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Une telle pensée est bien véhiculée dès les premiers mois du nouveau régime par différents auteurs Georges BURDEAU pouvait ainsi affirmer :

§2 La conception du contreseing à la naissance de la Cinquième République

B. La conception du contreseing dans la doctrine des débuts de la Cinquième République

78. Une telle pensée est bien véhiculée dès les premiers mois du nouveau régime par différents auteurs Georges BURDEAU pouvait ainsi affirmer :

La référence au contreseing me paraît être le critère entre les pouvoirs traditionnels d’un chef d’État parlementaire, pouvoirs nominaux, puisque l’exigence du contreseing conduit à transférer, en fait, leur exercice au Gouvernement, et les pouvoirs que le président de la République détient […] à titre d’incarnation du pouvoir étatique517.

La double équation selon laquelle contreseing implique responsabilité, et responsabilité implique pouvoir, apparaît évidente en ces lignes. Selon le professeur BURDEAU, c’est parce que le président de la République incarne le « pouvoir étatique », l’État-même518, qu’il

513 Ce constat est très rapidement soulevé par la doctrine française mais également par les observateurs étrangers.

Par exemple, voir D. PI C K L E S, « The Constitution of the Fifth French Republic », The Modern Law Review, vol. 22/1, janvier 1959, p. 1-20. Pour de très bons résumés des différentes analyses étrangères sur la Cinquième République à ses débuts, voir E. R. TA N N E N B A U M, « The Heritage and Prospects of the Fifth Republic », The

Journal of Modern History, vol. 33, 1961, p. 178-182 et S. HO F F M A N N, « De Gaulle’s Republic », Political

Science Quarterly, vol. 75, 1960, p. 554-559.

514 En ce sens, voir par exemple le virulent J. C. C

A I R N S, « The Fifth Republic’s First Year », International

Journal, vol. 14/4, 1959, p. 272-282 ; voir également M. JI M E N E Z D E PA R G A Y CA B R E R A, La Quinta

Republica francesa. Una puerta abierta a la dictadura constitutional, Editorial Tecnos, 1958, 191 p.

515 Certains des projets de révision émis dans les années 30 et 40 envisageaient la possibilité d’exempter de

contreseing certaines compétences présidentielles pour permettre au président de la République d’assurer la stabilité du Gouvernement. Voir en ce sens, par exemple, COMITÉ BARDOUX (…),La France de demain (…), op. cit.

516 Voir le commentaire « officieusement officiel », selon l’expression de Didier MAUS, paru à la

Documentation française en avril 1959 et reproduit in COMITÉ NATIONAL CHARGÉ DE LA PUBLICATION (…),

Documents pour servir à l’Histoire (…), vol. 4, 2001, p. 157 et s.

517 G. B

URDEAU,Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 8e éd., 1959, p. 424. Il réitère cette pensée dans la 9e édition de son manuel, parue en 1961 (cf. p. 453) et in Cours de droit constitutionnel et d’institutions

politiques (rédigé d’après les notes et avec l’autorisation du professeur), Les cours de droit, 1962, p. 534 bis.

518

G. BU R D E A U, « La conception du pouvoir selon la Constitution du 4 octobre 1958 », RF sc. pol., n°1, année IX, 1959, p. 88.

Sur le pouvoir d’État, voir aussi J.-L. QUERMONNE, « La notion de pouvoir d’État et de pouvoir présidentiel sous la Ve République », in Itinéraires. Mélanges en l’honneur de Léo Hamon, Economica, coll. « Politique comparée », 1982, p. 549-562. Jean-Louis QUERMONNE y souligne l’intérêt que présente selon lui le concept proposé par Georges BURDEAU et le définit comme « un concept associant, au service du pouvoir présidentiel, l’appareil gouvernemental, administratif, militaire et judiciaire de l’État à un large consensus populaire » (p. 561).

