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Objectifs poursuivis lors de la création d’un sentier à thème : jeux d’acteurs au cœur des territoires

géologique et de sa protection

Chapitre 5 : Du tourisme au géotourisme

7.2.2 Objectifs poursuivis lors de la création d’un sentier à thème : jeux d’acteurs au cœur des territoires

La mise en place de sentiers didactiques naturalistes relève de trois logiques d’acteurs, non exclusives les unes des autres. Ceux de la protection des espaces naturels, ceux de la recherche scientifique et ceux du tourisme et des aménageurs. (Figure 2.28)

Le patrimoine géologique de l’arc alpin : de la médiation scientifique à la valorisation touristique N. Cayla, 2009. Thèse de l’Université de Savoie, Laboratoire EDYTEM

153 Bien que fondamentalement distincts à l’origine, les différents objectifs poursuivis peuvent se croiser suivant toutes les combinaisons possibles, une synergie optimale ayant pu être observée par exemple, dans le cas du sentier glaciaire de l’Obersulzbachtal, où de nombreux partenaires ont agi en commun : le parc national des Hohe Tauern, le club alpin autrichien, la commune de Neukirchen, ainsi que le laboratoire de géographie de l’Université de Salzbourg (Slupetsky, 1988). Dans ce cas, en effet les objectifs poursuivis par les trois catégories d’acteurs ont permis la réalisation d’un sentier particulièrement intéressant dans son contenu. Mais comment chaque acteur investi ce champ du sentier d’interprétation ?

Acteurs des espaces naturels protégés et éducation à l’environnement :

Un gestionnaire d’espace naturel protégé doit garantir la préservation des ressources naturelles dont il a la charge et dans ce cadre développe souvent différents outils d’interprétation du site et d’éducation à l’environnement. Dans le premier cas, le message peut s’appuyer sur un discours naturaliste pouvant aller vers des versions plus environnementalistes abordant alors des thèmes planétaires et dans notre cas le réchauffement global (Arsenault, 2001). La création d’un sentier d’interprétation, pouvant éventuellement faire l’objet de visites sous la conduite d’un garde-moniteur, permettra de mieux accueillir le public, de canaliser ses déplacements et ainsi de préserver le milieu. Il assurera la mission de sensibilisation à l’environnement, intrinsèque de ce type de structure et pourra susciter une prise de conscience éco-responsable du randonneur dans le but de le conduire à limiter, durablement, ses émissions de CO2, mais aussi à mieux le former aux choix sociétaux que nos pays seront contraints de prendre dans le futur.

Le parc national des Hohe Tauern créé dans la décennie 80, d’une superficie de 1800 km2, possède encore plus de 10 % de sa surface recouverte de glace soit près de 200 km2 ce qui en fait l’espace protégé le plus englacé des Alpes. Mais aussi, par conséquent un espace subissant d’importantes modifications paysagères depuis le début du XXe siècle. Les glaciers ont d’ailleurs été un enjeu particulièrement important lors de la création du parc car menacés par des aménagements touristiques lourds comme c’est le cas dans d’autres régions du pays. Le Club Alpin Autrichien (OeAV), qui poursuit, entre autres missions, l’étude scientifique du massif alpin, a participé de façon active à la création de la plupart des sentiers glaciaires des espaces protégés autrichiens, soit 9 des 11 sentiers du pays. Il entretient un partenariat principal étroit avec le parc national, d’autres partenariats existant avec d’autres espaces protégés, ce qui explique les nombreuses réalisations observées, 8 sur les 9 réalisées dans les aires protégées. Dans ces cas, l’OeAV et le parc ont travaillé en synergie avec des scientifiques, spécialistes du domaine, des universités de Graz, de Salzbourg et d’Innsbruck afin de réaliser des sentiers qui combinent à la fois les résultats des recherches menées sur les glaciers avec la nécessaire transposition didactique de ces notions à destination d’un public de passionnés non spécialistes. Chaque parcours est accompagné d’un guide de randonnée d’au minimum une cinquantaine de pages. Parfois, un chercheur ou une équipe de recherche prend l’initiative de valoriser, auprès du plus grand nombre, par le biais d’un itinéraire de découverte, les résultats de son travail dans le but de mieux faire connaître la géomorphologie en tant que champ disciplinaire (Sellier, 2009).

Des scientifiques valorisant la géomorphologie auprès du plus grand nombre

Lorsqu’un laboratoire spécialisé dans la géomorphologie ou la glaciologie, se lance dans l’aventure de la médiation scientifique il pénètre alors sur le territoire du troisième homme, le vulgarisateur. Les difficultés vont alors surgir afin de bien définir le corpus disciplinaire qui sera retenu, le niveau sémantique qui sera employé ainsi que les processus didactiques qui seront utilisés : reformulation, analogie et métaphore (Jacobi, 1999)… Le but n’est pas de produire un discours scientifique destiné à des pairs ou des étudiants mais un discours adapté à un public non spécialisé occupé à une pratique avant tout de loisir. Il sera donc nécessaire

Le patrimoine géologique de l’arc alpin : de la médiation scientifique à la valorisation touristique N. Cayla, 2009. Thèse de l’Université de Savoie, Laboratoire EDYTEM

