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Diminution de l’homophobie et émergence d’une « masculinité inclusive »

1.3 Critiques et évolutions du concept de masculinité hégémonique

1.3.3 Diminution de l’homophobie et émergence d’une « masculinité inclusive »

inclusive »

Selon les Anglais Anderson & McGuire (2010), le concept de masculinité

hégémonique n’est plus adapté à l’étude des masculinités contemporaines du fait de la diminution de l’homophobie dans nos sociétés occidentales de manière générale et dans le cadre des pratiques sportives plus particulièrement48 (p. 252). Anderson (2005, 2009) relève qu’une confusion est souvent présente dans les travaux utilisant les concepts de

masculinité hégémonique parce qu’ils assimilent cette notion à un archétype. L’auteur propose donc de qualifier cet archétype (caractérisé par le sexisme et l’homophobie) de « masculinité orthodoxe » qu’il oppose à une forme de « masculinité inclusive » très présente chez les hommes jeunes issus de la classe moyenne blanche et disposant d’un certain niveau d’étude. Pour ces hommes, l’expression d’homophobie et de sexisme est stigmatisée. Un point central de la critique d’Anderson consiste à dire que ces deux formes de masculinités peuvent coexister au sein d’une même institution sans nécessairement qu’une hiérarchisation s’opère entre elles. Ce qui semble aller à l’encontre du modèle de Connell avançant qu’un type de masculinité est toujours plus valorisé au sein d’une institution. Anderson (2008c) investit par exemple une Fraternité et relève que l’homophobie y est inexistante, que les femmes y sont respectées et non traitées uniquement comme des objets sexuels, que la consommation d’alcool y est modérée et que les hommes peuvent y parler d’intimité et de leurs problèmes personnels. L’auteur ajoute que ce groupe d’hommes n’a pas un statut social inférieur sur le campus, mais au contraire, qu’il est très populaire et bénéficie d’un certain prestige49.

Cette démonstration est poursuivie dans différents cadres de pratique sportive : dans une équipe anglaise de football semi-professionnelle (Adams et coll., 2010), dans une équipe de rugby anglaise (Anderson & McGuire, 2010), ou encore dans une série

48 Cette idée sera discutée dans l'article n°4. Nous défendrons que si les discours homophobes sont

moins répandus, il n'est pas évident que l'hétérosexisme soit moins présent.

49 Ce qui tend à montrer que dans le campus étudié, la masculinité hégémonique assimilée à la virilité,

voire au virilisme, n'est pas valorisée, comme nous allons le retrouver d'une certaine manière dans le cadre scolaire des rugbymen étudiés dans l'article 4.

d’investigations en cheerleading50 (Anderson, 2005, 2008a, 2008 b). Il nous semble que plusieurs éléments intéressants ressortent de ces études sur le cheerleading. Anderson (2005) distingue deux types de masculinités dominantes en relation avec une double organisation institutionnelle de ce sport. Il y a des conflits autour de la définition de la masculinité au sein de chaque association. Ces conflits autour d’un style de pratique rejoignent des enjeux plus larges, religieux, politiques, sociaux dont le genre est un élément transversal51.

Les athlètes qualifiés d’« orthodoxes » affichent une « hétérosexualité défensive » en portant des t-shirts et des casquettes de football américain lors des compétitions. Ces garçons sont souvent d’anciens joueurs de football américain. Ils disent être entrés dans ce sport pour être entourés de jolies filles. Ils soutiennent que les hommes sont meilleurs physiquement que les femmes et qu’ils doivent par conséquent être attentifs à elles. Pour ces athlètes, plus que l’orientation sexuelle, ce qui importe est d’avoir une attitude « masculine ». Les hommes efféminés sont dérangeants dans la mesure où ils donnent une mauvaise image de leur sport. Les hommes incarnant une masculinité « inclusive » sont fiers d’être associés à quelque chose de culturellement féminin. Ils insistent moins que le précédent groupe sur la différenciation sexuée des rôles dans la pratique de ce sport. Ils acceptent de danser et de se livrer à des acrobaties, et pas uniquement de jouer les rôles « masculins » de porteur et de lanceur.52

Par ailleurs, Anderson (2008a) relève que les masculinités incarnées par les athlètes évoluent en entrant dans l’activité. Du fait de sympathiser avec des athlètes gais dans leurs équipes, certains se montrent plus ouverts et changent leur regard sur l’homosexualité. Pour l’auteur, le cheerleading représente un « transitionnal heteromasculine space, because the transition from football to cheerleading involves a change to the informants' social status and their perceived masculine and heterosexual capital » (p. 113). Le passage du

50 Le cheerleading est une pratique associée en France aux "pom-pom girls", qui s'est sportivisée aux

Etats-Unis et a été investie par des garçons.

