• Aucun résultat trouvé

Les « chefs sans pouvoir » des démocraties occidentales

§2 Le président de la République en période de cohabitation, un pouvoir partisan

B. Les « chefs sans pouvoir » des démocraties occidentales

140. Les écrits de Pierre CLASTRES sur les Indiens d’Amérique autorisent à un rapprochement fécond avec les figures du chef dans les démocraties européennes, parce qu’ils fournissent des exemples de chefs sans pouvoir coercitif, ce qui renseigne en même temps sur des modes alternatifs d’exercice du pouvoir et sur la fonction d’autorité – au sens arendtien du terme – dévolue aux chefs d’État démocratiques. Ces enseignements peuvent servir à interroger l’assertion communément partagée selon laquelle la plupart des « chefs d’État » européens ont une « fonction symbolique ».

141. Rares sont les textes constitutionnels qui l’énoncent explicitement : seules les Constitutions espagnole et luxembourgeoise présentent le roi comme symbole de l’unité de

fait ici mention des thèses durkheimiennes selon lesquelles : « Plus la différentiation sociale est faible, plus le pouvoir est fort car il peut seul maintenir la cohésion du groupe ; à l’inverse, la différentiation sociale produite par une division du travail entraîne un déclin de la coercition, l’État n’exerçant plus qu’un rôle fonctionnel, seule la division du travail pathologique (anomique ou de contrainte) faisant ressurgir l’usage de la force » (p. 10).

856 Parmi les études consacrées aux chefs sans pouvoir (coercitif) des sociétés sans État, un parallèle intéressant

pourrait également être établi avec la figure de l’amusnaw. Pierre BOURDIEU décrit ces poètes kabyles comme ceux qui « [disent] ce qu’il faut faire lorsque plus personne ne sait ce qu’il faut penser, […] ces sages conciliateurs qui arrangent les choses » (P. BOURDIEU, Sur l’État (…), op. cit., p. 56 [Cours du 25 janvier 1990]). Il renvoie à M. MAMMERI et P.BOURDIEU, « Dialogue sur la poésie orale en Kabylie », Actes de la Recherche en

sciences sociales, n°23, 1978, p. 51-66. Dans ce dialogue, les amusnaw sont aussi présentés comme des

ambassadeurs ayant vocation à empêcher la guerre (p. 55).

857 H. A

L’importance de la signature

l’État858. Mais les chefs d’État ont, bien souvent, plusieurs fonctions. Francis DELPÉRÉE affirme ainsi que le roi belge a une « fonction officielle » et une « fonction symbolique ». Cette dernière est liée à la « magistrature d’influence » du chef de l’État : « le roi parle, écoute, sert éventuellement de médiateur859 ». La fonction officielle consiste à « authentifier » des actes normatifs et à « représenter » l’État ; non en tant qu’il l’incarnerait, non en tant qu’il « voudrait pour la nation », mais parce qu’il pourrait l’engager dans les relations internationales. Quant à cette « fonction authentificatrice », partie de la fonction officielle, le professeur DELPÉRÉE écrit :

Monarque ou président de République, quelle importance, en somme ? La république est couronnée. Ou la Monarchie se donne des formes républicaines. Quand ce n’est pas la république qui connaît des tendances – ou des dérives – monarchiques860.

Mais, cette proximité entre monarque et président de la République ne se limite pas à la fonction notariale. C’est parce que les chefs d’État ont une fonction symbolique qu’ils ont en même temps une double mission officielle d’authentification et de représentation et qu’ils peuvent être dotés de compétences réelles. En effet, le symbole est représentation. Parler d’une fonction symbolique du chef de l’État revient à affirmer qu’il « représente autre chose en vertu d’une correspondance analogique861 ». Mais que représente-t-il ? Quatre grandes hypothèses jalonnent les textes constitutionnels européens : les chefs d’État sont soit simplement désignés comme tels862, soit tenus pour « représentants » de l’État863 ou de la République864, soit considérés comme « incarnation » de l’unité du peuple865, de la nation866

858 Art. 56 de la Constitution espagnole aux termes duquel le roi représente également la « pérennité » de l’État et

art. 33 de la Constitution du Grand-Duché du Luxembourg.

859

F. DELPÉRÉE, « La fonction du Roi », Pouvoirs, n°78, 1996, p. 54.

860 Ibid., p. 45. 861 A. L

ALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, coll. « Quadrige », 10e éd., 2002, entrée « Symbole ».

