Figure 1.15).

Depuis la réunification des deux Allemagne, les bases légales de la protection de l’environnement sont régies par l’article 75 de la constitution fédérale qui ne

donne au gouvernement Figure 1.15 : Administration de l’environnement en Allemagne fédéral qu’une compétence législative de cadrage, les Länder étant chargés de définir des règles plus précises ainsi que leurs modalités d’application (Rehbinder, 2000).

Une nouvelle loi fédérale de la protection de la nature et du paysage a été votée le 04 Avril 2002 ; elle est complétée et précisée par les dispositifs mis en place dans les Länder.

(http://www.bmu.de/files/pdfs/allgemein/application/pdf/bundnatschugesetz_neu060204.pdf). Malgré cette prise de conscience, les outils de protection législatifs concernant strictement le patrimoine géologique restent bien limités. Des solutions peuvent cependant être trouvées

Le patrimoine géologique de l’arc alpin : de la médiation scientifique à la valorisation touristique N. Cayla, 2009. Thèse de l’Université de Savoie, Laboratoire EDYTEM 47 dans d’autres arsenaux législatifs comme en témoigne le conflit qui dans les années 70 opposa les autorités locales en charge de la création d’une vaste décharge à l’emplacement du puits de Messel aux riverains opposés à ce projet associés aux partisans de sa protection comme site fossilifère exceptionnel.

La fosse de Messel est située dans le Land de Hesse près de la ville de Darmstadt. Depuis 1859, on y exploitait des schistes bitumineux Eocène dont on extrayait de l’huile minérale, du pétrole. En 1920, cette carrière fournissait 37 % des besoins en pétrole de l’Allemagne. Durant la seconde guerre mondiale, plus de 300 ouvriers d’Ukraine et de Biélorussie y étaient contraints au travail forcé. En un siècle d’exploitation, celle-ci ayant cessée en 1971, plus de 20 millions de tonnes de schistes ont été extraits, donnant naissance à une vaste excavation d’environ 60 mètres de profondeur sur 750 mètres de circonférence.

Après l’arrêt de l’activité minière, la société exploitante décida la création d’une vaste décharge, les besoins en stockage de déchets ultimes étant importants. A cette annonce, un mouvement de contestation local se fit jour, les habitants craignant les conséquences, en particulier sur leur santé, de l’installation de cette décharge sur leur territoire.

Parallèlement, des paléontologues professionnels et amateurs envahirent le site à la recherche de fossiles éocènes. Quelques pièces exceptionnelles furent ainsi mises au jour, dont en 1974, un ancêtre des équidés actuels, le propalaeotherium, en position anatomique. A la même période, un procédé de conservation efficace fut mis au point, la plupart des pièces trouvées jusqu’alors s’étant dégradées à jamais.

Malgré ces découvertes, les travaux de transformation du site en décharge ne s’interrompirent pas. Pourtant, les exhumations se poursuivaient, tout aussi intéressantes : un abondant matériel végétal, de nombreux fossiles de vertébrés dont 90% sont des poissons, 700 chauve-souris représentant 4 familles différentes, 60 squelettes d’ancêtres des chevaux . Progressivement, il apparut que ce site était exceptionnel à l’échelle de la planète pour les traces qu’il conserve de la grande radiation évolutive des mammifères de l’Eocène. A l’époque, un lac y occupait une dépression d’origine phréatomagmatique (Schulz, 2005). Sous un climat tropical, il y a un peu moins de 47 millions d’années, une faune et une flore abondantes ont alimenté le fond du lac en restes qui ne pouvaient se décomposer en raison de la nature anoxique du milieu. Rapidement recouverts de sédiments argileux, les matériaux biologiques ont été fossilisés dans le parfait respect des moindres détails anatomiques : poils, résidus de digestion dans l’estomac.

Il fallut attendre le milieu des années 80 pour que le mouvement de protestation aboutisse. Il était soutenu par le parti des verts qui refusaient de siéger au parlement tant que le projet n’était pas abandonné et bénéficia d’une nouvelle loi protégeant la ressource en eau. Peu avant l’ouverture de la décharge, les riverains obtinrent gain de cause de la part de la justice et les autorités du Land de Hesse, propriétaire du site, décidèrent donc, en 1991, de stopper le projet (Communication personnelle Jens Lorenz Franzen).

L’importance scientifique du site désormais reconnue permis d’envisager son classement au patrimoine mondial de l’Humanité et le dossier fut validé en 1995.

La gestion du puits de Messel a alors été confiée à la Société des sciences naturelles Senckenberg, qui poursuit depuis d’importants programmes de recherche mais travaille aussi à la mise en tourisme du site qui accueille actuellement environ 45.000 visiteurs/an sur la plate-forme de découverte et 20.000 visiteurs dans le cadre de visites guidées de l’ensemble de la fosse.

En 2002, le site de Messel a été inclus dans le géopark Bergstrasse-Odenwald. Ce dernier « Entre granite et grès » donne à découvrir l’histoire géologique de la région depuis les granites hercyniens jusqu’aux traces laissées par la dernière glaciation. Devenu porte du géopark, le site se devait d’inclure un centre d’interprétation sur place car la seule infrastructure d’accueil est la plate-forme de découverte aménagée. Il existe déjà aux alentours plusieurs musées locaux qui exposent des pièces extraites de la fosse de Messel : le musée communal de Messel, le Landesmuseum de Darmstadt et enfin le Musée d’histoire naturelle de Francfort sur le Main qui

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appartient à la Société des sciences naturelles Senckenberg. Mais le projet est ici un centre d’interprétation entièrement dédié au site, à son histoire paléontologique mais aussi industrielle. En 2004, un programme INTERREG IIIB lié au réseau European geoparks, a permis de lancer le concours d’architecte pour le futur centre d’interprétation. Le projet retenu en 2006, du cabinet d’architectes Landau et Kindelbacher de Munich s’inspire de la succession des strates de schistes bitumineux. La muséographie s’étendra sur 900 m2 d’exposition utilisant les techniques les plus modernes de médiation. Elle sera réalisée par le cabinet suisse Holzerkobler. Le chantier, d’un montant de 5 millions d’euros est entièrement pris en charge par le Land de Hesse. L ‘ouverture est prévue début 2010, il est dimensionné pour accueillir près de 100.000 visiteurs/an (Figures 1.16, 1.17).

Figure 1.16 : Projet retenu : Landau et Kindelbacher (Munich).

Figure 1.17 : Muséographie : Holzerkobler.

Pendant plus d’un siècle, le puits de Messel était une ressource naturelle, car pourvoyeur de matière première énergétique. Il est ensuite devenu patrimoine comme site emblématique de la radiation éocène des mammifères. Au cœur désormais des projets de développement locaux, il a acquis le statut de ressource patrimoniale… pour la plus grande satisfaction des riverains.

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