Ce « pouvoir d’État » n’est donc pas semblable à celui d’HAURIOU. Dans son Précis élémentaire de Droit

L’exigence du contreseing

dispose de compétences dont l’exercice est dépourvu de contreseing. Pour les autres compétences soumises à la signature présidentielle, la règle du régime parlementaire opère. Puisque, selon le professeur, la Cinquième République fait coexister « un pouvoir d’État » et « un pouvoir démocratique »519, le chef de l’État incarne le premier, tandis que le Gouvernement, le Premier ministre à sa tête, incarne le second.

C’est le pouvoir démocratique qui gouverne. Cette compétence n’est pas sporadique ; elle est quotidienne et générale. C’est elle qui définit l’article 20 puisque le gouvernement qui « détermine et conduit » la politique est un gouvernement responsable520.

Dans son cours de licence de l’année 1961-1962, le professeur affirma encore, s’agissant du président de la République : « S’il ne lui est pas interdit d’agir, il ne peut le faire que par personne interposée, c’est-à-dire en usant, éventuellement, de son ascendant sur le Premier ministre. Mais normalement, le Président n’a pas la gestion des affaires521 ».

Jean CHATELAIN abonda en ce sens lorsqu’il écrivit, en l’appliquant à la Cinquième République, que :

Les Constitutions parlementaires attribuent souvent au chef de l’État des compétences variées mais il est entendu que leur effectivité appartient au Premier ministre qui contresigne les décisions prises et endosse la responsabilité. […] Le président de la République n’a qu’une « magistrature d’influence »522.

Maurice DUVERGER affirma quant à lui que :

Le contreseing n’est pas une simple formalité. Le Premier ministre, et éventuellement les ministres, qui apposent leur signature aux côtés de celle du président de la République, endossent la responsabilité de l’acte de celui-ci vis-à-vis du Parlement. […] Il en résulte naturellement que le pouvoir de décision pour tous les actes soumis au contreseing tend à passer du président de la République au Premier ministre et au Gouvernement523.

présente les caractères suivants qui lui sont très particuliers : c’est un pouvoir purement politique ; un pouvoir civil ; un pouvoir de centralisation à base territoriale » (M.HAURIOU, Précis élémentaire de droit constitutionnel, Recueil Sirey, 2e éd., 1930, p. 12).

519

G. BU R D E A U,« La conception du pouvoir selon la Constitution du 4 octobre 1958 », art. cité, p. 89.

520 Ibid., p. 97. 521 G. B

URDEAU, Cours de droit constitutionnel et d’institutions politiques op. cit., p. 534.

522 J. C

HATELAIN, La Nouvelle Constitution et le régime politique de la France, Berger Levrault, coll. « Institutions politiques d’aujourd’hui », 1959, p. 96-97.

523 M. D

La compétence de nomination du Président de la Cinquième République

De cela il résulte, s’agissant des décrets et ordonnances, que le président de la République ne saurait « refuser sa signature524 ». Pourtant, le même auteur estima plus tard que :

La Constitution de 1958 a établi dès l’origine un régime mixte, où le président de la République est doté de pouvoirs bien plus réels que ceux d’un chef d’État parlementaire. Même avant 1962, beaucoup de juristes estimaient par exemple qu’il pouvait refuser sa signature exigée par l’article 13 pour les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres525.

Une telle assertion ne laisse pas d’étonner. La contradiction interne au discours de l’auteur est manifeste526 et, contrairement à ce qu’il affirme, bien des juristes de l’époque (avant 1962) voyaient le contreseing comme un acte opérant un réel transfert du pouvoir décisionnel. Bien d’autres auteurs pourraient être cités en ce sens, puisque cette position n’avait rien de marginal527. Comment expliquer alors que bientôt le contreseing fut relégué à une simple « fonction juridique formelle » ? Plusieurs explications sont possibles. Selon Marie-Anne COHENDET :