51 Ce qui n'est pas sans renvoyer aux travaux français qui montrent que les luttes autour des usages

légitimes du corps au sein du champ sportif et au sein d'un sport trouvent des correspondances avec les luttes politiques et sociales (Defrance 1987a, Clément, 1994).

52 Nous verrons que dans l'ensemble, les patineurs interrogés sont plus proches d'une masculinité

"orthodoxe". Mais la question du rapport au corps se pose différemment dans la mesure où les patineurs évoluent seuls sur la glace et non en couple. Ces résultats seront traités dans l'article n°4.

football au cheerleading induit chez certains joueurs un changement de perception de leur masculinité et de la sexualité. Cette pratique, par sa logique corporelle et les modes de sociabilité qu’elle permet, influe sur le statut des masculinités, par exemple en modifiant le lien entre masculinité et sexualité et en construisant de nouvelles formes d’arrangement qui autoriseraient certaines formes d’homosexualité53.

Par ailleurs, Anderson (2008b) relève aussi que le fait d’entrer dans une pratique mixte contribue à diminuer le sexisme de ces athlètes. Ils portent davantage de considération aux performances des femmes et à leur capacité athlétique, notamment lorsqu’ils investissent des rôles « féminins » dans l’activité et se confrontent à l’exigence physique induite par ces rôles. Pour autant, ils gardent à l’esprit que les hommes sont supérieurs physiquement en sport. Par ailleurs, la coopération dans la performance et l’acceptation de l’expertise des femmes contribuent à modifier la perception de la capacité à diriger un groupe. Enfin, cette collaboration sportive facilite la désexualisation des rapports et rend l’amitié possible avec des filles.54

Ces travaux sont intéressants, mais ne nous semblent pas remettre en cause le concept de masculinité hégémonique. Une plus grande acceptation de l’homosexualité ne remet pas en question le rôle structurant de l’hétérosexisme dans nos sociétés. Une meilleure considération des qualités physiques des femmes n’empêche pas les hommes de les considérer comme inférieures physiquement (nous le verrons en boxe française par exemple). Ces travaux révèlent davantage l’ambivalence de l’exercice de la domination masculine, relevée dans d’autres cadres de pratiques, comme le windsurf, où les hommes peuvent se montrer encourageants, voire admiratifs, de la pratique des femmes, mais gardent le contrôle des espaces de pratiques (Wheaton, 2000). De plus, le rôle de l’organisation institutionnelle, montré par Anderson (2005) en cheerleading, semble renvoyer au concept de régime de genre véhiculé par une institution. Nous reviendrons sur ce point à partir du travail de Mennesson (2012). Enfin, Anderson relève que la masculinité « inclusive » est largement incarnée par des hommes blancs diplômés, donc munis de

53 Nos résultats en patinage ne vont pas dans ce sens. Les athlètes ne sont pas plus ouverts à la

pratique de l’homosexualité suite à leur entrée dans ce sport. Ils ont plutôt tendance à mettre en avant leur hétérosexualité.

54 Nos résultats en boxe française vont un peu dans le même sens. Nous verrons que la pratique mixte

et en particulier en relation avec la non différenciation sexuée du travail (ce qui n’est pas le cas en patinage) favorise une plus grande valorisation de l’activité des femmes.

capital culturel (scolaire). L’impact du recrutement social de ces hommes sur la construction de leur masculinité n’est pas vraiment traité ici. La sociologie française va être sur ce point un apport important.

1.4 Les apports des concepts de Pierre Bourdieu à l’étude des

masculinités dans le champ sportif

Les travaux vus précédemment ne font pas référence à la sociologie de langue française et en particulier aux travaux de Bourdieu. Nous allons maintenant exposer succinctement le cadre conceptuel de cet auteur et ses apports à l’étude de la domination masculine. Puis nous traiterons de l’influence de ces concepts dans l’analyse du fonctionnement de l’institution sportive avant de croiser les apports entre l’approche de Messner (2002) et celle de Pociello (1981). Nous verrons ensuite que le développement du concept d’habitus proposé par Lahire (2001, 2002) peut être utile à l’étude de la fragmentation des masculinités.