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Un tel argument est utilisé par les acteurs du jeu politique eux-mêmes, et en particulier par les présidents de la République 553 Le premier d’entre eux, DE GAULLE, estimait très

§2 La conception du contreseing à la naissance de la Cinquième République

A. Le président de la République n’est pas un représentant de la nation au même titre que le Parlement

83. Un tel argument est utilisé par les acteurs du jeu politique eux-mêmes, et en particulier par les présidents de la République 553 Le premier d’entre eux, DE GAULLE, estimait très

clairement, dans sa conférence de presse de 1964, que :

Le président, qui, suivant notre Constitution, est l’homme de la nation, mis en place par elle- même pour répondre de son destin ; le Président, qui choisit le Premier ministre, qui le nomme ainsi que les autres membres du gouvernement, qui a la faculté de le changer, soit parce que se trouve accomplie la tâche qu’il lui destinait et qu’il veuille s’en faire une réserve en vue d’une

nature constitutionnelle. L’idée qu’une « révolution juridique » eut lieu en 1962 est défendue par le professeur DEROSIER. Voir J.-Ph. DE R O S I E R, « Qu’est-ce qu’une révolution juridique ? Le point de vue de la théorie générale du droit », RFDC, n°102, 2015, p. 391-404.

547 M.D

UVERGER, Institutions politiques et droit constitutionnel, PUF, coll. « Thémis », 8e éd., 1965, p. 504.

548

J.GEORGEL, « Vingt ans de Cinquième », Rev. adm., n°202, 1981, p. 395, par ailleurs éminemment critique quant à ce qu’il est advenu de la Cinquième République.

549 Voir en particulier les exemples que fournit Bruno DAUGERON in La Notion d’élection en droit

constitutionnel, op. cit., p. 32 et s. et p. 774 et s.

550

Jean MASSOT affirme ainsi sans détour que : « La réforme de la Constitution de 1962 et l’introduction de l’élection présidentielle au suffrage universel ne pouvaient qu’accentuer la tendance du chef de l’État à déterminer et conduire la politique de la nation, rôle que le général de Gaulle avait toujours revendiqué en se présentant, dès sa première élection en 1958, comme le “guide de la France”. » : J.MASSOT, « “Direction du Gouvernement” et “Conduite de la politique de la nation” », Rev. Adm., n°194, 1980, p. 126.

551 P. A

VRIL, « Le président de la République, représentant de la nation », in Constitution et finances publiques.

Études en l’honneur de Loïc Philip, Economica, 2005, p. 32.

552 M. D

U V E R G E R, « Les vaches sacrées », in Itinéraires. Mélanges en l’honneur de Léo Hamon, Economica, coll. « Politique comparée », 1982, p. 639-645.

553 Outre les citations reproduites dans les pages suivantes, voir la sélection de discours présidentiels proposée in

P. JAN (dir.), La Constitution de la Ve République. Réflexions pour un cinquantenaire, La Documentation

La compétence de nomination du Président de la Cinquième République

phase ultérieure, soit parce qu’il ne l’approuverait plus ; le Président, qui arrête les décisions prises dans les conseils, promulgue les lois, négocie et signe les traités, décrète, ou non, les mesures qui lui sont proposées, est le chef des armées, nomme aux emplois publics ; le Président qui, en cas de péril, doit prendre sur lui de faire tout ce qu’il faut ; le Président est évidemment seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’État554.

À en croire le président de la République de l’époque, il serait « l’homme de la nation », ce qui justifierait l’ensemble des compétences que DE GAULLE énumère. Mais il est remarquable qu’il assimile celles qui sont exercées avec contreseing et sans contreseing, tandis que certaines attributions – comme la faculté de révoquer librement le Premier ministre – sont purement et simplement inexistantes dans le texte constitutionnel. L’élection au suffrage universel direct est ainsi utilisée comme une nouvelle (res)source de pouvoirs que les présidents de la République suivants firent leur. Georges POMPIDOU écrivit dans le Nœud

Gordien que le chef de l’État, « investi directement de la confiance de la nation, est et doit

être le chef incontesté de l’exécutif555 ».

