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À en croire une part de la doctrine comme les intéressés eux-mêmes, le président de la République serait donc non seulement le chef de l’État mais encore le chef de l’exécutif ; il

§2 La conception du contreseing à la naissance de la Cinquième République

A. Le président de la République n’est pas un représentant de la nation au même titre que le Parlement

84. À en croire une part de la doctrine comme les intéressés eux-mêmes, le président de la République serait donc non seulement le chef de l’État mais encore le chef de l’exécutif ; il

serait le chef d’abord du fait de son élection au suffrage universel direct et le serait d’autant plus lorsqu’une majorité de députés le soutient. Or, plusieurs arguments permettent de

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Voir par exemple l’entretien accordé au Journal du dimanche le 8 juillet 2008 ou encore Le Monde du 16 juillet 2008. Voir également son discours prononcé à Épinal le 12 juillet 2007, paru dans le journal Le Monde du 12 juillet 2007.

566 P. J

A N, Le Président de la République au centre du pouvoir, op. cit., p. 206 et s.

567

Le mot a été utilisé non seulement par la presse (voir l’entretien préc., Le Monde, 16 juillet 2008), par des hommes politiques (R. BADINTER, « Non à l’hyperprésidence », Le Monde, 20 juillet 2008) mais aussi par la doctrine. En ce sens, voir P. BRUNET et A. LE PILLOUER, « Pour en finir avec l’élection présidentielle », La Vie

des idées, paru en ligne le 4 octobre 2011 ; également R. GHEVONTIAN, « La révision de la Constitution et le président de la République : l’hyperprésidentialisation n’a pas eu lieu », RFDC, n°77, 2009, p. 119-133. Dans leur ouvrage, J.-J. CHEVALLIER, G. CARCASSONNE et O. DUHAMEL ont dénommé « l’hyperprésidence » le chapitre consacré à la présidence de N. SARKOZYin Histoire de la Ve République, op. cit., p. 549 et s. Voir F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN et P. PACTET,Droit constitutionnel, op. cit., p. 373 sq.

G. CARCASSONNE contestait cette formule : « Hyper-président, Nicolas Sarkozy ? Il est beaucoup moins puissant que ne fut en son temps, par exemple, Georges Pompidou qui était autant chef mais d’un État autrement moins racorni » (G. CARCASSONNE, « Immuable Ve République », Pouvoirs, n°126, 2008, p. 33-34). Il confirme cette position in M. DOMINICI, La Ve République et ses monarques, France, HD-16/9, coul., 2013, circ. 48e min.

568

Discours prononcé à Épinal dans la version communiquée à la presse et parue dans le journal Le Monde le 12 juillet 2007.

569 Voir J. G

ICQUEL, « Variations sur la présidence normale de François Hollande », in L’État, le Droit, le

Politique. Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Colliard, Dalloz, coll. « Mélanges », 2014, p. 305-317.

L’expression est aussi utilisée in F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN et P. PACTET,Droit constitutionnel, op. cit., p. 375 sq.

570 « 2012 : François Hollande veut une présidence “normale”, “exemplaire” », Le Point, 30 avril 2011. Quant

aux critiques et aux interrogations sur cette « normalité » affichée, voir A. LEMARIÉ, « La “normalité” de François Hollande, vrai changement ou coup de com’ », LeMonde.fr, 7 juin 2012. Voir aussi T. WIEDER, « Le premier journal de 20h d’un “président normal” », Le Monde, 30 mai 2012 et du même, « Une présidence “normale” qui reste à définir », Le Monde, 4 juin 2012.

571 Ces vœux ont été publiés en ligne sur le site de l’Élysée. 572

L’émission à laquelle François HOLLANDE participa, en direct pendant 2h, sur la chaîne Canal+ le 19 avril 2015 fut également une démonstration du présidentialisme installé sous la Cinquième République.

L’exigence du contreseing

montrer que la révision n’a pas modifié en droit la fonction présidentielle et n’a pas fait du président de la République un représentant concurrent du Parlement.

En premier lieu, la révision de 1962 n’a nullement modifié les attributions du président de la République et, en particulier, n’a changé ni la rédaction de l’article 5, ni celle de l’article 19, ni celle de l’article 20 de la Constitution. Le Premier ministre reste, en droit, celui qui « dirige l’action du Gouvernement573 », lequel « détermine et conduit la politique de la nation574 » avec le soutien et sous le contrôle du Parlement575. Le Premier ministre reste le chef de l’exécutif et de l’Administration dont « il dispose576 ». Le Président demeure l’arbitre des conflits les plus graves et bénéficie à cette fin de compétences dont l’exercice est dispensé de contreseing. Il a gagné en légitimité, certes, mais non en compétences577. On peine à admettre que la modification du mode d’élection du président de la République ait changé le sens des dispositions relatives aux compétences respectives du président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement578.

En deuxième lieu, la source de la légitimité d’un organe ne détermine nullement l’étendue de ses prérogatives. Seules les normes en vigueur, dans un État de droit, dictent les compétences respectives de chaque organe. En troisième lieu, de telles analyses ne résistèrent pas à l’ « épreuve de la cohabitation579 ». « Force est, en effet, de constater qu’institutionnellement, les élections “législatives” […] sont toujours décisives, tandis que l’élection présidentielle, à elle seule, ne l’est jamais580. »

Enfin, il est courant d’avancer que le président de la République serait devenu représentant de la nation au sens de l’article 3 du texte constitutionnel581, aux termes duquel : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du

573

Art. 21 de la Constitution.

