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1.3 L’histoire

2.1.2 Influence du Ca ˙nkam

La disposition de l’hymne en onze quatrains marqués par une structure interne n’est pas novatrice. Il nous semble évident que de nombreux poèmes attribués à Campantar s’inscrivent dans un contexte littéraire précis pré-existant d’expression sanskrite et tamoule. S’il n’est pas possible d’affirmer que les deux patikam de K¯araikk¯alammaiy¯ar, ainsi que les dizains de l’Ai ˙nkur

¯un¯ur¯u et du Patir¯¯ruppattu, aient servi de modèle structural aux décades du T¯ev¯aram (Gros 1982 : 103), nous observons, toutefois, que les poèmes de ce dernier corpus témoignent, souvent, de l’héritage des deux registres, intérieur (akam) et extérieur (pur

¯am), de la littéra-ture codifiée du Ca ˙nkam11. D’une part, dans la continuité de la poésie héroïque (pur

¯am), Śiva devient le roi vaillant : loué, entouré d’une armée de gnomes, il écrase ses adversaires, les démons, au combat. Il est aussi le généreux qui leur pardonne ou qui donne12. D’autre part, dans la continuité de la poésie amoureuse (akam), Śiva est l’être aimé, l’amant, attendu ou recherché. Ainsi, nous retrouvons le genre du poème-messager de la littérature profane en contexte bhaktique13. Le poète met en scène une jeune femme qui envoie des oiseaux à Śiva pour signaler que la séparation a provoqué une grave maladie d’amour. Chaque strophe du poème I 60, à la gloire de T¯on.ipuram (C¯ık¯al

¯i), narre la plainte de l’amante qui s’adresse à divers oiseaux (échassier, caille, perroquet, . . .)14 en leur demandant d’aller dire son mal au Śiva résidant à T¯on.ipuram15. Nous lisons, par exemple en I 60.8 :

p¯al n¯ar

¯um malarc c¯utap pallava ˙nkal. avai k¯oti, ¯

en

¯¯orkkum in¯itu ¯aka mol¯iyum el¯il il.a ˙nkuyil¯e !

11. Nous ne cherchons pas à établir une étude comparative rigoureuse entre la littérature du Ca ˙nkam et les hymnes attribués à Campantar. Nous soulignons simplement une certaine influence qui permettra de mieux apprécier, au chapitre 6, la mécanique de la construction hagiographique.

12. Nous pensons par exemple à l’hymne I 92, dédié à V¯ıl

¯imil¯alai, dans lequel le poète demande des pièces (k¯acu I 92, 1a) sur le même plan que des faveurs (p¯er

¯u I 92, 4b), la protection (c¯emam I 92, 5b) et le mérite (payan

¯ I 92, 9b). Cette requête fait écho à celle des bardes devant le roi dans les poèmes du pur

¯am, comme Pur¯an¯an¯¯ur¯u 315.

13. Pour une mise au point récente de ce genre, originaire du sanskrit, dans la littérature tamoule, voir Dubyanskiy 2005.

14. La première strophe de l’hymne I 60 présente une exception car la jeune femme ne fait pas appel à un oiseau mais au roi des abeilles (al.iyarac¯e).

t¯en

¯ ¯arum pol¯il put.ai c¯ul

¯tirut t¯on. ipurattu amarar-k¯on

¯¯arai en¯¯nit.aikk¯e vara oru k¯al k¯uv¯ay¯e ! (I 60.8)

O jeune et joli coucou

Qui dit, béquetant les feuilles tendres du manguier Aux fleurs parfumées de lait,

Des mots agréables à tous ! Ne diras-tu pas, une fois,

Au roi des dieux du saint T¯on.ipuram, Entouré de jardins regorgeant de miel, De venir à moi ! (I 60.8)

Dans un autre poème en l’honneur de Ce ˙nk¯at.t.a ˙nkut.i, un humble serviteur envoie divers oiseaux au seigneur, par pure dévotion, pour demander s’il obtiendra, un jour, la grâce16. Le genre du poème-messager est transposé ici en contexte stric-tement bhaktique.

Ailleurs, Śiva devient le coeur du poète qui le loue : chaque strophe de l’hymne III 89 célèbre le Śiva de Koccaivayam (C¯ık¯al

¯i) qui est interpellé par le terme af-fectueux neñcam, « coeur ». Puis, dans chaque quatrain de l’hymne III 100, dédié à T¯on.ipuram, à l’exception de l’envoi, Śiva est présenté comme le dieu aimé qui vient ôter la féminité de la narratrice touchée par les symptômes classiques de

16. III 63, 8 :

k¯ur ¯aral irai c¯erntu, kul.am ulavi, vayal v¯al ¯um t¯ar¯av¯e ! mat.an¯ar¯ay ! tamiy¯er

¯ku on¯¯ru uraiy¯ır¯e ! c¯ır¯al.an

¯, cir¯utton. t.an¯ Ce ˙nk¯at.t.a ˙nkut.i m¯eya p¯er¯al.an

¯, perum¯an¯tan¯ arul. oru n¯al. per

¯al ¯am¯e ?