Valéry GISCARD D’ESTAING, lors de sa conférence de presse du 25 juillet 1974, proposait la même vision du régime en expliquant que :

La Cinquième République, modifiée par le référendum de 1962, est un régime présidentialiste, c’est-à-dire un régime dans lequel les attributions du président de la République, concernant l’impulsion de la politique, sont des attributions très importantes556.

François MITTERRAND, qui n’avait pas de mots assez durs contre le « coup d’État permanent557 », ne dérogea pas à la pratique initiée par ses prédécesseurs, comme l’attestent,

554 Extrait de la conférence de presse donnée au Palais de l’Élysée le 31 janvier 1964 (C.

DE GAULLE, Discours et

messages, t. 4 Pour l’effort (août 1962 – Décembre 1965), Plon, 1970, p. 162 et s.).

555 G. P

OMPIDOU, Le Nœud gordien, Plon, 1974, p. 63 : « Notre Constitution, modifiée par le référendum qui a institué l’élection du président de la République au suffrage universel direct, a clairement posé le principe de la priorité du chef de l’État. [Lequel,] investi directement de la confiance de la nation, est et doit être le chef incontesté de l’exécutif ». Peu après son élection, il affirma encore : « Le choix qu’a fait le peuple français [en

l’élisant] démontre son adhésion à la conception que le général de Gaulle a eue du rôle du président de la

République. À la fois chef suprême de l’exécutif, gardien et garant de la Constitution, il est, à ce double titre, chargé de donner les impulsions fondamentales, de définir les directions essentielles, d’assurer et de contrôler le bon fonctionnement des pouvoirs publics. À la fois arbitre et premier responsable national » (G. POMPIDOU, conférence de presse radiotélévisée du 10 juillet 1969). Le texte de la conférence annoté par le président POMPIDOU est disponible aux Archives nationales sous la cote : AG/5(2)/632. Il est aussi cité in P.BRUNET,

Vouloir pour la nation (…), op. cit., p. 326 et fut reproduit dans le journal Le Monde du 11 juillet 1969. Voir

également l’article paru dans Le Monde du 12 juillet 1969 : P. VIANSSON-PONTÉ, « Les déclarations de M. Pompidou marquent une conception nouvelle de la fonction présidentielle et la continuité de la politique » (il s’agit du titre de l’article). Contrairement à ce qu’affirme le journaliste, la conception n’est que partiellement nouvelle, à notre sens ; le Président POMPIDOU fait sienne la conception gaullienne de la présidence.

L’exigence du contreseing

par exemple, son message à l’Assemblée nationale le 8 juillet 1981558 ou encore l’entretien télévisé du 9 décembre suivant, au cours duquel il répondit à Michèle COTTA, qui l’interrogeait sur les pouvoirs exorbitants du président de la République559 :

[Le président de la République] a de grands pouvoirs et, lorsque vous m’interrogez, vous avez le droit de me mettre en cause parce que la politique pratiquée par le Gouvernement m’engage au premier chef. Je suis le premier responsable de la politique française560.

Lors de son premier mandat, Jacques CHIRAC parut vouloir rompre avec le mouvement initié par ses prédécesseurs. Il répéta son désir de rééquilibrer les rapports entre président de la République et Premier ministre, conformément au texte constitutionnel, pour mettre fin à « la dérive monarchique qui a caractérisé notre pays pendant trop longtemps561 ». Mais, en dépit de l’habileté du langage, il ne faut pas se méprendre lorsqu’il déclare, à l’occasion de sa première investiture, que « le Président arbitrera, fixera les grandes orientations, assurera l’unité de la nation, préservera son indépendance. Le Gouvernement conduira la politique de la nation562 ». Si le présidentialisme est apparemment « mesuré563 », c’est bien le président de la République qui fixe les « grandes orientations ». Il confirma cette conception de la présidence lors de son second mandat564. Pareillement, en dépit des annonces – 557 Tel est le titre bien connu de son ouvrage éponyme : F.M

