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«  N :Donner à voir  ! Et puis les entendre aussi sur la perception qu'ils ont aussi des choses ... Des visions, … Des perceptions peut-être plus sensorielles quoi, des espaces : le bruit , les ambiances, .. Ouais, je pense que y'a un travail autour de tout ça, hein !

Y : Et est-ce que vous pensez que travailler sur … Leur faire dire leur perception du lieu quand ils sont enfants ça a un impact sur le eux adultes ?

N : Euh ouais, probablement. De toute façon quand on verbalise les choses, on comprend toujours mieux, on se comprend toujours mieux  ! C'est de la psychanalyse hein, c'est .. (rires collectifs) C'est clair ! Moi je crois à ça, quoi ! Quand on s'adresse à des enfants, à des individus, donc en construction ! Plus tôt on les encourage à formuler leurs ressentis, leurs propres expériences, plus on les aide effectivement à devenir acteurs et parties prenantes  ! On les invite à s'engager. […] Et donc c'est en fait faire .. Responsabiliser l'enfant, le faire s'exprimer. […] je pense que ouais, c'est, c'est essentiel quoi  ! L'expression quoi  ! L'écoute, donc chez l'adulte, et l'expression de l'enfant quoi … » (1)

Parler d'architecture, de l'espace qui nous entoure. Rien que cela pourrait être une grande source d'enseignements pour les enfants. Car mettre des mots sur ce qui nous entoure c'est aussi nous l'approprier, chercher à y trouver un sens personnel. Et le paradoxe, quand on parle d'architecture, est

souvent qu'on l'aborde par de grands mots, des bâtiments iconiques ou stars, décontextualisés et vus pour eux mêmes. Ce qui fait qu'une majorité des 25 personnes que j'ai interrogées pour me définir le mot architecture a commencé par un « Ohlàlà ... », ou un « c'est dur ça ... ». L'architecture, que tout le monde pratique au quotidien, est devenue une colle. D'où une volonté, dans les expériences observées pour ce mémoire, de désacraliser le parler d'architecture auprès des enfants. La première séance menée par le CAUE 29 à l'école publique d'Edern a ainsi été une déambulation dans la cour et un questionnement des enfants sur ce qu'ils y aimaient / n'aimaient pas. Ce même exercice de mettre des mots sur l'école a été la première étape de la résidence d'architecture à Scrignac :

«M :  y'a un moment qui était pas mal là, où on discutait justement des endroits qu'on aimait bien dans l'école. Et les enfants nous on donné des endroits qu'ils aimaient bien dans l'école. Et c'était marrant parce qu'à chaque fois Pierre-Yves il les forçait vachement à .. après à … ils disaient par exemple « cet endroit de la cour  » ou je sais pas quoi, et Pierre-Yves leur demandait «  Et pourquoi ?? ». Et tu vois, il les forçait vraiment à utiliser des mots, à décrire pourquoi ils aimaient cet endroit là et tout. Et tu sentais que c'était pas facile quand même pour eux. Enfin c'est pas facile pour personne, parfois, de décrire pourquoi t'aimes bien un endroit, mais .. c'était pas

(1) Nicolas Duverger, Architecte au Caue 29

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du tout évident pour les enfants de dire « j'aime bien cet endroit là, parce que ... » Je sais pas « parce qu'il est intime, parce qu'il est ..  » Enfin  ! Tu vois, trouver le vocabulaire qui permette de dire pourquoi tu aimes tel lieu quoi. Et ça c'est vrai que dire juste simplement ça tu vois, un petit peu de .. L'éducation à l'architecture ça pourrait être tout simplement ça quoi : dire pourquoi t'aimes bien un endroit, pourquoi …

P : Oui  ! De pouvoir décrire les qualités d'un espace … J'essaie de voir parce que je pense que j'avais pris quelques notes ! (cherche) Y'a une première fois où c'était plus un inventaire .. ah oui, là ils essayent de préciser un peu. Donc ça c'était les premiers échanges

M : (lit : ) «  Toilettes  : sentiment de sécurité » (rires collectifs)

P : on a du leur demander, oui, en gros quel lieu vous aimez, et pourquoi. Donc y'a la cour de récré. Alors après on leur demandait plus précisément, donc la marelle, le portail bleu, le petit banc, le terrain de foot … […] Euh «  la cour des petits » Ah oui, y'en avait beaucoup qui aimaient bien la cour des petits parce que y'avait les jeux, y'avait plus de .. y'avait de l'herbe, y'avait un arbre etc. » (1)

Ce travail de mise en mots était l'objectif de Paloma Charpentier lors de sa résidence à Scrignac : elle souhait, en accord avec l'enseignant, chercher ce qu'était l'école idéale pour les enfants, par la parole puis le relevé habité. Un des objets de rendu de la résidence a été une grande maquette en papier de l'école, complètement dépliable, dans une idée de rendre le relevé habité ludique :

«P  là en fait on a utilisé un code couleur différent en fonction des différents types d'éléments .. Y'a l'architecture, on va dire que ça serait plus le gros œuvre, ce qui est vraiment permanent, et puis après y'a aussi le mobilier, les outils éducatifs, y'avait les choses qui appartiennent aux enfants, les choses qui appartiennent à l'école .. On avait essayé un peu de , d'éclaircir qu'est ce qui constitue l'école quoi ! Et ça je sais pas si ça a parlé aux enfants quand on leur a expliqué ça. Ou si ils se disaient « Mais pourquoi ils font ça ? » « Pourquoi ils passent leur temps à tout dessiner dans le moindre détail  ?  » (rires collectifs) Et en même temps, l'objet les a intéressé.

