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L’instauration de la masculinité hégémonique au sein de l’institution sportive

1.2 Sports centraux, maintien et production de la masculinité

1.2.1 L’instauration de la masculinité hégémonique au sein de l’institution sportive

l’institution sportive

Pour le sociologue américain Messner (2002), certains sont centraux c’est-à-dire qu’ils concentrent beaucoup de pouvoir médiatique et économique. Il s’agit le plus souvent de sports collectifs valorisant le contact physique, tels que le football américain, le hockey sur glace et le rugby en Australie, mais encore de sports moins rudes comme le baseball ou le basketball. D’autres sports bénéficient d’une certaine visibilité médiatique, en particulier des sports de combat (boxe anglaise ou le Mix Martial Art), des sports extrêmes (comme le ski et le snowboard) ou motorisés (comme les courses automobiles). Ce sont des sports professionnels, très masculinisés, investis par les hommes en tant que producteur et consommateur du spectacle sportif. Ces sports centraux (comme le rugby en France) s’opposent à des sports plus marginaux comme le tennis de table ou la boxe française31. La diffusion de la masculinité hégémonique est essentiellement étudiée (surtout par les Nord- Américains et les Australiens) dans ces sports centraux à travers le traitement médiatique qui en est fait (production de discours et d’images) et à travers les sociabilités sportives homosexuées qu’ils favorisent.

31 La centralité des sports est un critère important dans le choix des pratiques que nous avons fait,

L’instauration de la masculinité hégémonique s’appuie sur des processus de subordination c’est-à-dire sur l’usage de différentes formes de violences dont une première est symbolique (Bourdieu, 1998). La logique de l’institution sportive participe largement à faire des hommes la référence en matière de performance et de capacité à diriger. Le sport, de par sa composante corporelle, joue un rôle important dans la naturalisation des inégalités entre les sexes en apportant une « preuve symbolique » de la supériorité du corps des hommes sur celui des femmes (Connell, 1995). L’idée est largement acceptée que les hommes sont supérieurs aux femmes physiquement32. Le sport participe à faire d’une forme d’excellence corporelle masculine, l’excellence corporelle par définition. Les épreuves sportives sont une production culturelle qui a été créée à l’aune du corps des hommes. Il est logique que les hommes y soient plus performants. Le corps des femmes est comparé en négatif par rapport à celui des hommes : elles sont moins athlétiques, moins compétitives, elles sautent moins haut, elles ont moins d’autorité, etc. Le fait que les meilleurs athlètes hommes courent 100mètres en quelques dixièmes de seconde de moins que les meilleurs athlètes femmes n’apporte pas une preuve de la supériorité physique des hommes dans l’absolu, mais de façon très relative, sur un type d’exercice donné (Baillette et coll. 1999).

Le sport joue un rôle important dans la production de rites qui sacralisent le corps de l’homme : la montée de drapeau, la remise de trophée, etc. Les grands évènements sportifs mobilisant les foules (le Super Bowl aux États-Unis, la coupe du monde de football, le Tour de France, etc.) sont toujours associés aux performances des hommes. Cette construction de mythes (de héros sportifs), est essentielle dans la production de la « valence différentielle des sexes » en inversant le rapport de pouvoir entre le corps des hommes et celui des femmes capables d’enfanter du différent et l’identique (Héritier 1996). L’exercice de la violence symbolique passe par l’imposition de critères très relatifs de comparaison des corps pour des critères légitimes aux yeux de tous33. Cependant, la violence est aussi physique et les sports en sont un lieu d’apprentissage

32 Nous retrouvons ce processus d'affirmation de naturalisation des différences sexuées dans

l'instauration de la masculinité hégémonique au sein du champ sportif notamment dans l'article n°4 chez les patineurs et les rugbymen, mais aussi quelque peu dans l'article n°5 avec les boxeurs lorsqu'ils affirment ne pas pouvoir boxer librement avec les filles.

33 On retrouve cette idée chez Claude Lévi-Strauss (1952)

dans Race et histoire. L'auteur analyse la notion de progrès et démontre l'inexistence d'une échelle de critères objectifs qui permette de comparer et de juger toutes les sociétés de toutes les époques.

privilégié, à travers la construction de corps arme (nous reviendrons sur ce point un peu plus loin).

L’instauration de la masculinité hégémonique s’appuie aussi sur des processus de marginalisation (Connell et Messerschmidt, 2005), en particulier de la pratique sportive des femmes. En France, l’institution sportive participe à asseoir les privilèges institutionnels des hommes aux dépens des femmes (Davisse et Louveau, 1998 ; Louveau, 2013). Il en est de même aux États-Unis, où, pour illustration, la proportion de femmes au sein des équipes de journalisme sportif est de 3 % dans les années 1990 et d’environ 10 % en 2009 (Kian et Hardin, 2009). Malgré cette légère féminisation de la profession, l’augmentation continue de la pratique sportive des femmes et la multiplication des chaînes de diffusion du spectacle sportif, la couverture médiatique (radio, presse écrite, télévision) de la pratique féminine reste extrêmement faible. Elle est estimée à 2,2 % des programmes sportifs (Messner, 2002). Kian & Hardin (2009) relèvent que les commentaires tournent régulièrement en dérision les performances des sportives. Ces dernières sont comparées de manière non favorable aux hommes, considérées sur le registre de l’attirance sexuelle, critiquées pour leur « non-féminité »34, représentées comme émotionnellement plus vulnérables. Selon les auteurs, l’impact de la féminisation du métier de journaliste sportif n’est pas sans conséquence sur le traitement du sport. Les femmes ont plus tendance à se centrer et à avoir un regard positif sur la performance des femmes et à accorder moins d’importance à la plastique corporelle des athlètes ou à leur genre. Cependant, cette influence de la féminisation reste très marginale de par les attentes des consommateurs du spectacle sportif et les choix mis en œuvre par les responsables de rédaction (y compris quand ces derniers sont des femmes).

