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La thèse de Stéphane PINON, consacrée aux projets de révision de l’entre-deux guerres, montre clairement l’influence de ce mouvement sur la pensée des rédacteurs de 1958 501 Or,

§2 La conception du contreseing à la naissance de la Cinquième République

A. La conception du contreseing pour les rédacteurs de la Constitution

76. La thèse de Stéphane PINON, consacrée aux projets de révision de l’entre-deux guerres, montre clairement l’influence de ce mouvement sur la pensée des rédacteurs de 1958 501 Or,

ce courant en faveur de la révision de la Troisième République était largement inspiré par les Constitutions (et la doctrine) européennes de l’époque. Comme l’indique l’auteur, l’écho de ces idées doit beaucoup à l’Académie des sciences morales et politiques, à la Revue des Deux

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« Ce qui est écrit, fût-ce sur un parchemin, ne vaut que par l’application. Une fois votée la Constitution nouvelle, il restera à la mettre en pratique de telle sorte qu’elle soit marquée, en fait, par l’autorité et l’efficacité qu’elle va comporter en droit. Ce combat-là, aussi, sera le mien. Car il est clair qu’en la matière, ma conception n’est pas celle du régime qui disparaît. Ceux-là, tout en affirmant que c’en est fini de la confusion d’hier, comptent bien, au fond, que le jeu d’antan rendra la prépondérance aux formations politiques et que le chef de l’État, sous prétexte qu’il est un arbitre dont on voudrait qu’il ne choisisse pas, devra la leur abandonner. […] [Ils] crieront au viol de la Constitution, parce que le tour qu’elle aura pris ne répondra pas à leurs arrière- pensées. D’arrière-pensées, le peuple français n’en a pas, lui, en accueillant la Ve République. Pour la masse, il s’agit d’instituer un régime qui, tout en respectant nos libertés, soit capable d’action et de responsabilité. […] Il s’agit de répondre “Oui !” à de Gaulle à qui l’on fait confiance parce que la France est en question » (C. DE

GAULLE, Mémoires d’espoir, t. 1 Le renouveau (1958 – 1962), Plon, 1970, p. 37).

500 L’expression est empruntée à S. P

INON, Les Réformistes constitutionnels des années trente (…), p. 3.

501 La thèse de l’auteur se situe pleinement dans le prolongement d’autres travaux visant à le démontrer. Outre N.

WA H L, « Aux origines de la Nouvelle Constitution », déjà cité, mentionnons F. MO N N E T, Refaire la

République. André Tardieu, une dérive réactionnaire (1876-1945), Fayard, 1993 ; J. GI C Q U E L, Le Problème de

la réforme de l’État en France en 1934, mémoire de DES écrit en 1962 et publié in J. GI C Q U E L et L. SF E Z,

Problèmes de la réforme de l’État en France depuis 1934, PUF, 1965 et Ch. CH A R L E S, L’Échec de la

modification des institutions politiques françaises en 1934, mémoire de DEA dact., Toulouse, 1995, 196 p.

(ouvrages cités in Ch. CH A R L E S, «“Héros de la normalité” et circonstances inhabituelles : l’incapacité de Gaston Doumergue à réformer l’État à la suite du 6 février 1934 », RFDC, n°64, 2005, p. 685-702).

La compétence de nomination du Président de la Cinquième République

Mondes, au quotidien Le Temps et à la Revue politique et parlementaire502. Dans cette dernière, par exemple, – dans laquelle publièrent Charles DE GAULLE ou encore Paul REYNAUD –, les chroniques constitutionnelles de Boris MIRKINE-GUETZÉVITCH relayèrent l’actualité des pays européens et leurs choix constitutionnels503. Dans son étude de 1931 consacrée à « l’exécutif dans le régime parlementaire », MIRKINE-GUETZÉVITCH remarqua qu’après la Première Guerre mondiale, les constitutionnalistes européens avaient cherché à établir « la primauté du pouvoir législatif504 ». Cependant, écrivit-il, « la crise économique obligeait le Gouvernement à passer outre et à ne pas appliquer la Constitution », si bien que la plupart de ces textes constitutionnels furent « pratiquement [violés] au premier jour de la promulgation »505. Le réformisme qui traversa l’Europe eut alors pour tendance principale d’œuvrer au « renforcement de l’exécutif au détriment de la primauté législative506 ». À cette fin, les Constituants européens cherchèrent à augmenter et à consolider les compétences du Gouvernement507, mais également à modifier la fonction du chef de l’État en République. Furent notamment introduits, dans les textes européens, l’élection du président de la République au suffrage universel direct508 ainsi que des compétences exercées sans contreseing509. Ces dernières étaient considérées comme des « pouvoirs personnels510 » du chef de l’État. Elles retinrent l’attention de la doctrine française de l’époque parce qu’elles créaient une rupture manifeste entre le pouvoir et la responsabilité.