M : oui !

Y : Et est-ce que vous, faire ça, ça vous a appris des choses sur le fonctionnement d'une école ?

P : Euh oui ! Enfin en tout cas c'est une organisation d'une école, parce que là c'est une école … Je sais plus, elle date des années, enfin de l'après guerre quoi ! Et puis c'est un fonctionnement assez particulier où toutes les classes sont à double niveau … Ouais, on sent que c'est un fonctionnement de petite école rurale. Ça nous a appris des choses là dessus, oui !

fig.36

(1) Paloma Charpentier et Martin Fessard, architectes

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M : ouais, ouais, ouais !

P : Et après aussi, y'avait aussi un peu des questions d'évolution des outils éducatifs puisque y'a l'arrivée du tableau numérique, quelle place il prend dans la salle, y'avait des questions de positionnement des tables .. donc ça varie aussi selon les années, selon les caractères des enfants.

M : C'est rigolo de voir que dans une archi assez .. stricte et très régulière quoi, c'est marrant parce que ça fait vraiment plein de cases et plein de choses différentes qui se passent à chaque fois. Chaque salle de classe a des organisations différentes et .. Enfin tu vois vraiment que le mobilier il permet de .. enfin d'habiter un endroit quoi  ! Même si au début l'archi est un peu ..

P : oui, l'archi est très rationnelle, fonctionnelle ! » (1)

Ces perceptions et usages ont été mis en images, comme pour en relever les preuves. Le jour de la restitution à Scrignac, la grande maquette était dépliée sur plusieurs tables, et les enfants pouvaient s'en approcher pour voir leurs trousses et leurs cahiers dessinés, leur façon d'habiter l'espace enregistrée sur papier. Ce travail de mise en images a, à Edern, été fait par les enfants : ils avaient pour consigne de prendre en photographie les espaces qu'ils aimaient et n'aimaient pas, à l'image d'un architecte faisant

une visite de site.

Souligner son usage de l'espace a abouti à Trébédan à une adaptabilté très forte du mobilier. Matali Crasset, avant de faire ses propositions, est restée observer les enfants et le personnel de l'école, observant leurs façons de faire pour les retranscrire en espace :

«N :  Alors c'est marrant parce que les remplaçants qui passent, ils sont étonnés des élèves, mais c'est parce que les conditions sont créées pour, quoi ! Et c'est pas de la prétention ! Mais tu peux pas faire des élèves autonomes si ils doivent chercher dans un gros bac, prendre le risque de se perdre … Et donc là, elle me disait (la remplaçante à ce moment dans la classe), parce qu'elle était là vendredi dernier après-midi déjà, et moi je leur ai dit « Allez, au travail », et ils sont tous partis chacun de leur côté, attraper du matériel pour travailler.. Et comme en plus c'est comme un désir d'être autonome, ils sont pas en train de faire les zouaves quoi  ! Si tu les regardes, ils sont vraiment centrés sur leurs activités, parce que je pense qu'ils ont une conscience de la part de liberté que tu leur laisses, et que du coup ils ont la sensation qu'il faut pas la perdre. Tu vois ça c'est … la présence de ces supports là qui m'a fait reprovoquer ça ! » (2)

Le mobilier dessiné par Matali Crasset laisse l'enfant responsable de l'usage de son espace, c'est lui qui va chercher ses pots de crayons, ses bacs d'activités, ses supports de présentation. Tout cela étant lié bien évidemment à la pédagogie insufflée et voulue par les enseignantes.

fig. 37

(1) Paloma Charpentier et Martin Fessard, architectes (2) Nolwenn Guillou, Directrice de l’école de Trébédan

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Lors d'une visite dans la classe des maternelles en octobre, j'ai ainsi vu un enfant de 4 ans aller chercher des perches dans un coin de la salle et les clipser dans une table pour qu'une petite fille puisse afficher son travail terminé. Cette appropriation de l'espace semble pouvoir se faire car, justement, des mots et des images ont aussi été posés en amont  : si l'enseignante dit « Allez, au travail », les enfants savent quoi faire, habitués au rituel, et ils connaissent aussi très bien leur école et leur mobilier, car on a pris le temps de leur expliquer comment cela marche.

La prise en compte de l'enfant en tant

qu'habitant de l'école passe donc tout d'abord, dans les expériences étudiées, par une mise en mots et en images des usages, voir même une mise en espace. Poser les façons d'habiter est une façon de leur donner corps, de les rendre légitimes. Et c'est aussi faire comprendre à l'enfant que son usage de l'espace n'est pas forcément celui de son copain, comme le prouve la diversité des photographies prises par les enfants dans la cour d'Edern.

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