862

Sont dits « chef de l’État » les présidents bulgare (art. 92 de la Constitution : « държавен глава »), chypriote (art. 36 de la Constitution : « the Head of the State »), estonien (art. 77 de la Constitution : « riigipea »), hongrois (art. 9 de la Constitution : « államfője »), italien (art. 87 de la Constitution : « capo dello Stato »), slovaque (l’art. 101 de la Constitution prévoit qu’il est « chef de la République » : « Hlavou Slovenskej republiky

je prezident ») et tchèque (art. 54§1 de la Constitution : « hlavou státu ») et les Rois de Belgique (art. 87 de la

Constitution), d’Espagne (art. 56 de la Constitution : « Jefe del Estado ») et de Suède (le chapitre V du

Regeringformen est consacré Statschefen).

863

C’est le cas des Présidents allemand (art. 59 de la Constitution), autrichien (art. 65 de la Constitution), bulgare (art. 92 de la Constitution), chypriote (art. 36 de la Constitution), croate (art. 94 de la Constitution), estonien (art. 78 de la Constitution), hongrois (art. 9§3 de la Constitution), letton (art. 41 de la Constitution), lituanien (art. 77 de la Constitution), polonais (art. 126 de la Constitution), portugais (art. 120 de la Constitution) et roumain (art. 80 de la Constitution) ainsi que du roi espagnol (art. 33 de la Constitution).

864

Sont explicitement dits « représentant de la République » les présidents autrichien (art. 65 de la Constitution), bulgare (art. 92 de la Constitution), chypriote (art. 36 de la Constitution), croate (art. 94 de la Constitution),

La compétence de nomination du Président de la Cinquième République

ou de l’État867. Comme en France868, seuls huit autres pays membres de l’Union européenne ne font pas explicitement de leurs chefs d’État un représentant869. Mais, même lorsque le chef de l’État n’est pas dit « représentant », sa fonction symbolique peut être identifiée à travers les compétences qui lui sont dévolues. Conformément au triptyque identifié par CLASTRES, les chefs d’État européens sont très souvent chefs des armées et parfois orateurs habilités. La générosité décrite par l’ethnologue paraît, en revanche, mal s’accorder avec la figure des chefs occidentaux.

142. Dans vingt-et-un870 des vingt-huit États membres de l’Union européenne871, la Constitution prévoit que le président de la République ou le roi sont chefs des armées. La rédaction de la Constitution portugaise est limpide quant aux liens entre la fonction symbolique du président de la République et sa fonction militaire : « [Le président de la République] garantit l’indépendance nationale, l’unité de l’État et le fonctionnement régulier

estonien (art. 78 de la Constitution), polonais (art. 126 de la Constitution), portugais (art. 120 de la Constitution), slovaque (art. 101 de la Constitution) et slovène (art. 102 de la Constitution).

865 Président bulgare (art. 92 de la Constitution).

866 Présidents hongrois (art. 9§1 de la Constitution) et italien (art. 87 de la Constitution). 867

roi espagnol (art. 56 de la Constitution) et Grand-duc du Luxembourg (art. 33 de la Constitution).

868

Encore faut-il noter que l’article 80 de la Constitution française prévoyait que : « Le Président de la République préside et représente la Communauté ». Cette disposition, tôt tombée en désuétude, n’en est pas moins restée en vigueur jusqu’à son abrogation par la loi constitutionnelle n°95-880 du 4 août 1995.

869 Belgique, Danemark, Finlande, Grèce, Irlande, Malte, Pays-Bas et Suède. 870

Sont « chefs des armées » les présidents autrichien (art. 80 de la Constitution), bulgare (art. 100 de la Constitution), croate (art. 100 de la Constitution), estonien (art. 78 de la Constitution), français (art. 15 de la Constitution), hongrois (art. 9 de la Constitution), irlandais (art. 13§4 de la Constitution), italien (art. 87 de la Constitution), grec (art. 45 de la Constitution), letton (art. 42 de la Constitution), lituanien (art. 140 de la Constitution), polonais (art. 134 de la Constitution), portugais (art. 134 de la Constitution), roumain (art. 92 de la Constitution), slovaque (art. 102§k de la Constitution), slovène (art. 102 de la Constitution) et tchèque (art. 63 de la Constitution) ainsi que les Rois du Royaume-Uni (coutume), de Belgique (art. 167 de la Constitution), du Luxembourg (art. 37 de la Constitution) et des Pays-Bas (encore que l’art. 98§2 de la Constitution prévoit, en l’occurrence, que « Les forces armées sont placées sous l’autorité suprême du Gouvernement » lequel est, selon l’art. 42, « formé du roi et des ministres »). De telles dispositions se retrouvent aussi par exemple dans la Constitution des États-Unis d’Amérique qui dispose, en son art. II, section 2 : « Le président sera commandant en chef de l’armée et de la marine des États-Unis ».

