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Le déroulement des observations ethnographiques

Nous avons débuté la récolte des données concernant la thèse à l’occasion du travail de master 2 réalisé en 2009 sur un Pôle Espoir de handball situé en région Bretagne, grâce à l’intermédiaire de l’entraîneur, un ancien collègue d’université intéressé par l’enquête. En février 2009, pendant une semaine d’immersion nous avons suivi de près le travail de l’entraineur et assisté à l’ensemble des entrainements au rythme de deux par jour, tout en soutenant de nombreuses discussions avec les joueurs lors de séances de musculation ou en bordure de terrain. Nous avons pu assister à la fête du carnaval, discuté avec des collègues enseignants ou entraîneurs du club local. Nombre de ces observations seront utilisées dans le premier article présenté.

Durant la période de la thèse en France, la récolte de données s’est répartie sur une période de deux ans. Comme pour le master 2, nous avons tout d’abord contacté les entraîneurs responsables des Pôles rugby, patinage et boxe française afin de demander l’autorisation pour assister aux entraînements. Ces observations ethnographiques se sont répétées à intervalles réguliers, sur un rythme hebdomadaire, durant les automnes 2012 et 2013. Nous avons tenu un journal de terrain. Ces notes ont souvent été enregistrées durant les séances d’entrainement ou juste après le passage sur les différents Pôles. Les observations ont porté sur : les interactions entre les athlètes au sein du groupe et avec les entraineurs, les modalités du travail sportif, les conversations informelles que nous avons pu avoir avec les différents membres du groupe. Ce temps d’observation est aussi un temps d’imprégnation d’une atmosphère de travail très spécifique à chaque groupe, de mise en relation in situ entre des éléments théoriques (liés à la lecture de différents travaux) et des évènements qui se déroulent sous nos yeux, et de création de liens de confiance avec les athlètes et les entraineurs. Ce travail d’observation a aussi servi à étoffer les entretiens menés par la suite en évoquant avec les athlètes des situations observées pendant l’entraînement.

En handball, le Pôle Espoir est rattaché à un lycée « élitiste » en proche banlieue de Rennes qui obtient près de 100 % de réussite au baccalauréat. La plupart des joueurs du groupe sont internes. Ils vivent au lycée, dorment à l’internat, se nourrissent à la cantine, suivent les cours scolaires et s’entrainent à proximité du lycée. Le pôle Espoir de handball présente donc une socialisation très enveloppante, proche d’une « institution totale » (Goffman, 1968).

En ce sens, son fonctionnement est proche de celui du Pôle Espoir de rugby étudié. Ce dernier est situé en proche banlieue parisienne, dans un lycée en pointe dans de l’implantation de la pratique du rugby dans la région. Le rugby est pratiqué dans ce lycée depuis plus d’un siècle. L’inscription historique de ce sport dans cet établissement scolaire est illustrée par une grande fresque murale (10 mètres sur 20 mètres) ornant le mur dans la grande salle d’étude (bibliothèque) du bâtiment de l’administration. Ce lycée ancien est doté d’une excellente réputation, il présente près de 100 % de réussite au baccalauréat. Il y a en ce lieu une tradition de formation de joueurs de rugby depuis des générations, ce qui illustre bien le lien entre la formation des hommes blancs de classe supérieure à l’exercice d’un pouvoir et la pratique de ce sport (Elias et Dunning, 1994). Comme dans le Pôle Espoir de handball, les joueurs sont internes (sauf un). L’enquête s’est essentiellement déroulée sur un mode routinier. On se rendait régulièrement au lycée où l’on rejoignait les entraîneurs à leur bureau. Les deux hommes sont d’anciens joueurs de rugby et ont tous deux été formés dans la section sport-étude (ancêtre des pôles) de ce lycée une quinzaine d’années auparavant. Dans le bureau des entraîneurs, nous avons pu suivre leur travail, assister à des rencontres individualisées avec certains joueurs au sujet de questions scolaires et sportives. Les athlètes s’entraînent deux fois par jour. Une séance au lycée (de musculation de préparation physique sur piste) et une séance le plus souvent sur terrain à l’extérieur. Nous avons pu suivre ces entraînements au lycée (en salle de musculation et au gymnase pour des séances de travail technique) et nous rendre aux entrainements en extérieur avec l’ensemble du groupe en minibus sur des terrains situés à 15 minutes environ. Nous disposions d’une totale liberté pour circuler, nous entretenir de façon informelle avec les entraineurs et les joueurs durant les temps morts de ces séances.

