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1.3 L’histoire

2.1.1 La structure

Chaque hymne de Campantar est généralement composé selon une structure définie. De façon simplifiée et schématique, un poème contient onze quatrains dont les quatre derniers ont systématiquement la même fonction : ainsi, la huitième strophe est consacrée au mythe du démon R¯avan.a qui soulève le Kail¯asa, qui se fait écraser par Śiva et qui finalement le chante et lui joue même de la musique sur les tendons de ses bras. La neuvième raconte le mythe du Li ˙ngodbhava où Vis.n.u sous l’apparence d’un sanglier et Brahm¯a sous celle d’un oiseau hamsa cherchent en vain, respectivement, les pieds et la tête de Śiva, qui a pris la forme d’une colonne de feu et qui, signifie ainsi, sa supériorité absolue. La dixième strophe est une critique vive des ascètes jaïns et bouddhistes ; cette vitupération porte aussi bien sur leur doctrine que sur leur coutume1. Et enfin, la onzième strophe est l’envoi,

1. Reprenons notre analyse de cette dixième strophe à partir de cinq poèmes de Campantar dédiés à C¯ık¯al

¯i : « les renonçants jaïns sont appelés aman. ar (I-74, 10) ‘ceux qui sont nus’ et caman. ar (I-24,10) du sanskrit śraman. a qui dans un contexte non-tamoul désigne une personne qui accomplit des austérités, un moine mendiant aussi bien bouddhique que jaïn. Les moines bouddhistes sont, ici, les têrar (I-9,9) qui appartiennent au Therav¯ada, la branche du petit véhicule. Ils sont aussi les câkkiyar (I-24,10) du nom du clan de Buddha Śâkyamuni. Ils n’honorent pas (van. a ˙nkâmai / I-9,9) les pieds de Śiva qui est décrit comme leur ennemi : il ignore leur dogme (uraiyai vit.t.âr / I-24,10), les condamne en le détruisant (kôlum mol

¯ikal. ol

¯iya / I-74,10) et réduit au silence (vây mat.iya / III-100,6) ces moines hérétiques. Leur doctrine fausse et obscure (karakkum urai / I-24,10) ne doit pas être suivie, voire prise en considération (collum antarañânamellâm avai ôr porul. en

¯¯nêl / I-104,10). Les renonçants jaïns sont nus, ils ne portent pas de cache-sexe (viri kôvan. am nîttâr / I-104,10), vivent d’aumône (kôcaram / III-100,6) et portent comme attributs la cruche à eau des ascètes (kun. t.ikai / III-100,6), une plume de paon (pîli / I-74,10 et III-100,6) pour balayer en douceur les chemins qu’ils empruntent, et une natte (tat.t.u / III-100,6) sur laquelle ils s’assoient. Les bouddhistes sont vêtus de leur habit monastique qui donne l’impression que leur corps est couleur safran (ven tuvar mên

¯iyinâr / I-104,10). Ils vivent aussi d’aumône d’eau de riz bouilli (kañci / III-100,6) qu’ils reçoivent avec contentement (man

le tirukkat.aikk¯appu « protection finale », dans lequel Campantar est présenté à la troisième personne (voir 2.2.1). Nous traduisons, ci-dessous, en guise d’illustration, les quatre dernières strophes de l’hymne inaugural du corpus effectif du T¯ev¯aram, composé à la gloire de Piramapuram (un des douze noms de C¯ık¯al

¯i) :

viyar ila ˙nku varai untiya t¯ol.kal.ai v¯ıram vil.aivitta uyar ila ˙nkai araiyan

¯ vali cer¯¯ru, en¯atu ul.l.am kavar kal.van ¯ tuyar ila ˙nkum(m) ulakil pala ¯ul

¯ikal. toon

¯¯rumpol¯utu ell¯am peyar ila ˙nku piram¯apuram m¯eviya pemm¯an

¯ — ivan¯ an¯¯r¯e ! (I 1.8) t¯al. nutal ceytu, ir

¯ai k¯an. iya, m¯alot.u tan.t¯amaraiy¯an ¯um, n¯ın. utal ceytu ol

¯iya(n) nimirnt¯an¯, en¯atu ul.l.am kavar kal.van ¯ v¯al.nutal cey makal.¯ır mutal¯akiya vaiyattavar ¯etta,

p¯en. utalcey piram¯apuram m¯eviya pemm¯an

¯ — ivan¯ an¯¯r¯e ! (I 1.9) puttar¯ot.u por

¯i il caman. um pur¯amk¯ur¯a, ner¯i nill¯a otta colla, ulakam pali t¯erntu, en

¯atu ul.l.am kavar kal.van ¯ « mattay¯an

¯ai mar¯uka(v), uri p¯orttatu orm¯ayam(m)itu ! » en¯¯na, pittarp¯olum, piram¯apuram m¯eviya pemm¯an

