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géologique et de sa protection

Chapitre 5 : Du tourisme au géotourisme

5.2 Naissance et évolution du tourisme alpin

Au XVIIe siècle, les premiers touristes font aussi leur apparition au cœur des Alpes. Mais ils sont encore peu nombreux car, à l’époque, rien n’attire dans ce massif et il faut y être né pour y vivre ! Ainsi, John Evelyn, aristocrate anglais, qui sera l’un des fondateurs de la Royal Society traverse les Alpes en 1646 et sa description du passage du Simplon n’a rien d’attrayant : “Le lendemain matin, nous continuâmes à monter parmi des cimes étranges, horribles et effroyables, fertiles en pins, et dont les seuls habitants sont les ours, les loups et les chèvres sauvages ; nous ne pouvions jamais voir à plus d’une portée de pistolet, l’horizon étant borné par des rochers et des montagnes dont les sommets, couverts de neige, semblent toucher les cieux et qui, en maints endroits, percent les nues.” (extrait de Evelyn’s diary in Engel, 2005) Progressivement les regards évoluent. Les prémices du romantisme comme genre littéraire vont contribuer à une lecture plus attentive des paysages conduisant à des descriptions plus objectives de ceux-ci. Ainsi, en 1741, William Windham (1717-1761), jeune militaire anglais, accompagné par Richard Pococke (1704-1765), explorateur de passage à Genève partent à l’ascension du Montenvers. Ils en rapportent un récit dans lequel Windham décrit ainsi la Mer de glace : “Je vous avoue que je suis extrêmement embarrassé à vous en donner une idée juste, ne connaissant, de tout ce que j’ai encore vu, rien qui y ait le moindre rapport. La description que donnent les voyageurs des mers du Groenland me paraît en approcher le mieux. Il faut s’imaginer un lac agité d’une grosse bise et gelé tout d’un coup ; encore ne sais-je pas bien si cela ferait le même effet.” (extrait de relation d’un voyage aux glacières de Savoie en l’année 1741 in Engel, 2005).

Scientifiques explorateurs et premiers touristes aventuriers vont progressivement défricher ces destinations alpines et les faire mieux connaître, entraînant dans leur sillage les premiers flux touristiques. Les paysages de montagne suscitent dorénavant curiosité et engouement. Leurs premières descriptions s’appuient, suivant les auteurs, principalement sur l’une des trois dimensions décrites par Reichler (2002) : bio-physique (objective), socio-culturelle et individuelle. Ainsi, la « caverne de l’Arveyron », grotte glaciaire située au débouché du glacier du Bois, près de Chamonix est décrite pour la première fois par l’ingénieur genevois Martel en 1742, elle l’est ensuite par de nombreux voyageurs dont le jeune pasteur André César Bordier (1746-1802) et Marc Théodore Bourrit (1739-1819) chantre de l’église cathédrale de Genève, tous les deux en 1773, puis par de Saussure en 1786. Chacun de ces auteurs met en avant principalement l’une des trois dimensions précitées par le choix du vocabulaire employé ou bien la rhétorique du discours utilisée (Guyot, 2006) (Figure 2.10).

En 1786, on estime à 1700 le nombre de touristes qui se sont rendus à Chamonix (Equipe MIT, 2005). Tous ces témoignages rendent les Alpes populaires bien au-delà de leurs frontières et leur fréquentation se développe. La vallée de Chamonix, connaît un engouement croissant dont on peut retracer l’historique (Tableau 2.3). Les 5 millions de visiteurs y seront dépassés en 1959 (Vellozzi et al., 2002).

Le patrimoine géologique de l’arc alpin : de la médiation scientifique à la valorisation touristique N. Cayla, 2009. Thèse de l’Université de Savoie, Laboratoire EDYTEM

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Année 1786 1829 1850 1865 1892 1905 1938

Fréquentation 1700 3 000 5 000 12 000 24 000 130 000 500 000

Tableau 2.3 : Evolution de la fréquentation touristique dans la vallée de Chamonix (inspiré de Pralong, 2006)

Figure 2.10 : Le triangle du paysage appliqué à la grotte de l’Arveyron.