34 Sur la question du traitement médiatique voir l'article de Brocard (2000) et aussi l'article de

Louveau (2013) qui revient sur le procès de virilisation fait aux femmes, leur sous-représentation dans les médias, la sexualisation de leur corps et la marginalisation des femmes dans les organisations sportives.

1.2.2 Socialisation homosexuée masculine : le rejet de la féminité, usage

de la violence contre les femmes

Le sport est une institution centrale de production des masculinités dans la mesure où ces institutions sont le lieu de formation de millions d’hommes dans des espaces de socialisation homosexuée. L’institution sportive comporte de nombreuses « maison-des-

hommes » (Godelier, 1996 ; Welzer-Lang, 2000), plus ou moins fermées et enveloppantes, qui sont le lieu d’initiation à la virilité à travers un ensemble de mises à l’épreuve, de transmission des « secrets » et de savoir-faire entre hommes pour asseoir leur domination, ainsi que de production de hiérarchie au sein du groupe des hommes. La dévalorisation des attributs associés au féminin est importante dans cette hiérarchie opérée entre les hommes au sein de ces espaces de socialisation homosexuée. Cette dévaluation est mise en œuvre dans des pratiques langagières. Les garçons qui montrent de la vulnérabilité, de la peur ou trop d’attention aux autres, sont moqués. La blague sexiste/homophobe contribue à souder le groupe et à renforcer le statut des individus en son sein (Bird, 1996). Une étude quantitative révèle par exemple que les étudiants sportifs sur les campus américains tiennent davantage de propos homophobes que les autres étudiants de façon significative (Osborne & Wagner, 2007).

La socialisation sportive valorise particulièrement l’hétérosexisme conquérant. Dans une étude participante, Curry (1991) relève que les échanges au sein des groupes de sportifs dans les vestiaires encouragent des comportements sexistes et la promotion du viol. Par la suite, Curry (1998) revient sur les traces de cette première enquête, pour préciser le lien entre les propos tenus dans les vestiaires et les passages à l’acte sur le campus. L’auteur met à jour toute une organisation de la violence s’appuyant notamment sur la complicité des tenanciers de bar avec les sportifs (service d’alcool gratuit, tolérance à leurs excès de violence récurrents à l’égard d’autres hommes).

Messner (2002) revient sur l’organisation des agressions sexuelles observées sur les campus. Il décrit les procédures pour piéger les filles : les séduire et permettre aux coéquipiers de voir ou de participer à l’acte sexuel. Il note que ces agissements contribuent à tisser des liens au sein du groupe et à gagner du prestige pour certains athlètes. La « loi du silence » et la complicité des hommes permettent de perpétuer ces agissements. Welch (1997) montre après enquête sur les inculpations de footballeurs dans des agressions contre

des femmes, que les postes de buteurs (running backs et receveurs) sont largement sur représentés. Il propose une analyse par poste sur l’usage de la violence en dehors du stade, soulignant le prestige social, le narcissisme, et encore le sentiment de puissance que procurerait le fait d’être au centre de l’action.

Messner (2002) indique que la majorité des joueurs ne se livrent pas à ces agressions sexuelles. Les joueurs incarnant la masculinité dominante occupent le centre des interactions. Ils ont un temps de parole plus important et s’expriment haut et fort. La majorité des joueurs les suit, et parfois les supporte activement (les « wannabe »). Ils incarnent des formes de masculinité complice qui jouent le jeu de la masculinité hégémonique. D’autres joueurs, incarnant une forme de masculinité plus marginale, se taisent, n’apprécient pas spécialement, mais ne prennent pas le risque de contester ouvertement sous peine de se voir exclus. Les joueurs présentant des signes de non- conformité importants (les plus susceptibles de montrer une certaine empathie, d’exprimer de la sensibilité, de la peur, de l’attention aux autres) sont la cible privilégiée des moqueries et de la violence35.

Cette notion de centralité est importante dans notre travail pour analyser les configurations de pouvoir dans les espaces d’entraînement étudié. Dans notre étude, les conditions de vie des athlètes sont différentes dans la mesure où il pèse sur eux un contrôle institutionnel fort, y compris en dehors du cadre sportif, ce qui va avoir des effets sur l’usage de la violence. Nos résultats vont venir discuter du fait que la masculinité

hégémonique soit incarnée par les hommes les plus violents, sur le plan symbolique et physique, en particulier à l’égard des femmes, mais aussi des hommes.

35 Dans le premier article, nous traitons des violences au sein du groupe de pairs et de la façon dont

une hiérarchie s'opère à l'internat entre les joueurs en fonction de leur ancienneté et leur robustesse. Dans le deuxième article, aussi sur le handball, nous revenons sur les critères qui permettent de hiérarchiser les masculinités dans le groupe. On comprend que la seule robustesse ou l'usage de la violence physique ne peuvent être retenus comme éléments exclusifs de la masculinité hégémonique au sein du dispositif étudié.