524 Ibid., p. 667.

525

M. DU V E R G E R, Bréviaire de la cohabitation, op. cit., p. 16 (nous soulignons).

526

Le caractère éminemment politisé de cette « controverse » n’aura pas échappé à la doctrine. Voir en ce sens l’analyse de M. TR O P E R, « La signature des ordonnances. Fonctions d’une controverse », art. cité. Olivier DUHAMEL écrira quant à lui dans le journal Le Monde, au sujet de l’obligation de signer ou non les ordonnances : « Certains [juristes] soutiennent que le Président a compétence liée et ne saurait refuser de signer les ordonnances – soit parce qu’ils sont favorables à la droite, soit parce qu’ils restent fidèles à la tradition parlementaire. D’autres affirment que le Président dispose d’un pouvoir discrétionnaire et peut opposer son veto à une ordonnance qui ne lui convient pas – soit parce qu’ils sont favorables à la gauche, soit parce qu’ils sont de tempérament présidentialiste » (O. DU H A M E L, « Ordonnances : signer ou ne pas signer ? », Le Monde, 12 avril 1986).

527 Par exemple, J. G

EORGEL, « Tableau de la Cinquième République selon la Constitution du 5 octobre 1958 »,

Rev. adm., n°65, 1958, p. 484 : « Le Président de la République exerce une “magistrature morale” par certaines

interventions. La responsabilité politique de l’acte incombe en général à d’autres organes politiquement responsables, le plus souvent les ministres ». Voir aussi l’analyse proposée par le professeur BERLIA qui souligne, notamment, la rupture entre pouvoir et responsabilité à laquelle confine l’absence de contreseing pour certains actes. L’auteur en vient à conclure : « Une analyse ne portant que sur les textes nous conduit donc à définir la Constitution de 1958 comme une déformation peu heureuse des règles classiques du Gouvernement parlementaire » (G. BERLIA, « Le président de la République dans la Constitution de 1958 », RDP, 1959, p. 84). De façon, plus nuancée George VEDEL affirme lui aussi que le contreseing permet un transfert de responsabilité mais il souligne les limites de l’irresponsabilité du Président de la Cinquième République dès lors, d’une part, qu’il peut adopter des actes sans aucun contreseing et, d’autre part, que « le président de la République, tantôt s’appuyant sur le texte littéral, tantôt le débordant largement, exerce, selon sa propre expression “l’autorité suprême” dans des domaines de plus en plus nombreux » (G. VEDEL, Cours de droit constitutionnel et

d’institutions politiques (rédigé d’après les notes et avec l’autorisation du professeur), Les cours de droit, 1959-

1960, p. 892). Voir aussi les pages qu’il consacre au contreseing de l’article 19 de la Constitution dans lesquelles il confirme son analyse classique – parlementariste – de la contresignature (p. 950-951). Cf. l’analyse proche que conduit André DE LAUBADÈRE in Cours de droit public (rédigé d’après les notes et avec l’autorisation du professeur), Les cours de droit, 1959-1960, p. 87 et s.

Voir contra P. BASTID, Cours de droit constitutionnel. La notion de chef d’État, op. cit., 1959-1960, p. 442 et s. L’auteur conclut son analyse des rapports entre le président de la République et le Premier ministre en ces termes : « Le président de la République écrase, annihile le Premier ministre et le Gouvernement. Domination acceptée du reste par le cabinet, mais qui découle des textes eux-mêmes » (p. 449). Il est vrai cependant que le professeur se fonde déjà sur la pratique gaullienne pour établir son constat.

L’exigence du contreseing

Pendant des années, les professeurs de droit dénoncèrent avec toute la véhémence qui s’imposait les violations de la Constitution par de Gaulle. Mais […] voyant la pérennité de ces violations, ils craignirent le ridicule d’une posture de Don Quichotte, l’apparente fatuité d’un professeur enseignant des règles de droit qui ne sont même pas respectées par le chef de l’État528.

Une perspective réaliste du droit qui épuiserait son objet dans l’analyse de la pratique peut constituer une deuxième explication. D’un point de vue plus politique, enfin, l’acceptation de la pratique peut s’expliquer par la résignation des partis politiques de gauche529.

79. Dans les écrits des premiers temps de la Cinquième République, la question des

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