D’autres acteurs ont joué un rôle important dans la naissance du mythe alpin. Peintres et écrivains ont ainsi donné leurs lettres de noblesse à ces paysages qui désormais ne font plus peur. Récits simples ou héroïques et peintures d’une nature sauvage et grandiose, vont leur permettre d’accéder au sublime, et bien sûr au romantisme. En 1728, Albrecht Von Haller (1708-1777), savant bernois, publie, après son voyage dans les Alpes, son poème “Die Alpen” qui décrit une vision simple, pure, primitive et naturelle de ces régions éloignées et de leurs habitants. Il situe son idéal montagnard dans l’Oberland bernois (Boshung, 2000). Quelques années plus tard, en 1844, Charles Dickens (1812-1870), venu à Chamonix avec femme et enfant parle de “la vaste chaîne du mont-Blanc, avec ses montagnes secondaires qui paraissent toutes petites, sur ses flancs majestueux, mais qui s’élèvent en innombrables ébauches de clochetons gothiques” (in Jean, 1997).

Thomas Ender (1793-1875), aquarelliste autrichien peint de nombreux sommets et glaciers des Alpes, riche fond iconographique d’une précision telle que certains de ses tableaux sont mis à profit aujourd’hui pour évaluer le recul des glaciers (Figure 2.11). Ces paysages font partie d’une commande de l’archiduc Jean d’Autriche (1782-1859) qui souhaitait conserver le souvenir pictural des richesses naturelles de son pays et en particulier celles concernant : la géologie, les ressources

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folklore. Une grande partie de ces œuvres sont exposées au Muséum d’Histoire Naturelle de Vienne. Elles illustrent les thèmes présentés dans les différentes salles de collection.

Parfois, les scientifiques s’adressent directement aux peintres afin d’immortaliser leurs explorations, premières formes d’une communication servant à témoigner des recherches conduites dans ces espaces où désormais le grandiose a remplacer l’hostile. Ainsi, Martin

Figure 2.12 : Franz Josef Hugi et son équipe de savants dans le Rottal, 1830 (Disteli Martin)

Disteli (1802-1844), participe en 1830 à l’expédition de Franz Josef Hugi dans les Alpes bernoises au pied du glacier du Rottal. Il peindra ensuite une scène montrant un cartographe, un botaniste et deux géologues au travail (Figure 2.12) (Jean-Petit-Matile, 1987).

Dès le XIXe siècle partout dans les Alpes, des aménagements sont réalisés afin de faciliter l’accès à ces sites pour la plupart enclavés, de loger les touristes dont le nombre augmente rapidement et d’assurer la mise en valeur des sites naturels, ou bien la pratique de nouvelles activités comme le ski dès le début du XXe siècle. Dans la vallée de Chamonix, le grand hôtel du Montenvers à 1913 m d’altitude, est construit en 1880. Au chemin empierré qui y conduit est ajouté en 1908 un chemin de fer. Les touristes les plus audacieux pouvaient alors traverser la mer de glace et rejoindre la cabane du Chapeau sur sa rive droite afin de redescendre dans la vallée en empruntant le passage du « mauvais pas ». Le retrait glaciaire rend désormais cette classique boucle impraticable au grand public. Le train à crémaillère conduit encore de nos jours près de 800 000 personnes (Chiffre ODIT France) chaque année sur le glacier. Une grande partie d’entre elles ne descendent sur celui-ci que pour visiter la grotte de la Mer de glace, attraction touristique majeure depuis une cinquantaine d’années. Cette grotte, artificielle, est taillée chaque été au cœur du glacier et permet d’admirer des sculptures de glace. En Autriche, le massif du Grossglockner, point culminant du pays à 3 798 m, s’ouvre au tourisme glaciaire dès 1799 et la visite de l’empereur François Joseph (1830-1916), en 1856, jusqu’à la Kaiser Franz Joseph Höhe renforce l’intérêt touristique du site. D’ailleurs, un hôtel y est construit en 1905. En 1935, l’inauguration d’une route à péage permettant de gagner les 2 365 m de la Europaplatz, prépare la révolution du tourisme motorisé qui ne fait que croître depuis. En 1985, 76 % des touristes visitant les Alpes autrichiennes, s’y rendent en voiture, et 14 % en autocar, les 10 % restant utilisant le train (Pagenstecher, 2004). En 1962, année record de la fréquentation, 1 314 533 visiteurs ont gagné le sommet de la route (Hutter, 2008). Depuis, la fréquentation du site est en moyenne de un million de visiteurs par an. Ceux-ci peuvent gagner le glacier par un sentier et depuis peu, un funiculaire.

