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a La référence architecturale : outil pédagogique pour penser l'architecture dans sa diversité ?

La référence architecturale est souvent l'outil qui permet de requestionner le projet, de rebondir et de sortir de certains schémas de pensées. Par son ouverture sur d'autres idées, elle permet de poser un regard critique sur ce que l'on dessine.

(1) Castaignède Frédéric, Demain l’école, Strasbourg, Arte , 2017.

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Les architectes vont souvent chercher des projets aux mêmes types de programmes, aux matériaux ou aux terrains similaires pour nourrir leur propre travail. Mais doit-on parler de références à l’enfant  ? Ou faut-il le laisser inventer à partir de rien, partir de l'espace vécu et ressenti, pour moins d'influences ?

« N : La référence c’est l’église, l’école, la mairie, le lotissement, la salle des sports. Donc, ouais, moi j’ai senti quand même que ça .. cette question de la référence elle s’exprime de façon contrastée entre des gens qui habiteraient l’hypercentre de Quimper et des gens qui habiteraient en milieu rural ou périurbain, où le modèle pavillonnaire l’emporte quoi ! ça, voilà, c’est mon observation, après euh .. Je sais pas si c’est si tranché que ça … Aujourd’hui les gens voyagent beaucoup aussi, enfin ça dépasse le bassin de vie, hein ! C’est quand même beaucoup ça qui crée la référence. Ben on est sur la télé hein  ! L’intrusion de l’image dans le foyer donc l’apport.. enfin l’intrusion d’images du Japon, d’Amérique, … voilà, d’un Ailleurs, ça fait la référence ! On voit bien, quand ils dessinent les enfants, ils dessinent des villas Hollywoodiennes ou ... Bienvenue chez les Ch’tis ou je sais pas quoi ! (rires)» (1)

Nicolas Duverger, Architecte du Caue 29, évoque les sources actuelles de références pour les enfants. Elles sont de l’ordre des espaces quotidiens et pratiqués, ou alors amenées sans filtre à l’enfant par la surabondance d’images à la TV et sur internet. Cet apport d’images permanent, Martin et Paloma l’ont questionné :

si l’ont fait de l’éducation littéraire, pour que chacun puisse décrypter ce qui se cache derrière les mots, ils s’étonnaient que les enfants aient très peu d’éducation quand au décryptage de l’image (ce que la couleur veut dire, ce que le cadrage veut transmettre, sa vérité ou sa manipulation, ….). Par conséquent, on peut comprendre que leur apporter des références architecturales sans dialoguer sur ce qu’il y a derrière peut être dangereux : la mésinterprétation est possible, d’autant plus que lire des images d’architecte (plans, coupes, élévations, perspectives) ne se fait pas sans effort. Pour avoir expérimenté l’utilisation de l’image de référence sur le terrain, avec une première lecture brut des enfants, avant décryptage collectif, les réactions étaient parfois étonnantes. Une image d’espace de jeux dans la forêt, avec juste des grosses branches posées au sol et déplaçable a lancé la conversation suivante entre l’animatrice encadrante et les enfants : « Ah non, celle là elle est pas bien ! On ne peut pas jouer dessus ! » «  Arrêtez de mentir, je sais que vous serriez fous si y’avait ça dans la cour ! C’est déplaçable, transformable, et pour en avoir vu certains d’entre vous dans ce genre d’espace, je sais que vous joueriez avec ! » « Pas sûr, les autres sont mieux quand même ! » .

fig. 31

(1) Nicolas Duverger, Architecte au Caue 29

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L’image spectaculaire et colorée avait gagné, l’espace moins photogénique perdu. Françoise Dolto dit à ce sujet :

«  Toute la culture est le produit du déplacement de l’objet du désir ou de la pulsion elle-même sur un autre objet, celui-là servant à la communication entre sujets de langage.  » (1) Même si les images montrées lors de cet atelier ont eu une réception parfois très tranchée, et peut-être différente de la réception qu’auraient pu avoir ces espaces pratiqués, les montrer a permis de dialoguer, d’évoquer d’autres choses. L’image suscitant le plus d’engouement lors de cet atelier de réflexion sur la cour du centre de loisir a été celle ci :

On s’est alors demandé pourquoi ils l’aimaient bien, et la question de la pente est venue rapidement. La réflexion suivante a été enclenchée par les enfants eux même  : «  Nous aussi on a une pente dans la cour ! » « En plus nous elle est en herbe ! On pourrait faire un toboggan dans la pente, comme chez mon oncle ! ». Une référence qui interpelle sur un point, avant d’en convoquer une autre, pour aboutir à une idée. Une image pour nourrir le désir. Cette méthode c’est celle que Nicolas Duverger utilise avec les adultes pour les conseils aux collectivités dans le Finistère :

