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Le tout premier objectif de la sensibilisation à l'architecture posé par l'Ensa Grenoble dans leur cahier de recommandations à l’attention des architectes est de «  faire de l'architecture une culture partagée ». Cette volonté de penser le partage de l'espace est aussi une ces premières choses qui a lancé la systémique de projet à Trébédan : comment recréer du lien social là où les enfants et les personnes âgées, se croisant, ne se disaient pas bonjour ? L'architecture, off rant le cadre aux interactions

sociales ainsi qu'une mise en forme de la culture locale semble pouvoir offrir aux enfants le moyen de se sentir faire partie d'une communauté.

«  PY : à Huelgoat on avait réfléchi sur euh … les fenêtres, les ruelles, les .. On était allés faire des photos un peu partout. Chais pas si t'étais dans ma classe à cette époque là, peut être pas encore, si ?

Y: Non, j'crois pas.

PY  : Et on était allés faire des ..observer euh tout ce qui est sous

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nos yeux et que finalement on oublie de regarder. On oublie d'en voir la beauté. Toutes les vieilles fenêtres, tous les petits détails architecturaux … Tous les vieux … les, les vieux murs, les lichens, les. Bah tout ce qui est, on a cherché ce qui pouvait nous émouvoir ! Je pense que ça serait .. ça fait partie de, de prendre conscience de notre héritage et de notre identité aussi  ! Justement de notre, de pas juste laisser cette, cette idée de culture comme si c'était un monde voilà : ça vient de la ville, ça vient de .. d'une espèce d'élite. Et ben non, en fait, on l'a euh, on l'a nous aussi ! » (1)

Cet apprentissage du bien commun peut venir d'un simple regard posé sur son village, sur ses pratiques et ses détails. Car comme l'a énoncé Georges Perec «  le problème n'est pas d'inventer l'espace , encore moins de le réinventer (trop de gens bien intentionnés sont là aujourd'hui pour penser notre environnement...) mais de l'interroger ou, plus simplement, de le dire ; car ce que nous appelons quotidienneté n'est pas évidence, mais opacité : une forme de cécité, une manière d'anesthésie. » (2) Walter Saunier m'a ainsi parlé de l'entrée du livre jeunesse pour lancer de nouvelles réflexions dans les classes, mais aussi de la difficulté à en trouver parlant d'architecture et de notre cadre de vie...

Des livres comme ceux de Claude Ponti pourrait, par leur attention por tée au cheminement du personnage, apportant de multiples petits détails à chercher dans les doubles pages, pourraient être une façon d'inciter l'enfant à lire dans le détail son environnement quotidien. Cependant cette lecture de l'espace du village ne peut se faire seul, car elle perdrait alors toute profondeur.

« L’espace construit ne s'appréhende vraiment qu'au niveau du groupe, qui lui donne sa cohérence » (3).

Et c'est la friction, l'échange avec l'autre qui semble, d'après Françoise Dolto, construire les enfants  : le dépassement de la jalousie est pour elle ce qui aboutit à la conscience du soi chez les enfants. Mettre des mots sur nos façons de partager l'espace, à l'image des enfants de Trébédan dessinant le parterre de la mairie avec les personnes âgées du club de l'amitié serait un moyen de leur faire découvrir qui est chacun et, par conséquent, de se sentir soi même dans cet espace commun, avec ses propres désirs et responsabilités. La secrétaire de mairie de Trébédan, suite à ce genre d'expériences, se demande même si intégrer l'enfant dans le dessin de l'espace collectif, le faire se sentir habitant de la commune ne serait pas un moyen de protéger la commune :

« C : C'est vrai que d'investir dans les enfants, je trouve que c'est bien ! Et on devrait le faire plus souvent, mais à toute échelle  ! […] avec les élus, enfin moi ce que je disais, ce qui est cool c'est qu'ils sachent ce que c'est que les bâtiments communaux, en fait  ! Et puis de les investir en les restaurant, par exemple mettre un coup de peinture, etc, parce

fig. 41

(1) Pierre-Yves Phillippot, Directeur de l’école de Scrignac

(2) Besson Michèle. Découverte de l’architecture et de l’urbanisme, Ligue française de l’enseignement et de l’éducation permanente, 1980, p9 (3) Idib. p 52