Sept États membres de l’Union européenne n’ont donc pas explicitement retenu cette fonction traditionnellement attribuée au chef de l’État mais il faudrait nuancer pour certains d’entre eux. Par exemple, en Finlande, le président de la République n’est pas « chef des armées » mais la Constitution indique qu’il « décide de la paix et de la guerre avec le consentement du Parlement » (art. 93). De la même façon, « il incombe au roi [d’Espagne], avec l’accord préalable des Cortès générales, de déclarer la guerre et de faire la paix » (art. 63 de la Constitution).

871 De telles dispositions ont, la plupart du temps, une portée symbolique. Mais comme l’indique F. FRISON-

ROCHE, plusieurs données peuvent contribuer à affirmer la primauté présidentielle en matière militaire. Il faudrait, pour chacune des Constitutions, observer si le chef de l’État dispose de moyens d’informations et d’action en matière militaire (« Les pouvoirs “périphériques” des présidents d’Europe postcommuniste : symboles ou pouvoirs réels ? », Revue d’études comparatives Est-Ouest, n°39, 2008, p. 9-47). Mais sans entrer dans cette démarche, l’affirmation presque unanimement partagée de ce que le chef de l’État est commandant suprême des armées montre avec constance la volonté de le placer, au moins symboliquement, à la tête de la Défense de l’État.

L’importance de la signature

des institutions démocratiques. Il est par voie de conséquence le commandant suprême des forces armées872 ». Mais au-delà de ce rôle guerrier, la fonction que CLASTRES disait pacificatrice peut également faire écho à la conception constantienne de la mission du « pouvoir modérateur », qu’il soit monarchique ou républicain. L’ethnologue écrit effectivement :

Aussi [le chef] doit-il apaiser les querelles, régler les différends, non en usant d’une force qu’il ne possède pas et qui ne serait pas reconnue, mais en se fiant aux seules vertus de son prestige, de son équité et de sa parole. Plus qu’un juge qui sanctionne, il est un arbitre qui cherche à réconcilier873.

Or, en Monarchie comme en République (malgré les précautions et avertissements de CONSTANT), les chefs d’État, même élus au suffrage universel direct, disposent de fonctions de « réconciliation », quand ils ne sont pas explicitement dits « arbitre », « modérateur », « régulateur » ou encore « garant »874. La recherche d’une harmonie, à atteindre ou à recouvrer, explique que des compétences dont l’exercice est dispensé de contreseing leur soient parfois attribuées. Et lorsque la Constitution ne les habilite pas à agir, c’est le langage qui peut leur servir d’instrument de concorde. Comme l’indique Pierre CLASTRES, la parole n’est pas dépourvue de tout lien avec la mission pacificatrice du chef 875.

143. Douze des États de l’Union européenne autorisent explicitement le chef de l’État à adresser directement des messages à la représentation nationale876. Parmi ceux-ci, seules les Constitutions bulgare, française et hellénique prévoient la possibilité pour leur président de la

872 Art. 120 (nous soulignons). 873 P. C

LASTRES, La Société contre l’État (…), op. cit., p. 28.

874

La Constitution portugaise de 1826 l’énonçait de la façon la plus claire : « Le pouvoir modérateur est la clé de toute l’organisation politique, et appartient exclusivement au roi, comme chef suprême de la nation, pour qu’il veille incessamment à la conservation de l’indépendance, de l’équilibre, et de l’harmonie des autres pouvoirs politiques » (art. 71). Certaines Constitutions en vigueur en Europe font, elles aussi, mention de la fonction modératrice du chef de l’État. Par exemple, l’article 56 de la Constitution espagnole établit que : « Le roi est le chef de l’État, symbole de son unité et de sa pérennité ; il est l’arbitre et le modérateur du fonctionnement régulier des institutions ». Dans la Constitution hellénique, « le président de la République [élu au suffrage

universel indirect] est le régulateur du régime politique » (art. 30). Enfin, pour un exemple tiré d’un régime

républicain biélectif, citons l’article 126 de la Constitution polonaise de 1997 qui énonce que : « 1. Le président de la République de Pologne est le représentant suprême de la République de Pologne et le garant de la continuité des pouvoirs publics. 2. Le président de la République veille au respect de la Constitution, il est le garant de la souveraineté et de la sécurité de l’État, de l’inviolabilité et de l’intégrité de son territoire ».

