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Une critique des thèses favorables à un contrôle juridique et politique des nominations par le président de la République

§2 Le président de la République en période de cohabitation, un pouvoir partisan

B. Une critique des thèses favorables à un contrôle juridique et politique des nominations par le président de la République

133. Au-delà de la remise en cause de la filiation d’une telle idée avec les écrits constantiens, récuser la thèse selon laquelle le président de la République, parce qu’il serait un organe

820 Dans le livre d’entretiens accordés à P. FAVIERet P. ROTMAN, Lionel JOSPIN affirme que : « En phase de

cohabitation, [le président de la République] doit seulement donner son accord pour les choix du ministre des Affaires étrangères et du ministre de la Défense » (L. JO S P I N, Lionel raconte Jospin (...), op. cit, p. 239).

Pourtant, comme le relève son directeur de cabinet : « Bien imprudent serait celui qui voudrait définir au bénéfice du chef de l’État un domaine réservé, dès lors que la politique de la nation ne se partage pas » (O. SC H R A M E C K, Matignon Rive gauche. 1997-2001, Seuil, 2001, p. 95).

821

Selon le titre de l’article de R. BA C Q U É, « M. Chirac préoccupé par la succession de Mme Guigou à la Justice », Le Monde, 13 octobre 2000, art. préc.

822

O. SC H R A M E C K, Matignon Rive gauche, op. cit., p. 111.

823 Nous retiendrons, avec Yves MÉNY que le terme « politisation » « recouvre […] diverses réalités ». Quant à

la politisation des fonctionnaires (mais l’analyse s’applique aussi bien aux non fonctionnaires nommés, notamment, à des emplois à la décision du Gouvernement) l’auteur distingue premièrement la politisation « de nature idéologique » : « elle renvoie au système de valeurs auxquelles adhèrent les fonctionnaires comme tout citoyen » ; deuxièmement, « la politisation peut être de nature partisane, c’est-à-dire qu’elle se marque essentiellement par l’adhésion explicite ou implicite des fonctionnaires à un parti politique » ; « la politisation peut être structurelle enfin. Dans ce cas de figure la politisation résulte moins des choix effectués par les hommes que de l’agencement même des organisations » (Y. MÉ N Y, « À la jonction du politique et de l’administratif : les hauts fonctionnaires », Pouvoirs, n°40, 1987, p. 20-21).

L’importance de la signature

modérateur, pourrait (ou devrait) opérer un contrôle juridique et/ou politique des nominations, s’autorise de divers arguments.

En premier lieu, aucune norme constitutionnelle ne l’habilite à opérer de tels contrôles. L’article 5 de la Constitution, en particulier, ne fait pas du président de la République un juge de la constitutionnalité des actes administratifs. Il ne peut veiller au respect de la Constitution qu’avec les moyens et dans les limites qu’elle établit elle-même. Aussi peut-il seulement « solliciter un autre pouvoir824 » en vertu de ses compétences réelles. Même en admettant que « lorsque ses pouvoirs sont soumis à contreseing, il a le devoir de vérifier […] que les actes qui sont soumis à sa signature ne sont pas manifestement inconstitutionnels […] [et qu’il] a le devoir de saisir l’autorité compétente825 », force est d’admettre qu’en matière de nomination sa faculté de solliciter un arbitre semble réduite compte tenu, notamment, des conditions pesant sur l’exercice de ses compétences réelles826. Au reste, avancer avec certains auteurs que le chef de l’État puisse (ou doive), fût-ce seulement dans des cas extrêmes, refuser de signer l’acte de nomination en considérant son inconstitutionnalité, fait ressurgir la question de sa neutralité et de son pouvoir décisionnel.

Effectivement, en second lieu, pour accorder au président de la République la faculté de juger de la légalité ou de l’opportunité d’un acte de nomination, il faut lui concéder un pouvoir de décision que l’étude de la contresignature a obligé à lui dénier827. La fonction substantielle du contreseing explique que l’appréciation et la sanction de l’opportunité politique des nominations relèvent du Parlement, chargé de contrôler « l’action du Gouvernement828 » que « le Premier ministre dirige829 ». De plus, admettre un contrôle politique au profit d’un président de la République suppose que celui-ci œuvre comme un contre-pouvoir830

824

Selon l’expression employée par M. DEBRÉ, décrivant, devant le Conseil d’État, les pouvoirs du président de la République dans la Constitution alors encore en cours d’élaboration (texte reproduit sous le titre « La nouvelle Constitution », art. cité, p. 22).

825 M . - A . C

O H E N D E T, La Cohabitation (...), op. cit., p. 143.