Ces différentes pratiques relèvent elles déjà du géotourisme ? Les visiteurs sont bien sûr attirés par la découverte de paysages dont on leur a vanté la beauté, le pittoresque ou le côté sauvage, mais pour autant, rien n’est organisé dans l’offre touristique pour tenter d’en expliquer la formation, la spécificité ou bien les caractéristiques géologiques. Longtemps, les Alpes ont simplement accueilli un tourisme contemplatif, voire sportif se développant parallèlement à l’augmentation des structures hôtelières et de l’amélioration des voies de pénétration au cœur

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129 du massif. Les paysages sont mis en scène mais pour le seul plaisir des yeux. Par ailleurs, rien n’est réellement envisagé pour préserver la ressource. Que le niveau des glaciers s’abaisse et quelques échelles supplémentaires sont posées afin de faciliter leur accès, que l’entrée d’une cavité souterraine soit peu praticable et une galerie artificielle est percée, qu’un site d’altitude doivent être aménagé pour la pratique du ski et des moraines témoins sont aplanies sans qu’aucune trace ne soit conservée de leur existence (Reynard, 2006). L’aménagement des sites est avant tout pensé en fonction d’un tourisme qui artificialise et rentabilise la montagne comme il l’a déjà fait d’une grande partie du littoral. Même les spécificités culturelles sont gommées, le modèle de l’habitat montagnard devient le chalet tyrolien dans la négation des particularismes régionaux qui font de chaque vallée un univers que des siècles d’autarcie ont façonné. Enfin, à chaque sommet, chaque glacier, chaque vallée, chaque gorge qui fait l’objet d’une mise en tourisme on omet les spécificités liées à son origine géologique ou à son mode de fonctionnement actuel. Alors que dans le même temps de nombreux chercheurs tentent de décrypter le fonctionnement propre de nombreux géosites, les résultats de leurs recherches ne franchissent pas encore le cercle des initiés. La rencontre entre scientifiques et acteurs du tourisme n’a pas encore eu lieu. Dans un contexte plus large, la rencontre entre les acteurs du tourisme et ceux du patrimoine ne s’est pas non plus encore faite ! Il faut attendre le tournant des années 1980 pour que la notion de patrimoine gagne l’environnement ainsi que les vestiges du passé industriel conférant de nouvelles valeurs d’usage à des objets jusque là confinés à la seule contemplation esthétique mais aussi à des objets auxquels on n’avait pas prêté attention voire même que l’on avait laissé tombé dans l’oubli. Ainsi, les mines du Fournel, qui pourtant avaient été intrinsèquement liées à l’histoire de l’Argentière La Bessée (Hautes Alpes), ont été complètement oubliées après leur fermeture en 1905 et le lent travail de destruction entamé par les crues du torrent. Il fallut attendre la fermeture programmée des usines Péchiney, qui avaient assuré la prospérité du pays durant tout le XXe siècle pour qu’un travail de recherche soit conduit dans la perspective de mieux connaître l’histoire de l’exploitation minière et les potentialités d’un développement touristique associé (Cowburn, 2000).

Face à cette perte d’identité de l’offre, la demande des touristes évolue. Segmentation des clientèles, raccourcissement des durées de séjours mais étalement de leur répartition sur l’année, conduisent à l’émergence de nouvelles niches touristiques. Elles mêmes convoitées par des acteurs locaux devenus si ce n’est maîtres, du moins responsables du développement de leur territoire avec le recul des politiques centralisées de nombreux états.

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