574 Art. 20 al. 1 de la Constitution. 575 Art. 24 al. 1 de la Constitution. 576 Art. 20 al. 2 de la Constitution. 577

Dans le même sens, voir Ph. ARDANT, « L’article 5 et la fonction présidentielle », Pouvoirs, n°41, 1987, p. 48-49.

578 Voir O. P

F E R S M A N N, « De l’impossibilité du changement de sens de la Constitution », in L’Esprit des

institutions, l’équilibre des pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet, Dalloz, 2003, p. 353-374.

579

L’expression est empruntée à la thèse éponyme du Professeur COHENDET : M.-A. CO H E N D E T, L’Épreuve de la cohabitation (…), op. cit.

580 A. L

E DIVELLEC, « La chauve-souris. Quelques aspects du parlementarisme sous la Ve République », in La

République. Mélanges en l’honneur de Pierre Av r i l , Montchrestien, 2001, p. 352.

581

J.GICQUEL,« Commentaire des articles 6 et 7 », art. cité ;P.AUVRET,« La faculté d’empêcher du président de la République », RDP, 1986, notam. p. 142.

La compétence de nomination du Président de la Cinquième République

référendum »582. Jean MASSOT écrit ainsi sur le site du Conseil constitutionnel – dont il faut souligner le caractère officiel et de grande audience potentielle – que l’article 3 ne suffit pas forcément à ériger le président de la République en représentant de la nation. Malgré tout, il relève que :

Dans d’autres pays européens (Autriche, Finlande, Irlande, Portugal), l’élection au suffrage universel n’a pas eu durablement cet effet [celui d’asseoir la précellence du président de la

République]. La situation en France est différente parce que l’élection au suffrage universel qui

n’était pas prévue dans le texte initial […] est venue se greffer sur la pratique gaullienne dans le but avoué de la perpétuer583.

Élu directement par le peuple, le président de la République serait devenu un représentant au même titre que le Parlement afin de doter la pratique gaullienne d’un fondement constitutionnel584. Mais l’argument tiré du droit comparé n’est ici guère convaincant car, par exemple, en Autriche, l’élection du président de la République au suffrage universel direct n’« était pas prévue dans le texte initial » de 1920. La révision de 1929, instaurant notamment l’élection du président de la République au suffrage universel direct n’empêcha pas la « neutralisation de la fonction présidentielle585 » en dépit de sa « forte connotation weimarienne586 ». Comme « intériorisée587 », cette neutralisation se maintint lors de la restauration de la Constitution de 1929 en 1945 après l’épisode austrofasciste conduit par DOLLFUß588. Des comparaisons avec les douze autres régimes parlementaires européens

582 Rappelons qu’avant 1962, G. BURDEAU avançait déjà que le président de la République était représentant

du peuple puisqu’il distinguait le « peuple situé », électeur du pouvoir démocratique, du « peuple abstrait» incarné par le pouvoir d’État, dont le président de la République est organe (G. BU R D E A U, « La conception du pouvoir selon la Constitution du 4 octobre 1958 », art. cité, p. 96). Pour une critique efficace, voir P. BR U N E T,

Vouloir pour la nation (…), op. cit., p. 315 et s. ; M. DUVERGER attaqua également cette position « qui eût

laissé rêveurs les ducs orléanistes de 1875 » (« Les institutions de la Ve République », RF sc. pol., vol. 9, n°1, 1959, p. 129).

583 Texte de Jean MASSOT paru sur le site du Conseil constitutionnel dans la rubrique « La Constitution en 20

questions ».

(disponible au format PDF : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/pdf/conseil- constitutionnel-17355.pdf).

584 M. DUVERGER allait dans le même sens en écrivant, au sujet de la révision de 1962, que « la France est

passée du gaullisme personnel au gaullisme institutionnel, puis des institutions gaulliennes à des institutions acceptées par tous » (M. DU V E R G E R, La Monarchie républicaine, op. cit., p. 24).

585 Ibid., p. 936-960. Voir aussi, sur les débats précédant la réforme de 1929, C. A

MAR,Le Président de la République dans les régimes parlementaires bireprésentatifs européens, op. cit., p. 63-70 ; O. MILZA,Histoire de l’Autriche, Hatier, 1995, notam. p. 204 ; I . AC K E R L, « Le régime autoritaire en Autriche de 1933 à 1938 », in F. KREISSLER (coord.), Austriaca, numéro spécial - Autriche 1867-1938 : itinéraire politique et social, p. 95-102.

586 A. L

E DIVELLEC, « La neutralisation de la Présidence de la République en Autriche », art. cité, p. 939.

587 Ibid., p. 942.

588 Rappelons qu’il fut mis fin au régime parlementaire par le chancelier Engelbert DOLLFUß qui entraîna le

pays dans l’austrofascisme. J. BARROCHE relève que l’expression est controversée : voir les éléments de bibliographie qu’il fournit dans sa thèse (J. BARROCHE, État, libéralisme et christianisme, Dalloz, coll.

L’exigence du contreseing

organisant un tel mode d’élection du président de la République sont particulièrement révélatrices d’une exception française : la France est le seul de ces régimes à connaître le plus souvent une prédominance présidentielle hors période de cohabitation589. L’élection du président de la République au suffrage universel direct ne suffit pas à expliquer ou à justifier la précellence présidentielle sous la Cinquième République.

85. Pour conclure, le président de la République n’est pas un représentant de la nation, car il

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