875 P. C

LASTRES, La Société contre l’État (…), op. cit., p. 28.

876 Les président bulgare (art. 98 de la Constitution), français (art. 18 de la Constitution), grec (art. 44§3 de la

Constitution), hongrois (art. 9 de la Constitution), irlandais (art. 13§7 de la Constitution), italien (art. 87 de la Constitution), lituanien (art. 84§18 de la Constitution), polonais (art. 140 de la Constitution), portugais (art. 133 de la Constitution), roumain (art. 80 de la Constitution), slovaque (art. 102§p de la Constitution). Au Royaume- Uni, la Reine prononce le discours du trône à chaque début de législature.

La compétence de nomination du Président de la Cinquième République

République d’adresser directement un message au peuple. La première, seule, n’émet aucune condition quant à l’exercice de cette compétence877. Il est vrai cependant que la modernisation des moyens de communication facilite le contact direct entre les chefs d’État et le peuple. Ils ne sont, dans les faits, pas réduits à la pantomime878. Les vœux annuels, par exemple, font office d’une véritable cérémonie, mise en scène de façon solennelle, qui permet au chef de l’État de s’adresser à un public indéterminé de façon unilatérale879. Dans le cadre de régimes parlementaires biélectifs, à la manière du problème soulevé par l’arrêt F. Hollande et D.

Mathus880, la question a pu se poser de savoir comment concilier la fonction symbolique du président de la République et l’aura politique que lui confère l’élection au suffrage universel direct. Saisie par des députés de la question de la conformité à la Constitution bulgare de l’utilisation politique par le président de la République de son droit de message à la nation, la Cour constitutionnelle de Sofia a jugé que le chef de l’État était habilité à délivrer des messages de portée politique. Elle prit soin de préciser cependant que, le cas échéant, les parlementaires pouvaient déclencher la procédure d’accusation pour « haute trahison » ou infraction à la « Constitution » prévue par l’article 103§1 de la Constitution881. Cet exemple

877

Art. 98 de la Constitution bulgare. La Constitution française prévoit que le président de la République doit s’adresser à la nation par message en cas de recours à l’article 16 : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Il en informe la nation par un message ». La Constitution grecque énonce en son article 44§3 que : « Dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, le président de la République peut, après avis conforme du président du Gouvernement, adresser des messages au peuple. Les messages sont contresignés par le Premier ministre et publiés au Journal officiel ». Avant la révision de 1986, ni l’avis conforme du Gouvernement, ni le contreseing du Premier ministre n’étaient exigés.

878

Sur la fonction tribunitienne du président de la République, voir notam. J.-C. ZARKA, Fonction présidentielle

et problématique majorité présidentielle/majorité parlementaire sous la Cinquième République (1986-1992), op. cit., p. 137-139.

879 Voir A. T

ELETIN, « Les vœux présidentiels au Portugal, en France et en Roumanie, et la crise internationale. Les enjeux des formes d’adresse et des procédés d’atténuation/intensification », Mots. Les langages du politique, n°101, 2013, p. 31-46.

La même problématique a pris un jour très particulier en Italie, où il est largement admis que le président de la République, quoique élu au suffrage universel indirect, est un acteur central de la vie politique. Par exemple, Ph. LAUVAUX écrit : « Le président de la République italienne […] s’est confirmé, comme celui des chefs d’État des régimes parlementaires classiques qui dispose, en droit et en fait, des pouvoirs les plus larges et les moins contestés » (Ph. LAUVAUX, « Le président de la République italienne en perspective », in L. MOREL (dir.),

L’Italie en transition. Recul des partis et activation de la fonction présidentielle, L’Harmattan, coll. « Logiques

politiques », 1997, p. 42). Les messages présidentiels (esternazioni) ont suscité de nombreux débats doctrinaux. Pour un aperçu de ces questions, voir M. C. GRISOLIA, « Le esternazioni presidenziali », Rivista

dell’Associazione Italiana dei Costituzionalisti, n°1, 2011. Pour le professeur BIN, le Président NAPOLITANO

a voulu faire avec les mots » (R. BI N, « Il Presidente Napolitano e la topologia delle forma di governo »,

Quaderni costituzionali, n°1, 2013, p. 10). Notre trad. pour : « abbia voluto cioè fare con le parole ».

880 CE Ass., 8 avril 2009, F. Hollande et D. Mathus, Rec. p. 140, préc. 881

Cour constitutionnelle de Bulgarie, décis. du 21 décembre 1995. Voir la présentation de cette affaire in B. SCHAEFFER, L’Institution présidentielle dans les États d’Europe centrale et orientale, op. cit., p. 513.

