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Les stratégies de négociation des femmes avec la masculinité hégémonique

5.4 Les stratégies de négociation avec la masculinité hégémonique dans

5.4.5 Les stratégies de négociation des femmes avec la masculinité hégémonique

hégémonique

Les filles s’orientent majoritairement vers des pratiques de production de formes corporelles et d’entretien du corps, dans une modalité souvent non compétitive (Davisse & Louveau, 1998). On peut considérer ces activités, valorisant des figures évaluées sur leur esthétique, comme conformes à la féminité valorisée : une esthétique sportive jugée sur des critères techniques, une esthétique artistique ou une esthétique plastique. Mais pour être performante, les gymnastes s’approprient aussi des éléments de la masculinité

hégémonique (la compétitivité, la force, la prise de risque, etc.), tout en restant conformes aux exigences de présentation de soi. Cette négociation est aussi illustrée par les boxeuses qui doivent apprendre à « boxer comme un homme » en « restant une femme »

(Mennesson, 2012), c’est-à-dire à la fois à se conformer à l’idéal (masculin) d’aptitude au combat tout en se conformant aux exigences de la féminité valorisée. Selon la nature des

dispositions incorporées par les boxeuses durant leur trajectoire, le régime de genre véhiculé par l’institution va produire des effets différents (Mennesson, 2012). L’appartenance de race entre en jeu dans le choix des sports. Les « magrébines » de classe populaire s’orientent moins vers la gymnastique en particulier à cause de la tenue vestimentaire qu’elle impose. L’appartenance de race influe aussi sur les stratégies de négociation comme lorsque certaines « magrébines » donnent des gages de religiosité à leur famille (en devenant plus pratiquantes) pour pouvoir s’investir davantage dans leur carrière sportive en tant qu’athlète ou entraîneur-e (Parmantier, 2013).

5.5 Conclusion

Nous avons tenté d’opérer une relecture critique des concepts de champ, de capital et d’habitus à travers le prisme des chercheuses féministes en dissociant la notion d’appartenance de celle de disposition. Ces multiples appartenances impliquent des

rapports sociaux co-présents et co-définis dans le jeu, et un accès inégalitaire aux

dispositions et capitaux dont la valeur fluctue dans le jeu en fonction de ces appartenances et des espaces dans lesquels ils sont joués. Pour nous, les concepts de champ et de

masculinité hégémonique sont compatibles et complémentaires théoriquement. Ce croisement aboutit à la production d’un cadre théorique original dont nous avons tenté d’illustrer la pertinence dans le champ sportif. Le sport peut être considéré comme un objet privilégié pour étudier la production/orientation de nos pratiques « en deçà de la

conscience », et la transmission/compréhension « par corps » de ces pratiques (Bourdieu, 1983). Le sport est aussi un objet central dans l’analyse de la constitution de la culture occidentale (Elias & Dunning, 1994) et de la domination d’une forme de masculinité

hégémonique à l’échelle internationale (Connell, 2000 ; Messner, 2002). Il existe en effet un lien profond et durable entre les hommes, les masculinités et le sport (McKay & Laberge, 2006). Les travaux anglophones abondent sur cette thématique contrairement aux travaux francophones, en particulier en France. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce déficit. Tout d’abord, en raison de sa dimension corporelle et en tant qu’activité de « loisir », le sport continue à souffrir d’un manque de légitimité en sciences sociales (Bourdieu, 1983 ; Wacquant, 2013). De plus, les travaux sur les masculinités sont

marginaux dans une thématique de recherche (le genre) qui, en France, a bien du mal à trouver une place centrale dans le champ académique, d’autant sans doute qu’il s’agit d’une thématique historiquement investie et dominée par des femmes. Les attaques récurrentes (en particulier dans le débat publique) sur la scientificité des travaux sur le genre sont probablement d’autant plus virulentes que ces travaux dérangent, y compris au sein du champ scientifique, en pointant les multiples processus qui confortent la domination des hommes occidentaux blancs hétérosexuels de classe moyenne et supérieure. Cependant cette position marginale dans le champ académique est aussi propice au développement d’une pensée critique plus subversive.