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qu'au moins ils ont plus de respect quand ils les utilisent. Et là l'école c'est pareil  ! Ils ont participé au projet. Bah peut être pas les enfants actuels, parce que ceux de CM2 là ils devaient être tout petits, ils devaient être en maternelle, quand ils ont travaillé sur le projet .. (rires collectifs) Mais c'est vrai que ben du coup ils ont plus de respect pour les espaces communaux  ! Et ils sont fiers de leur travail quelque part ! C'est leur idée, c'est .. Je trouve ça cool quoi ! [...], et puis on devrait plus investir les enfants dans ces démarches là, moi je trouve. Comme ça ils .. Parce que moi j'ai vu des années ici hein, on est une toute petite commune, enfin y'avait peut-être 350 habitants, maintenant on a un petit peu augmenté quoi, mais on a retrouvé les tables de pique-nique dans l'étang, les toilettes saccagées, enfin … Et c'était des ados ! Mais si on leur avait par exemple, à l'époque … ça ne se faisait pas hein, mais monter les tables de pique-nique avec eux par exemple, voilà quoi  ! Ou même les lasurer ! Bah peut-être qu'ils auraient eu plus de respect, qu'ils les auraient pas jetées, ni cassées . » (1)

Ce constat de conduites plus respectueuses si on considère chaque individu, dès l'enfance, comme habitant et par conséquent responsable à son niveau de l'espace commun a été prouvée en Finlande, en Norvège ou en Suède :

«  La sensibilisation à l'art de l'architecture, dès le plus jeune âge, peut avoir des conséquences positives. Dans les pays nordiques, qui investissent beaucoup dans ce domaine, depuis de nombreuses années, l'éducation artistique favorise les conduites citoyennes  :

chaque individu, qu'il soit locataire ou propriétaire dans un immeuble, qu'il soit maitre d'ouvrage ou non, se sent plus responsable et mieux aguerri face aux évolutions du monde urbain. Il en résulte que l'Etat doit moins intervenir pour interdire ou réglementer. En France, au contraire, faute d'une formation adéquate des plus jeunes, l'Etat est confronté à un relatif manque d'intérêt de l'opinion publique qui conduit à des formes d'incivisme. » (2)

L'éducation à l'architecture dès l'enfance deviendrait alors une possible source d'économies (de temps, de moyens) pour les collectivités locales. Et cet affirmation que chacun est habitant pourrait être un moyen de contrecarrer un désintérêt de la population pour les politiques de l'aménagement :

«  N: je pense que c'est un média (l'architecture) qui est puissant hein ! On devrait s'appuyer davantage dessus ! C'est, c'est d'ailleurs fou qu'on en soit à .. Enfin on a, je trouve peut- être même qu'on a régressé hein, par rapport à ces question d'intérêt public de l'architecture. On le voit dans la question de commande publique, le renoncement au concours, enfin là y'a la loi Elan qui est une catastrophe hein ?

Y : Oui !

ND : Renoncement au concours pour les bailleurs sociaux, on détricote les seuils de procédures, euh .. Enfin bon, on va pas lister toutes les déconvenues récentes mais c'est compliqué quoi. » (3)

Créer du lien entre soi et l'autre par une lecture commune de l'espace pourrait servir à lutter contre le morcellement des territoires. Et en

(1) Céline, Secrétaire de mairie de Trébédan (2) Lismonde Pascale, Les Arts à l’école, Paris, Gallimard, 2002. p 178 (3) Nicolas Duverger, Architecte au Caue 29

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cela, parler de l'architecture et de ce qui fait cadre de vie commun pourrait aider au maintien des villages ruraux, voir à leur valorisation. Mais cela est d'abord passé, dans les expériences observées, par une affirmation forte de l'enfant en tant qu'habitant.

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