¯ — ivan¯ an¯¯r¯e ! (I 1.10) aruner

¯iya mar¯ai valla mun¯i akan¯ poykai alar m¯eya, peru ner

¯iya, piram¯apuram m¯eviya pemm¯an¯ ivan¯tan¯¯nai, oru ner

¯iya man¯amvaittu un. ar ñ¯an¯acampantan¯(n¯) uraiceyta tiru ner

¯iya tamil¯vallavar tolvin¯ai t¯ırtal el.itu ¯am¯e. (I 1.11)

Le voleur qui ravit mon for intérieur

A détruit la force du roi de la haute Ila ˙nkai Qui a porté la montagne fameuse par sa grandeur Et dont l’héroïsme fait croître ses épaules ;

N’est-ce pas lui,

Le seigneur qui vit à Piramapuram2 dont la renommée brille, Dans ce monde de souffrance,

Toutes les fois qu’apparaissent de multiples déluges ? (I 1.8) Le voleur qui ravit mon for intérieur

S’est dressé si bien que M¯al et Celui du lotus frais,

critiqués non seulement pour leur doctrine mais aussi pour leur coutume. Les deux groupes sont vivement injuriés et dénigrés : ils sont sans intelligence (ar

¯ivu il / I-74,10), leurs corps sont sales (mâcu êriya ut.alâr / I-9,9), ils sont insignifiants, petits (cir

¯u / I-74,10) et mauvais (kol.l.iyar / III-100,6). » (Veluppillai 2003 : 65).

2. L’allongement, dans l’hymne, de la troisième syllabe du toponyme Piramapuram résulte de la métrique ; information de T. V. Gopal Iyer.

Ayant exploré la base et le sommet3 pour voir le seigneur Et ayant parcouru une longue distance,

Cessent [de le chercher] ; N’est-ce pas lui,

Le seigneur qui vit à Piramapuram,

Offrant son amour, sous la louange des habitants de la terre, À commencer par les femmes au front éclatant ? (I 1.9) Le voleur qui ravit mon for intérieur

Chercha l’aumône dans le monde

Alors que les jaïns sans intelligence et les bouddhistes médisaient Et prêchaient un comportement déroutant ;

N’est-ce pas lui,

Le seigneur qui vit à Piramapuram Semblable à un fou dont on dit : « Pour déconcerter l’éléphant en rut,

Quel étonnement de se couvrir de sa dépouille ! » ? (I 1.10) Tandis qu’Akan

¯, le sage fort dans les Veda à l’accès difficile, Réside sur la fleur de l’étang,

Pour ceux capables [de chanter ces strophes] tamoules salvatrices, À propos du seigneur qui vit à Piramapuram au grand chemin, Récitées par le sensible ѯan

¯acampantan¯, Qui a posé son esprit sur la voie de l’unique, [Pour eux] la fin des souffrances sera facile. (I 1.11)

Il existe évidemment des exceptions à cette structure qui représentent environ un dixième du corpus disponible. Sur les trois cent quatre-vingt-cinq hymnes attri-bués à Campantar, quarante-deux comportent dix strophes : trente-deux suivent la structure typique des quatre derniers quatrains que nous venons de décrire4,

3. Littéralement « ayant fait les pieds et le front » (t¯al. nutal ceytu).

4. I 5, 6, 9, 18, 55, 66, 68, 89, 102, 103, 113, 114, 116, 133 ; II 1, 11, 17, 23, 36, 58, 64, 83, 89, 95, 97, 108, 122 ; III 23, 32, 91, 122 et 123.

sept sont dépourvus d’un élément de cette organisation5 et trois ne respectent pas ce schéma (I 105, III 63 et 94). Treize poèmes contiennent douze strophes, dont dix hymnes sont en l’honneur des douze noms de C¯ık¯al

¯i (I 45, II 6 et III 54 et voir tableau 2.1). Mis à part l’hymne III 124 composé de six quatrains qui ne fournissent ni la structure ni l’envoi, les autres poèmes de sept (I 81 et III 100), huit (III 50 et 99) et neuf (I 106, III 33 et 36) strophes obéissent à la règle. La structure de la strophe est aussi, fréquemment, caractérisée par un schéma fixe ou un refrain qui se répète dans tout le poème, à l’exception de l’envoi. Souvent, le nom du site, repris en fin de strophe, est qualifié aux vers qui précèdent par des descriptions des paysages et la présence de Śiva6. C’est ainsi que fonctionne par exemple I 9.1 :

van. t.u ¯ar kul

¯al arivaiyot.u piriy¯a vakai p¯akam pen. t¯an

¯ mika ¯an¯¯an¯, pir¯aic cen¯¯nip perum¯an¯, ¯ur — tan. t¯amaraimalar¯al. ur

¯ai taval.a(n) net.um¯at.am vin. t¯a ˙nkuva p¯olum(m) miku — V¯en. upuram atuv¯e.