502 S. P

INON, Les Réformistes constitutionnels des années trente (…), op. cit., p. 14.

503 Entre les années 1930 et 1935, B.MIRKINE-GUETZÉVITCH consacra ses chroniques constitutionnelles aux

évolutions du régime parlementaire (« Le référendum et le régime parlementaire », RPP, 1931, t. 146, p. 304- 313), aux révisions constitutionnelles et aux changements de régimes (« La révision de la Constitution autrichienne », RPP, 1930, t. 142, p. 485-492 ; « La nouvelle Constitution espagnole », RPP, 1932, t. 150, p. 127-142 ; « La révision constitutionnelle », RPP, 1933, t. 155, p. 337-349 ; « Siam, Italie, Espagne », RPP, 1933, t. 156, p. 588-597 ; « Révisions constitutionnelles en Estonie, en Pologne et en Autriche », RPP, 1934, t. 160, p. 133-143 ) et à l’étude du pouvoir exécutif, notamment dans son rapport à la démocratie ( « L’exécutif et la dictature », RPP, 1930, t. 144, p. 317-329 ; « L’exécutif dans le régime parlementaire », RPP, 1931, t. 148, p. 155-163 ; « Défense de l’État démocratique en Tchécoslovaquie », RPP, 1935, t. 162, p. 562-574).

504 B. M

IRKINE-GUETZÉVITCH, « L’exécutif dans le régime parlementaire », art. cité, p. 157. Voir aussi son ouvrage Constitutions de l’Europe nouvelle, Delagrave, 1930, 565 p. Il publia également, au début des années 50, Les Constitutions européennes, PUF, coll. « Bibliothèque de la science politique », 1951, 884 p.

505 B.M

IRKINE-GUETZÉVITCH, « L’exécutif dans le régime parlementaire », art. cité, p. 158. Le verbe « violer » est utilisé par l’auteur, nous l’avons seulement accordé au masculin.

506

Loc. cit.

507 Notamment en confiant au Gouvernement des compétences en matière législative en Autriche, dans l’Italie

fasciste, en Tchécoslovaquie ou encore dans la République espagnole promulguée en 1931.

508 C’est le cas en Autriche en 1929, en Estonie à partir de 1933 ou encore en Irlande en 1937. Évidemment,

l’exemple de la République de Weimar, de 1919, avait, lui aussi, largement retenu l’attention.

509 De telles mesures se trouvent, par exemple, dans les Constitutions polonaise de 1935, estonienne et lettone de

1922 qui soustrayaient la dissolution et la formation du Gouvernement à l’exigence de contreseing.

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L’exigence du contreseing

En 1946 déjà, Jean-Louis BONNET soulignait le hiatus périlleux que susciterait une telle dispense de contreseing :

S’il y a lieu de libérer le pouvoir exécutif, en cas de décision très importante, de sa sujétion à l’égard du législatif, on rencontre le délicat problème de concilier cette amorce de pouvoir personnel (si légitimement abhorré par les républicains) avec l’irresponsabilité présidentielle. Conférer un pouvoir propre au président de la République sans réviser l’axiome de son irresponsabilité, ce serait en fait créer un pouvoir autonome, exclu du contrôle direct des élus de la nation. Y a-t-il à cela péril majeur? Il faudrait supposer que l’élu de la nation n’userait de ses prérogatives que dans l’esprit du régime511.

L’existence d’actes dispensés de contreseing suscita également la curiosité des constitutionnalistes français parce qu’elle dérogeait au parlementarisme classique, tel qu’il fut pensé et pratiqué en France jusqu’au début de la seconde moitié du XXe siècle.

De ce fait, il n’est pas étonnant que la doctrine de 1958 lût la nouvelle Constitution française par ce prisme classique. Beaucoup plus déconcertante en revanche est l’occultation, sinon la négation, de la fonction substantielle du contreseing dès le début des années 60.

B. La conception du contreseing dans la doctrine des débuts de la Cinquième

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