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Des institutions sexuées véhiculant un régime de genre dans un ordre de genre

1.1 Les apports de Raewyn Connell dans les études sur les hommes et

1.1.3 Des institutions sexuées véhiculant un régime de genre dans un ordre de genre

ordre de genre mondialisé

On ne peut considérer les « entités d’envergure internationale (les marchés, les

sociétés commerciales, les programmes intergouvernementaux, etc.) comme dénuées de genre en principe, mais influant en pratique de manière inégale sur le sort des bénéficiaires sexué-e-s, à cause de mauvaises dispositions politiques. De telles conceptions reproduisent la vision féministe libérale de l’État comme neutre, en principe, du point de vue du genre, bien qu’empiriquement dominé par les hommes » (Connell, 2000, p. 201). En ce sens, les instituions véhiculent un régime de genre qui se caractérise par une division

sexuelle du travail, des rapports de pouvoir (forme de coercition et de violence), des rapports à l’émotionnel et la production de symboles. Il est important de comprendre que le fonctionnement des institutions participe à produire des masculinités et féminités plurielles et des relations hiérarchiques en elles. Connell (2000) rejoint ici le travail d’Acker (1990) qui soutient que le monde du travail présente un travailleur désincarné et universel, alors même que l’image (qu’on pourrait qualifiée d’idéale) du travailleur est incarnée par un homme corporellement et sexuellement, ce qui participe à marginaliser les femmes (qui n’ont pas le « bon corps » comme dirait Huppatz [2009] pour incarner la compétence) et à maintenir la ségrégation du genre dans les organisations.

La masculinité hégémonique permet d’appréhender le processus par lequel les institutions dominées par les hommes participent à produire des modèles qui assurent la domination des hommes28. Ce concept décrit « comment certains groupes d’hommes

occupent des positions de pouvoir et de richesse, et comment ils légitiment et reproduisent les relations sociales qui génèrent cette domination » 29 (Carrigan, Connell et Lee 1985, p.92). Connell (2000) relève qu’il est nécessaire de penser la construction locale du genre et des masculinités dans sa relation avec un ordre de genre mondial. Ce concept est utile pour penser le fait qu’aujourd’hui, un groupe d’agents, essentiellement, mais non exclusivement composé d’hommes occidentaux blancs hétérosexuels de classes supérieures, représentant un petit pourcentage de la population mondiale, concentrent beaucoup de pouvoirs (étatique, financier, médiatique, industrielle) et participent activement à la production de normes discursives et corporelles qui légitiment et assoient leur pouvoir. Dès lors que l’on considère que les institutions et les entités d’envergure internationale sont sexuées, on peut admettre l’existence d’un ordre de genre mondial définit « comme la structure des relations qui établissent le lien entre des régimes de genre

des instituions et les ordres de genre des sociétés locales, sur une échelle mondiale » (p.201-202)30.

28

Cette idée est centrale pour appréhender le fonctionnement de l'institution sportive et à la base de notre proposition théorique dans l'article n°3.

29 Traduction libre de : "how particular groups of men inhabit positions of power and wealth, and how

they legitimate and reproduce the social relationships that generate their dominance".

30 En croisant le concept de champ sportif et de masculinité hégémonique dans l'article n°3, on

souligne aussi la nécessité de penser cette mondialisation des modèles au sein du champ sportif. Cette question est abordé dans l'article n°4 lorsque nous traitons de l'attention porté par les rugbymen à leur image corporelle. Ou encore dans la façon dont les patineurs français définissent leur style de patinage européen "viril" en opposition à un patinage nord américain plus "efféminé".

Les masculinités et féminités sont produites ensemble dans un ordre de genre local en relation avec un ordre de genre mondial. Cet ordre de genre est le produit de l’imposition d’un modèle économique et culturel des sociétés occidentales à l’échelle globale. Cette imposition passe « par la restructuration des systèmes de production locaux

afin de produire des couples sur le schéma homme salarié/femme au foyer » (p 203), par « l’imposition de l’amour hétérosexuel romantique comme base du mariage et de l’identité

gaie comme alternative principale » (p. 204), par la « migration de main-d’œuvre à

l’intérieur des systèmes coloniaux » comme « moyen de dispersion et de reconstruction

des pratiques sexuées » (p. 205), par la hiérarchisation des masculinités qui va de pair avec une hiérarchisation des communautés et des races (p210). On comprend que pour Connell (2000) la diffusion des régimes de genre et la constitution d’un ordre de genre mondial croisent différents rapports de sexe et sexualités, mais aussi de classe dans un mode de production industrialisée et de race dans une société post coloniale. Ces rapports de domination participent à un même mouvement et favorisent l’émergence d’une forme de

masculinité hégémonique associée à l’autorité et au pouvoir à l’échelle globale.

Cependant, il ne faut pas surestimer l’homogénéisation des ordres de genre. « L’ordre de genre mondial n’est pas une simple extension de l’ordre de genre européen américain, des éléments d’autres cultures circulent mondialement, mais pas sur une base égalitaire » (p.204). Il y a une circulation des modèles et une interdépendance dans leur construction entre les niveaux : local (dans des interactions en face à face dans différents espaces de sociabilité) ; national/régional (dans des états nations), et global, en particulier dans les « arènes internationales » que sont les affaires, la politique, les médias. Cette circulation des modèles ne se fait pas sans tension ni conflit. Des renégociations sont opérées systématiquement. Des versions spécifiques de l’hégémonie varient en fonction du contexte local et diffèrent inévitablement les unes des autres.

Pour Connell (2000, et Messerschmidt, 2005), le sport participe largement à la diffusion de la masculinité hégémonique à l’échelle globale à travers la diffusion d’une « iconographie du genre » et la production des corps. Nous allons voir maintenant comment le concept de masculinité hégémonique a été utilisé pour étudier la construction des masculinités dans l’institution sportive.