La demeure du Seigneur couronné du croissant de lune, Devenu femme par la moitié inséparable

Avec la jeune dame à la chevelure habitée par les abeilles, Est bien V¯en.upuram, où réside Celle à la fraîche fleur de lotus, Où les maisons sont blanches

Et si hautes qu’elles semblent soutenir le ciel.

Le terme ¯ur (I 9.1b), qui désigne un lieu, est le sujet principal de la strophe. Il est précédé par un complément de nom perum¯an

¯ (Śiva) qui, lui-même, est qualifié par ¯

an

¯¯an¯. L’attribut du sujet est le toponyme V¯en.upuram (I 9.1d), un des douze noms de C¯ık¯al

¯i, dont la prospérité est décrite aux deux derniers vers

7. De nombreux

5. Il manque la strophe sur le mythe de R¯avan.a en III 55, sur celui du Li ˙ngodbhava en III 10 et 37, sur la vitupération des ascètes hérétiques en II 45, III 76 et 121, et enfin, l’envoi fait défaut en II 81.

6. Dans le T¯ev¯aram, les hymnes attribués à Campantar sont ceux qui décrivent le plus abon-damment les sites chantés (leurs paysages, leurs édifices et leurs habitants). Les poèmes attribués à Appar préfèrent célébrer la nature de Śiva et ceux de Cuntarar rapportent souvent ses problèmes privés (Orr 2009).

7. Nous retrouvons ce schéma ailleurs : le temple, k¯oyil (v. 2), a pour attribut le toponyme C¯aykk¯at.u (v. 4) dans II 38 ; le lieu, it.am (v. 2), est donné en fin de vers 4 dans II 71, 72, 116 ;

poèmes sont pourvus de refrains en fin de strophe qui mettent en valeur la localité où Śiva habite8 et qu’il aime (I 103 et III 61). Une autre catégorie de refrains répète le nom de Śiva en fin de quatrain. Śiva est celui du site (I 43 et II 26), celui qui y réside (I 50, 51, 52 ; II 18, 22, 65, 89, 93, 94 ; III 39 et 58). Il est le seigneur du lieu (I 45, 62, 87, 123 ; II 6, 50, 80, 87 et III 8) qui y demeure (I 1, 22 ; III 59, 92, 108 et 121) réjoui (I 75 ; II 67 et III 64), avec sa parèdre (I 74 et III 24). Ces deux dispositions de refrains, présentant Śiva et sa demeure, mettent l’accent sur la présence de Śiva et son ancrage dans ces sites qui établissent la géographie sacrée du Pays Tamoul9. Quelques refrains « impératifs » invitent le dévot à chanter (I 8), à louer (I 59, 118 ; II 86 et III 2) et, surtout, à visiter les temples de Śiva (I 12, 28 ; II 97, 99 et 100). D’autres, « interrogatifs », questionnent Śiva sur sa nature (I 78 et III 112), ses actes divins (II 1, 2, 3, 4, et 36) et amoureux (I 63 et 76), ainsi que sur le choix de sa demeure (I 4, 6 et 7). Ajoutons enfin les refrains qui scandent à la fin de chaque strophe les bienfaits qu’on obtient en honorant Śiva ou son temple (I 79, 88, 124 ; II 79, 82, 85 et III 119), la grâce accessible (II 51, 53, 90 ; III 4 et 55) et les propriétés mantriques de Śiva (la cendre sacrée en II 66 et les cinq syllabes en III 22 et 49). La structure figée des hymnes, les schémas fixes des strophes et les nombreux refrains traduisent le style simple et formulaire des poèmes attribués à Campantar qui peuvent parfois exceller en lyrisme10.

III 103 et 104.

8. I 40, 49, 113 ; II 31, 32, 42, 45, 88, 95, 101 ; III 23, 25, 57, 62, 82, 90, 101 et 120. Remar-quons que certains hymnes qui se succèdent dans le corpus établi fonctionnent suivant une même structure : le sujet est la localité prospère (val.a nakar) de Śiva qui a accompli tel ou tel exploit (I 109, 110, 111).

9. Le poète peut chanter plusieurs sites comme dans les hymnes construits sur le procédé d’interrogation vin

¯¯a urai (voir infra) et dans III 109 qui célèbre quatre sites.

10. Hardy (*2001 [1983] : 271-275) définit six types de phrases poétiques qui comblent la structure des hymnes vishnouites. Cette classification peut, parfaitement, être appliquée aux poèmes attribués à Campantar. Ses strophes contiennent des expressions stéréotypées dépeignant la nature, des épithètes de Śiva, avec des références mythologiques et théologiques, puis son attachement à un site, lui-même décrit.