« O héron qui atteignant sa proie d’abondants poissons ¯aral, Flanant dans les étangs, vit dans les rizières,

O bel échassier !

Ne me diras-tu pas un mot à moi le solitaire ?

Est-il possible de recevoir un jour la grâce du Glorieux,

Du grand maître qui vit dans Ce ˙nk¯at.t.a ˙nkut.i de l’humble serviteur, Du Seigneur ? »

l’état amoureux17. L’épisode ne s’inscrit pas dans une région, une situation et un état psychologique particuliers propres à la poésie d’akam18. Mais les formules de la séparation du registre d’akam sont utilisées dans un contexte inversé, celui de la rencontre. L’amante qui prend la parole, émaciée et pâle, perd sa beauté, sa jeunesse et ses bracelets, non à cause de la séparation avec l’aimé, mais à la vue de Śiva. Nous constatons donc ici que le cadre conventionnel littéraire est rompu mais que les formules sont reprises (voir aussi Gros 1984 : xvi). Parfois, c’est le narrateur qui exprime la détresse de la jeune femme, son mal d’amour. Ainsi, dans l’hymne I 44, dédié à P¯accil¯accir¯amam, il s’interroge, à chaque strophe, sur la nature du dieu qui flétrit une jeune femme19, et dans le poème II 18, célé-brant Marukal, il interpelle Śiva et lui demande s’il est convenable de faire languir une jeune fille, marquée physiquement par les signes amoureux20. Notons qu’à la strophe 6 le poète reprend une image particulière du registre amoureux de l’akam qui dépeint le commérage dans le village à propos de l’amante qui a perdu le som-meil21. Afin de clore cette énumération non exhaustive de poèmes mentionnant le personnage de l’amante, signalons l’hymne II 47, dit de P¯ump¯avai, qui, à chaque fin de strophe répète l’interrogation k¯an. ¯at¯e p¯otiy¯o p¯ump¯av¯ay, « Ô belle jeune fille,

17. III 100.1c : perum pakal¯e vantu, en

¯ pen. mai kon. t.u, p¯erntavar c¯ernta it.am ; « la demeure inhérente au ravisseur venu en plein jour ôter ma féminité ». III 100.2c : ca ˙nku iyal vel.val.ai c¯ora vantu, en

¯ ayal kon. t.¯artamatu ¯ur ; « la demeure de celui qui, venu, faisant tomber mes bracelets de conques, ôta ma beauté ». III 100.6c : en

¯ el¯il kavarnt¯ar it.am¯am ; « la demeure du charmeur de ma jeunesse ».

18. Cf. la postface d’A. K. Ramanujan incluant un tableau récapitulatif de ces éléments (Daniels-Ramanujan 2004 : 97-115).

19. I 44.1d et 4d : ma ˙nkaiyai v¯at.a mayal ceyvat¯o ivar m¯an.p¯e ?, « est-ce sa grandeur de troubler la jeune femme pour qu’elle se fane (ou alors qu’elle se fane) ? » ; I 44.2d : ¯el

¯aiyai v¯at.a it.ar ceyvat¯o ivar ¯ıt.¯e ?, « est-ce sa force d’affliger la femme pour qu’elle se fane ? » ; I 44.3d : paintot.i v¯at.ac citaiceyvat¯o ivar c¯ır¯e ?, « est-ce sa gloire de détruire celle au bracelet d’or pour qu’elle se fane ? » ; etc.

20. II 18.1d : takum¯o, ival. ul. meliv¯e ?, « est-ce convenable que son coeur s’affaiblisse ? » ; II 18.1d : takum¯o, ival. ¯ecar

¯av¯e ?, « sa langueur est-elle convenable ? » ; ival.ai ir

¯ai ¯ar val.ai kon.t.u, el

¯il vavvin¯aiy¯e ?, « ayant pris ses bracelets de poignet, as-tu ôté sa beauté ? » ; etc. 21. II 18.6cd : pularum tan

¯aiyum tuyil¯al., put.ai p¯ontu / alarum pat.um¯o, at.iy¯al. ival.¯e ?, « elle ne dort pas jusqu’à l’aube, est-ce convenable que les voisins viennent commérer sur elle, la dévote ? ».

pars-tu sans regarder ? ». Ici, le poète retient ou rappelle la jeune femme qui part sans assister aux différentes fêtes du temple de Kap¯al¯ıśvara à Mayil¯apuri22. Ces divers exemples témoignent donc de l’influence de la littérature du Ca ˙nkam dans quelques hymnes attribués à Campantar qui, par ailleurs, se distingue dans le corpus par ses prouesses rhétoriques.