Avec Mickael Kimmel (2000) nous pensons qu’il est souhaitable que les hommes étudient les rapports sociaux de sexe. Ils ont généralement moins intérêt à chercher à dévoiler les mécanismes qui assurent leur domination sur l’autre sexe, sans exclure que, dans certaines configurations, ils puissent avoir intérêt à le faire. La diversité des regards (et du croisement des appartenances) est sans nul doute une richesse et devrait idéalement être cultivée dans tous les domaines de recherche scientifique.

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Avant propos de l’article n° 4

Nous sommes premier auteur sur cet article avec Suzanne Laberge en co-auteure. Cet article va être soumis à la revue Gender & Society en octobre 2014. La bibliographie en fin de texte respecte les exigences de cette revue. Nous présentons ici le texte en anglais car il est le produit fini du travail accompli.

Cet article propose de croiser le cadre conceptuel de Connell (1995, and Messerschmidt 2005) avec les concepts d’habitus, de champ et de capital (Bourdieu 1979, and Wacquant 1992, 1998) pour étudier comment se forme et se transforme la masculinité

hégémonique dans deux sports, le rugby et le patinage artistique solo. Le processus d’hybridation est appréhendé tout d’abord comme une incorporation de dispositions corporelles hétérogènes en relation avec des contraintes sportives spécifiques ; ensuite en tant que stratégies discursives ambivalentes en relation avec une position

centrale/marginale (Messner 2002) dans le champ ; enfin comme une négociation avec la

masculinité hégémonique en relation avec des appartenances nationale/régionale, sexuelle, sociale et sexuée.

6 Article 4. The hybridization of hegemonic

masculinities in the field of sports: A comparative

study of Rugby and Figure Skating

6.1 Introduction

In recent decades, sociology of gender studies (primarily in English) have increasingly applied the concept of hegemonic masculinity (Connell and Messerschmidt 2005) in explaining the process in the field of sports by which domination by a group of heterosexual Western white males from the middle and upper classes is reproduced (Messner 2002). However, the concept has been criticized, in particular for being reductionist and imprecise (e.g. which of the various models of masculinity is hegemonic?), and for its failure to take into consideration the subjectivity and contradictions of men (Anderson 2011; Demetriou 2001; Donaldson 1993; Wetherell and Edley 1999; Pringle 2005; Thorpe 2010). Despite these criticisms, in our opinion the updated version of the concept by Connell and Messerschmidt (2005) continues to have heuristic potential. Specifically, the notion of hybridization proposed by Demetriou (2001) opens the way to seeing reproduction as the result of transformation instead of considering the two concepts as opposites. The process of hybridization—the integration of aspects of marginal or subordinated masculinities and femininities—enables hegemonic masculinity to perpetuate itself. Various studies show how men (often middle class white males) simultaneously reproduce inequalities of sex, race and sexuality while transgressing certain norms (Barber 2008; Bridges 2014; Messner, 2007; Yeung, Stombler and Wharton 2006).

This article combines the conceptual framework of Connell (Connell 1995, 2000; Connell and Messerschmidt 2005) with the concepts of habitus, field and capital (Bourdieu 1979, 1980; Bourdieu and Wacquant 1992, Bourdieu 1998) in order to examine how hegemonic masculinity is formed and transformed in two sports, rugby and singles figure skating, with opposing disciplinary logics within the field and highly differentiated models

of social recruitment. The process of hybridization is explained first as an incorporation of heterogeneous corporeal dispositions in connection with specific constraints in sports; secondly as ambivalent discursive strategies in relation to a central/marginal position in the field ; and finally as a negotiation with hegemonic masculinity in relation to the national/regional, sexual, social and gender context.