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d’adopter, dans cette perspective, les outils de la médiation scientifique destinés à favoriser la compréhension d’un lieu, ou d’un objet au travers du thème qui nous occupe ici : les glaciers. En Italie, l’action conjointe du Comité glaciologique national et de sa section lombarde assisté des scientifiques du département des sciences de la Terre « Ardito Desio » de l’Université de Milan a permis, en quelques années, grâce au soutien des autorités territoriales locales de créer en 1992 le sentier Vittorio Sella (alpiniste et explorateur) sur le glacier de la Ventina, puis en 1995 le sentier du Centenaire sur le glacier Forni et enfin, un an plus tard le sentier Luigi Marson (géographe) sur le glacier de Fellaria. Ces trois réalisations font une large place aux travaux menés depuis la fin du XIXe siècle au cours des campagnes systématiques de relevés glaciologiques. Ils sont donc principalement axés sur le glacier support du sentier illustrant les propos de nombreuses photos prises lors des différentes campagnes mais aussi des cartes géomorphologiques et font une large part aux différents types de recherches scientifiques menées sur ces glaciers : bilan de masse, dendrochronologie… Parfois, la création du sentier est réfléchie au cœur même du travail de recherche, ainsi, Michaela Nutz de l’Université de Graz en Autriche a effectué sa thèse sur la mise en place du premier sentier autrichien concernant les glaciers rocheux, le permafrost et le pergélisol (Nutz, 2003). Longtemps considérés comme des glaciers particuliers, ils sont classés désormais dans le domaine périglaciaire mais leur nom dans les trois langues alpines tout comme le peu de connaissance sur ce sujet dans le grand public, nous a fait les conserver dans notre champ d’investigation.

L’implication des autorités locales est importante car, comme dans tout projet de développement territorial, il est nécessaire que les élus, tout comme les habitants, s’approprient celui-ci. Dans ce but, la multifonctionnalité des espaces naturels doit bien être comprise et admise de tous, afin de préserver des dégradations les panneaux et autres aménagement qui seront postés sur le sentier. Parfois, ces mêmes autorités, propriétaires des lieux, peuvent prendre l’initiative de développer l’offre touristique mettant en valeur ces patrimoines.

Des collectivités publiques à la recherche d’une diversification touristique

Une commune, qui possède sur son territoire un glacier, peut souhaiter en faire la promotion, dans le but de diversifier son offre touristique, de prolonger la saison, et ainsi se démarquer des territoires proches. En général, ces projets se réalisent dans le souci d’une mise en valeur qui cherche à minimiser l’impact touristique. Mais tel n’est pas toujours le cas, comme on peut l’observer dans le cas du sentier glaciaire élaboré par la station de Zermatt en 2006. Ce sentier part du sommet du téléphérique de Trockener Steg à 2939 m et conduit en 23 arrêts à la station d’arrivée du Schwarzee paradise à 2583 m, c’est le seul sentier didactique sur les glaciers qui se parcourt en descendant ! L’office de tourisme de Zermatt, qui a réalisé les panneaux ainsi que la brochure d’accompagnement y présente le domaine skiable dont les 183 km de piste sont à 60 % recouverts de neige artificielle, le ski pouvant y être pratiqué toute l’année, puisque même l’été les équipes nationales suisses s’entraînent sur le glacier. Cette offre n’est rendue possible que grâce à des aménagements lourds : 1000 canons à neige, utilisant l’énergie hydroélectrique, fournie par le barrage de la Grande-Dixence. Ces différents points, présentés dans le fascicule qui accompagne ce sentier côtoient d’autres informations portant sur l’environnement paraglaciaire ou la faune et la flore. Le retrait actuel du glacier est présenté comme une péripétie dans une histoire plurimillénaire des glaciers alpins. Aucune relation n’est faite avec le réchauffement global lié à l’impact des pratiques humaines : « …the fact that the Alpine glaciers are currently melting away, is nothing special, it is just part of a centuries long coming and going of snow and ice…» Les réchauffements passés sont présentés comme des périodes fastes de l’histoire de la région, le col du Théodule permettant alors le transit de nombreux voyageurs et marchandises qui ont fait la fortune de la vallée. Les fluctuations climatiques présentées comme pluriséculaires et naturellles ne sont pas mises en perspective avec le réchauffement global actuel présenté comme une nouvelle péripétie naturelle.

Le patrimoine géologique de l’arc alpin : de la médiation scientifique à la valorisation touristique N. Cayla, 2009. Thèse de l’Université de Savoie, Laboratoire EDYTEM

155 D’autres communes ont aussi développé ce type d’outil de valorisation patrimoniale, souvent incitées par les espaces protégés auxquels elles appartenaient. Ainsi, la commune de Champagny-le-haut a aménagé en 2008 un sentier glaciaire le long de la haute-vallée du Doron de Champagny au sein du Parc national de la Vanoise.

Si les objectifs de ces trois séries d’acteurs sont complémentaires, les stratégies ne sont pas toujours similaires, par exemple, les sentiers promus par des centres de recherche font plus souvent l’objet d’une mise en valeur écrite, matérialisée par un support papier, qualifié par Daniel Jacobi d’exotexte, alors que communes ou espaces protégés préfèrent souvent voir matérialisé sur le terrain le fruit de leurs efforts et bien sûr de leurs investissements, qualifié par le même auteur d’endotexte.

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