L’importance de la signature

suffit à se convaincre que le discours du chef de l’État n’est pas dépourvu d’effets et d’enjeux : « le talent oratoire est une condition et aussi un moyen du pouvoir politique882 ».

144. Le troisième élément du triptyque de CLASTRES réside dans le devoir de générosité incombant au chef. Ce trait, qui fut aussi souligné par Francis HUXLEY et Claude LÉVI- STRAUSS, apparaît comme un devoir du chef. « Les ethnologues ont en effet noté chez les populations les plus diverses d’Amérique du Sud que cette obligation de donner, à quoi est tenu le chef, est en fait vécue par les Indiens comme une sorte de droit de le soumettre à un pillage permanent883 ». Rien de semblable ne paraît pouvoir s’appliquer à la figure présidentielle ou royale des démocraties occidentales. Aucune norme ne fait peser sur eux un tel devoir de « générosité-imposée ». La fonction symbolique des chefs d’État occidentaux se dessinerait donc, a minima – d’autres éléments pourraient bien y être ajoutés –, par des compétences militaire et oratoire.

145. L’étude des textes constitutionnels qui définissent soit explicitement, soit en creux l’insigne fonction, permet de dire que le président de la République ou le roi représentent l’unité et la continuité de l’État. Il ne s’agit pas de dire, avec Georges BURDEAU, que « l’État est un pouvoir » dont le président de la République ou le roi seraient les organes chargés de « faire efficacement valoir [les] exigences »884. Les chefs d’État des pays étudiés seraient bien ces « symboles ou allégories » « qu’un demi-siècle d’hégémonie parlementaire avait relégué parmi les abstractions tout juste bonnes à peupler les méditations de quelques théoriciens attardés »885. Et s’ils sont, pour certains, « armés pour l’action886 », ce n’est pas au nom et en tant que « pouvoir d’État », mais parce qu’ils symbolisent l’unité et la continuité de l’État et qu’un devoir d’apaisement leur incombe. De ce point de vue, il n’est pas évident d’affirmer que « si l’on souhaite un Président de la République qui n’est qu’une figure symbolique […], il n’est nul besoin de le faire élire au suffrage universel887 ». Au contraire, le suffrage universel direct peut permettre de se donner sciemment un chef sans pouvoir, c’est-à- dire une institution unificatrice, pacificatrice et, en ce sens, modératrice, sans qu’elle incarne pour autant l’une des figures kojèviennes de l’autorité (père, juge-savant ou maître).

882 P. C

LASTRES, La Société contre l’État (…), op. cit., p. 29.

883 Ibid., p. 28. 884

G. BU R D E A U,« La conception du pouvoir selon la Constitution du 4 octobre 1958 », art. préc., p. 88.

885 Loc. cit. 886

Idem.

887 F. F

RISON-ROCHE, « Dissiper les ambiguïtés. Un Président élu au suffrage universel pour quoi faire ? », Revue

La compétence de nomination du Président de la Cinquième République

L’élection au suffrage universel direct est un moyen de désigner la personne habilitée à exercer les fonctions principalement symboliques que la Constitution confère au Chef de l’État.

Pour résumer, l’étude des textes constitutionnels européens fait apparaître que même « nos » Républiques se donnent des rois qu’il est possible de penser comme des « chefs sans pouvoir »888. Aussi mythologique, aussi thaumaturgique et aussi périlleux cela puisse-t-il être, les présidents de la République élus au suffrage universel direct ou indirect, ont, comme les monarques héréditaires, une fonction symbolique. Fonction symbolique qui explique que leur soient confiées des compétences formelles, mais aussi certaines compétences réelles. « Parfois dotés de moyens ponctuels d’intervention dans les processus de décision politique, ils peuvent jouer un rôle modérateur ou un rôle ponctuel de frein (cas du président Klaus en République tchèque)889. » Les compétences qui leur sont dévolues, autorisent à les identifier comme des « contre-pouvoirs, extérieurs au couple cabinet-Parlement890 ». Mais ces pouvoirs d’action demeurent l’exception : soumis à la contresignature du Premier ministre, la plupart des actes des chefs d’État européens relèvent de compétences de pure forme. Là, la fonction symbolique de ces « chefs » est évidente. Ils ne signent que pour estomper l’origine politique de la décision qui leur est soumise. À travers leur signature, l’unité prend le pas sur les clivages. Ce mécanisme est à l’œuvre dans la signature des nominations par le président de la République française.

§2. Fonction symbolique et compétence de nomination honorifique du

Outline

Documents relatifs