En boxe française, nous avons investi un Pôle France rattaché à un CREPS69 regroupant une vingtaine de Pôles (Espoir et France) dans diverses disciplines (gymnastique, handball, hockey sur gazon, golf, volley, basket, badminton, etc.). Le centre comprend des installations sportives, des internats, des cantines, des salles de musculation et des personnels (payés par l’État ou la région) chargés de l’encadrement disciplinaire

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Les Centres de Ressources, d'Expertise et de Performance Sportives, sont des établissements nationaux publics, sous la tutelle du Ministère des Sports, chargés de la formation de d'animateurs et d'agents publics et de l'entraînement des sportifs de haut-niveau.

(gestion de la vie à l’internat), sportif, scolaire et médical. Les athlètes s’entraînent deux fois par jour : une séance individuelle durant la journée, orientée sur la préparation physique, et une séance le soir davantage collective, l’ensemble des athlètes y sont réunis. Nous avons essentiellement suivi les entrainements du soir. Nous avons aussi assisté à deux phases de compétition en championnat de France auxquelles les boxeurs ont participé. Comme pour les Pôles Espoir de rugby et de handball, la socialisation du Pôle France de boxe française est très enveloppante, associée à une rupture géographique et affective avec le cadre de vie antérieur (familial, amical, scolaire, sportif). Bien que majeurs, les boxeurs internes au CREPS doivent respecter les mêmes règlements que l’ensemble des athlètes internes, toutes disciplines confondues. Par exemple, personne, ni même les boxeurs majeurs, n’est autorisé à sortir en dehors des horaires règlementaires ou à introduire une personne étrangère au CREPS.

En patinage artistique, l’enquête s’est déroulée en Île-de-France et au Québec. En France, nous avons réalisé l’essentiel de nos observations dans deux pôles France durant les entrainements sur la glace, seul moment où l’ensemble du groupe est réuni. Par ailleurs, nous avons assisté aux championnats de France de Strasbourg en 2013. Contrairement aux trois Pôles précédents, les patineurs vivent soit dans leur propre appartement, soit chez leurs parents. Seuls deux athlètes sont internes à l’INSEP70.

Nous avons complété notre collecte de données en patinage artistique au Québec où il n’existe pas d’équivalent institutionnel des Pôles. Les athlètes sont dispersés sur le territoire et s’entraînent dans des clubs. Cette dispersion des athlètes dans des structures privées sur un territoire géographique très étendu a rendu plus difficiles ces rencontres, d’autant que le temps de terrain imparti au Québec a été beaucoup plus court qu’en France, notamment en raison des exigences universitaires spécifiques de notre cursus71. Par ailleurs, la cohérence de notre étude exigeait que les patineurs évoluent au plus haut niveau national, voire international. Ces athlètes, peu nombreux, se déplacent de surcroit beaucoup sur le territoire canadien, pour s’entrainer ou participer à des compétitions. Nous

70 Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance. Sous la tutelle du ministère des

Sports, il assure les conditions du suivi scolaire et sportif à une élite sportive dans diverses disciplines.

71La récolte de données au Québec nécessite d'obtenir un certificat d'éthique (voire annexe n°4) que

avons finalement rencontré trois patineurs et pu assister à leur entrainement. Cette récolte de données québécoises a été enrichissante pour appréhender les différences et les permanences du rapport à la pratique par les patineurs en fonction de leur appartenance nationale. Mais rappelons que l’approche comparative de ce travail de thèse ne s’est pas orientée sur une comparaison d’ordre culturel entre la France et le Québec.

Sur le temps de la thèse, pour les trois sports, nous avons réalisé quelque cent cinquante heures d’observation dans ces différents cadres sportifs. Au cours de la deuxième session de terrain en 2013, nous avons pu filmer un certain nombre de séances d’entraînement avec l’accord des athlètes et des entraineurs. Afin de ne pas perturber le déroulement de l’entraînement (ou le moins possible), nous avons positionné la caméra à un point fixe de la patinoire, du terrain, ou de la salle. Dans le cadre du rugby, les conditions (météos et d’utilisation de l’espace) se sont peu prêtées à ces enregistrements. Mais dans le cadre de la boxe et du patinage, nous avons pu enregistrer une dizaine de séances. Ce support vidéo a notamment été utilisé pour l’écriture du dernier article sur la construction de la masculinité par les boxeurs.