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Nathan : la « virilité défensive »

4.4 Variation inter-individuelle dans la négociation avec la

4.4.1 Nathan : la « virilité défensive »

Nathan est âgé de 20 ans au moment de l’enquête. Il est en train de faire sa cinquième année au pôle Espoir. Il est interne durant la semaine. En fin de semaine, il vit en collocation avec des handballeurs professionnels jouant dans le club local. Il est le benjamin d’une fratrie de trois garçons. L’ainé peine à trouver un emploi et tente de devenir policier. Le cadet travaille sur des chantiers comme carreleur. Leur mère est assistante maternelle, elle n’a pas d’activité physique. Leur père est sans emploi avec une formation en menuiserie et se déplace en fauteuil roulant. Il est très investi comme joueur (en équipe réserve) et dirigeant dans un club handisport de basketball de niveau national. Nathan affiche une certaine fierté devant cet investissement sportif, avec les responsabilités et les contraintes que cela induit – notamment en termes de déplacement. Il a déjà eu l’occasion de pratiquer le basketball et souhaiterait reprendre cette pratique un jour.

Pour Nathan, la première qualité requise pour être un bon joueur est : « ne pas avoir

peur de prendre des coups ». Il ajoute : « beaucoup de joueurs ont peur de prendre des

coups au bas niveau (…) ils pleurent assez facilement ». La progression passe par l’apprentissage de la douleur. La musculation est un travail obligé qu’il a appris à aimer, utile, car : « Quand t’en prends un (coup) ça fait moins mal et quand t’en mets un ça fait

plus mal, de toute façon t’es obligé de passer par là. ». Cette valorisation de la résistance au mal se comprend en partie par l’expérience douloureuse qu’il a de la pratique, attestée par l’énoncé de ses blessures : « Première année le psoas : des élongations, des

J’étais pas habitué à autant d’entraînements au début. En 2e année au pôle j’me suis fait une grosse entorse à la cheville gauche, avec déchirure des ligaments et l’année d’après je me suis fait l’autre cheville. L’année d’après pratiquement rien et là : entorse du genou en début d’année. Donc j’ai perdu pratiquement toute ma condition physique. Je suis revenu un peu trop vite, je me suis fait une entorse de la cheville, je me suis fait mal au poignet juste avant de partir en vacances et j’ai le doigt (cassé) maintenant… Ouais, j’ai pris… »

Pour Nathan, réaliser un bon entraînement nécessite avant tout du sérieux et dans le fait d’« être généreux sur l’effort, à 100 % à l’entraînement ». Vis-à-vis de l’entraîneur, il valorise à la fois son autorité stricte, sa capacité à maintenir une ambiance de travail sérieuse au sein du groupe, mais aussi la complicité qu’ils entretiennent en dehors en « se

chambrant », en parlant de filles ou de football.

Nathan a rencontré des difficultés relationnelles avec les autres lycéens. Même au sein du groupe des handballeurs, il dit ne pas « avoir de pote ». Cet isolement relatif tient en partie aux difficultés scolaires qu’il rencontre. Il se sent différent, car plus âgé du fait de ces deux redoublements, mais aussi par son engagement dans une filière technique (STG) : « Tu vois les (joueurs en filière) S, ils font : “STG c’est pourri, c’est trop facile”… Dès que

t’arrives au Bac en éco/droit t’as 74 chapitres à apprendre par cœur, j’aurais bien aimé les voir, ils ne savent pas ». Cette orientation est vécue d’autant plus difficilement qu’il ressent ses résultats scolaires comme une injustice, ne récompensant pas ses efforts. Nathan semble avoir subi le choix de la filière « STG comptabilité » et aurait préféré la filière « marketing », car il n’aime pas la comptabilité et préfère les mathématiques. L’affirmation de ces goûts semble davantage un moyen de se rassurer sur sa position dans le champ scolaire, en revendiquant une proximité avec les mathématiques, matière d’excellence masculine (Mosconi, 2005), alors même qu’il est engagé dans une filière très féminisée.

Au sein du groupe de pairs, Nathan s’affirme en s’appuyant essentiellement sur le droit d’aînesse et la force physique. Il occupe pleinement son rôle d’« ancien », valorise les privilèges qu’il en tire dans sa relation avec l’entraîneur et les autres joueurs (se faire servir à table). Il rappelle régulièrement son statut de « Papi » en usant des coups et joue à l’occasion le rôle de protecteur de jeunes recrues contre d’autres garçons extérieurs au groupe.

Nathan envisage soit de devenir handballeur professionnel, soit de poursuivre en BTS « Management d’unité commercial ». Il formule ainsi ses envies de carrière : « Tu

commences chef de rayon, après tu finis chef de magasin, après chef des chefs. En gros à la fin t’encules les gens et tu fais du fric… C’est ça hein ! (rires)… Et puis t’as des responsabilités, t’as des trucs à gérer ». Il associe la réussite professionnelle à l’occupation du rôle du chef (dans un cadre hiérarchisé), au gain d’argent et emploie l’imagerie de la sexualité conquérante.

Nathan ne serait pas farouchement opposé au fait que sa compagne fasse du handball, mais il préfèrerait ne pas avoir en commun cette activité avec elle et qu’elle fasse de la danse par exemple. D’ailleurs, il juge le spectacle du handball féminin peu intéressant. Il préfère le rugby ou le football. Il a un rapport conflictuel aux figures féminines évoquées en entretien : sa mère qu’il a « beaucoup de mal à la supporter » parce qu’elle « pose 20 fois les mêmes questions » et la femme de ménage qui « ne fait rien

comme il faut ». Lorsque nous évoquons la possibilité d’avoir un homosexuel dans l’équipe, il dit : « Je serais choqué ! Limite je changerais de club, je changerais d’équipe.

Parce qu’après t’as des rumeurs ! »