826

Peut-être faut-il néanmoins considérer qu’en soumettant les nominations aux parlementaires pour obtenir l’avis prévu à l’article 13 alinéa 5, le président de la République sollicite leur arbitrage, comme l’envisageait Michel DEBRÉ ? Une réponse affirmative n’est nullement évidente (voir infra, p. 528).

827

Il sera démontré que les normes constitutionnelles habilitant le président de la République ne lui confèrent aucune faculté d’empêcher : il est bien contraint d’exercer sa compétence de nomination (quant à l’interprétation de ces normes, voir infra, p. 213 et s.).

828 Art. 24 de la Constitution. 829

Art. 21 de la Constitution.

830 Cf. H. P

ORTELLI, « Contre-pouvoir ou chef de l’opposition ? », art. cité, p. 59-70. L’auteur considère que le président de la République en cohabitation n’est ni tout à fait l’un, ni tout à fait l’autre. Sa situation et sa capacité d’action dépendent principalement de « sa condition à la veille de la cohabitation » et des « rapports de forces politiques au moment de la cohabitation ».

La compétence de nomination du Président de la Cinquième République

partisan831. Ainsi, le « pouvoir neutre » serait résolument non neutre. Le chef de l’État serait en mesure d’entraver à lui seul, par le biais des nominations, une part de la conduite de la politique nationale dont le Gouvernement est chargé832. Le président de la République pourrait donc (ab)user de sa position pour empêcher le fonctionnement régulier des pouvoirs publics qu’il doit pourtant assurer par son arbitrage aux termes de l’article 5 de la Constitution833.

La thèse selon laquelle, fût-ce seulement en période de cohabitation, le président de la République serait l’organe du « pouvoir modérateur », ce qui justifierait son contrôle juridique et politique des nominations, doit donc être écartée.

S

E C T I O N

2.

L

A S I G N AT U R E D U P R É S I D E N T D E L A

R

É P U B L I Q U E

,

E X P R E S S I O N D

U N E F O N C T I O N S Y M B O L I Q U E

Si le président de la République n’est pas un « pouvoir neutre » – s’il est tout au plus un pouvoir neutre inconstant –, si la contresignature lui ôte le pouvoir de désignation (et si réciproquement sa signature ne l’habilite pas à désigner), la question de la fonction de son seing reste entière. La réponse paraît résider dans l’affirmation, souvent admise, de la fonction symbolique du chef de l’État. Celle-ci explique le caractère honorifique de la compétence de nomination qui lui est confiée (§2). Mais, pour le démontrer, il convient de prendre au sérieux, l’hypothèse d’un chef (de l’État) à la fonction symbolique et dénué de pouvoir. Une telle institution est non seulement concevable mais empiriquement observable (§1).

831 Le président de la République cohabitant peut être perçu comme chef de l’opposition. En ce sens, voir notam.

M.-A. CO H E N D E T, L’Épreuve de la cohabitation (…), t. 1, op. cit., p. 170 (l’auteur conclut son chapitre en

voyant le président de la République de cohabitation comme « un contre-pouvoir politique ») ; P. JA N, Le

Président de la République au centre du pouvoir, op. cit., p. 196 (l’auteur considère que, dès la première

cohabitation, le président de la République « est devenu le chef de l’opposition parlementaire, il est même l’opposition à lui tout seul » ; R. FERRETTI, « La fonction présidentielle : constantes et variantes », art. cité, p. 3 (le président de la République aurait une fonction institutionnelle « que décrit l’article 5 de la Constitution » et une fonction politique « qu’aucun texte ne lui attribue explicitement mais que l’élection au suffrage universel lui a assigné »).

832 Art. 20 de la Constitution.

833 La Pologne a fait l’expérience d’un président de la République pouvant aller jusqu’à obtenir la démission du

Premier ministre à force d’opposition, en « brisant le lien de confiance entre le Parlement et le Gouvernement» (B.SCHAEFFER, L’Institution présidentielle dans les États d’Europe centrale et orientale, op. cit., p. 246).

L’importance de la signature

§1. La possibilité d’un « chef sans pouvoir »

Affirmer la fonction symbolique du chef de l’État peut sembler très classique, presque évident. Nombre d’auteurs considèrent que les rois ou les présidents de la République ont une fonction symbolique834. Une telle thèse mérite d’être précisée car elle pose des questions qu’elle laisse sans réponse. Il est rare que soit signalé ce que symbolisent ces chefs, que soit indiqué si cela signifie qu’ils sont dépourvus de pouvoir ou même s’il est possible de dépasser l’oxymore d’un chef sans pouvoir. Ce sont vers les écrits de certains ethnologues et philosophes, ayant contribué à la critique du pouvoir politique, qu’un commencement de réponse peut être trouvé (A), pour être ensuite être mis en rapport avec la figure du chef de l’État dans les démocraties occidentales (B).

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