ITTERRAND, Le Coup d’État permanent, Plon, coll. « Les débats de notre temps ». Rappelons certains mots de son réquisitoire contre la Cinquième République gaullienne : « Les élections législatives de novembre 1962 donnaient ses assises au gaullisme et semblaient entamer une période nouvelle où la France se reposerait enfin de la fantasia de coups d’État, de complots, de barricades et de putsches [sic] qui avaient salué l’avènement de la Ve République. Or, c’est le moment que choisit précisément le général de Gaulle pour arracher aux citoyens les dernières garanties de l’habeas corpus, pour rétablir la sinistre hiérarchie des systèmes totalitaires et pour substituer partout où le guide son bon plaisir la paire de menottes à la main de justice. Régime oblige : le pouvoir absolu a ses raisons que la République ne connaît pas » (p. 266-267).

558 Message adressé à l’Assemblée nationale en vertu de l’article 18 de la Constitution, dans lequel il affirma :

« J’ai dit à plusieurs reprises que mes engagements constituaient la charte de l’action gouvernementale. J’ajouterai, puisque le suffrage universel s’est prononcé une deuxième fois, qu’ils sont devenus la charte de votre action législative » (JO du 9 juillet 1981, n°6, AN (C.R.), séance du mercredi 8 juillet 1981, p. 46).

559 La question fut posée en ces termes : « Vous êtes au pouvoir depuis le 10 mai, depuis six mois. Je voulais

savoir si un président de la République peut faire n’importe quoi en France, si vous avez tous les pouvoirs ou si, au contraire, vous ressentez et où vous ressentez les pesanteurs du quotidien ? »

560 Entretien reproduit dans le journal Le Monde du 11 décembre 1981. 561 Interview accordée au journal Le Point, 1er septembre 1995. 562

Discours d’investiture prononcé le 17 mai 1995 au Palais de l’Élysée, reproduit in Le Monde, 18 mai 1995.

563 Telle est l’expression retenue par le professeur JAN in Le Président de la République au centre du pouvoir,

op. cit., p. 198.

564

« Le Premier ministre est un Premier ministre, il est le chef du Gouvernement et il assure la conduite de la politique de la nation. Naturellement, cette politique doit se faire, c’est souhaitable, dans le cadre de l’impulsion donnée par le chef de l’État, dans le cadre de la vision qu’il a fait approuver par ailleurs par les Français, mais le Premier ministre est un Premier ministre » déclara-t-il à Élise LUCET qui l’interrogea pour France 3, le 5 juin 2002. Il affirma, en 2006, dans une interview au journal Le Figaro : « L’élection présidentielle c’est une rencontre entre un homme et un peuple ; tel est l’esprit du gaullisme, telle est la logique de l’élection du président au suffrage universel » (Le Figaro, 31 octobre 2006).

La compétence de nomination du Président de la Cinquième République

particulièrement celles qui ont porté sur la révision constitutionnelle de 2008565 – Nicolas SARKOZY a incarné, pour beaucoup de commentateurs, un présidentialisme assumé, « décomplexé566 », une « hyper-présidence567 ». Il est aisé de le mesurer en relisant le discours d’Épinal, pourtant animé d’une volonté réformatrice : « Je souhaite que le Président gouverne, pour reprendre l’expression de Georges Pompidou qui l’a employée bien avant moi568 ». François HOLLANDE, enfin, n’est pas en reste, en dépit des critiques qui lui reprochent précisément de n’être pas suffisamment « chef » et en dépit de sa campagne électorale sur le thème d’une « présidence normale569 » ou « exemplaire570 ». Dans la veine présidentialiste de ses prédécesseurs, il affirma par exemple lors de ses vœux au Gouvernement en janvier 2014 : « Les objectifs que j’ai fixés lors de mes vœux aux Français sont désormais les vôtres571 », s’affirmant alors comme le chef de l’exécutif572.

84. À en croire une part de la doctrine comme les intéressés eux-mêmes, le président de la

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