« N : Quand on n’a pas de références pour s’expliquer, c’est toujours compliqué de s’exprimer. Il faut aussi avoir en tête des images d’autres lieux, .. C’est pour ça qu’à chaque fois qu’on fait une étude il faut qu’on montre d’autres choses quoi. Pour dire «  Bah voyez, votre projet il pourrait ressembler à ça ! Ça sera pas ça, mais .. » Et puis « Ah ! Ouais, j’avais pas pensé, effectivement ! » Et puis là ça dénoue des situations. »

Et à l’école de Trébédan, lors de la réflexion sur la réhabilitation de l’école menée avec les enfants, ils ont bien saisi l’importance de leur donner de la matière à partir de laquelle parler :

« N : Sur l’année précédent l’année du chantier justement, ou au moment où on était en train de définir le cahier des charges avec le groupe de commanditaires, avec les élèves on a travaillé toute l’année dessus, en allant voir d’autres écoles, pour qu’ils puissent se faire une autre idée aussi.. Enfin une idée comparative, pour qu’ils puissent définir leurs propres besoins, donc on a travaillé tout là dessus aussi. » (2)

Les visites d’écoles ont permit d’ouvrir l’horizon des possibles pour les enfants, pour que leur pratique quotidienne d’une seule école ne les enferme pas dans une seule conception possible de l’espace. Car nos façons de vivre nous influencent, comme on parle par exemple d’un mode d’habiter occidental et d’un mode d’habiter oriental, basés sur les coutumes locales (s’asseoir par terre pour manger, enlever ses chaussures en entrant, …). Lors d’une visite à Trébédan, j’ai suivi une école primaire de Rennes, qui découvrait l’école du

(1) p288

fig. 33

(1) Dolto Françoise, La Cause des enfants. Paris : Ed. Pocket, 1995. p288 (2) Nolwenn Guillou, Directrice de l’école de Trébédan

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Blé en Herbe pour la première fois. Lors des échanges l’après midi dans les classes, les élèves des deux écoles ont eu un temps pour se poser des questions, ce qui a fini en discussions sur leurs écoles respectives, leurs différences, leurs similarités d’usages, etc. La référence a permis de mettre des mots sur l’architecture, par jeux de comparaisons.

Car la quotidienneté d’un espace fait habitude, et il est parfois difficile de sortir des schémas d’usages induits par un espace sans outil de comparaison avec autre chose. Le

«  Ben pour nous maintenant c’est normal d’avoir ça  » énoncé par les enfants de Trébédan en est le témoignage.

La référence peut alors être une porte d’accès vers d’autres façons de penser l’espace, vers d’autres histoires. Car on ne vit pas tous de la même manière. Et il reste difficile, même pour l’adulte, de se projeter dans des façons de vivre l’espace que l’on n’a pas expérimenté

personnellement. En 2017, l’école du Blé en Herbe a eu pour projet de créer des chaises pour le café associatif du village. C’était l’occasion pédagogique d’off rir un grand panorama de références de chaises, de façons de s’asseoir, de vivre, de penser l’espace :

«  N : Et donc, à cette occasion là, pour te montrer un exemple de partenariat avec les familles, comme c’était sur le mobilier, donc on a fait un gros travail euuh en littérature, voilà, sur le mobilier. Euh,et au niveau étude d’œuvres d’art et création, bah voilà en reprenant des tableaux de Van Gogh, ou des choses plus contemporaines des artistes asiatiques. Et on a fait un travail avec les familles en demandant à qui voulait bien le faire d’apporter un siège de la maison et raconter son histoire ! Ce qui fait que ça nous a fait toute une collection de chaises dont on a fait une expo photo qui était super belle ! Et donc forcément comme on invite les familles à parler de chez elles et en plus comme c’est les enfants qui s’en emparent , c’est eux qui disent « Oh bah tiens on va prendre la chaise là » et du coup ben voilà. Ils ont pas trop le choix pour ceux qui n’oseraient pas quoi ! Et en plus tout, tout est le bienvenu ! C’est à dire même le petit pouf qu’est dans la salle et c’est juste celui qui sert à regarder la télé, on s’en fiche ! Si on dit juste ça parce que on explique bien que nous après, ça nous sert et que ça nous sert nous au niveau des apprentissages, donc y’a pas de comparaison de ce qui vaut plus que l’autre, voilà, on a pas besoin d’avoir un objet de valeur ou un objet qui a une grande histoire reconnu, voilà, chacun est le bienvenu quoi ! » (1)

fig. 33

(1) Nolwenn Guillou, Directrice de l’école de Trébédan

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Les histoires se croisent, se mêlent par la convocation et le regroupement d’une multitude d’expériences personnelles, ouvrant le champ des possibles et de l’imaginaire. L’ENSA de Grenoble a remarqué dans ce sens que les outils pédagogiques mis à disposition des enseignants pour parler d’architecture pouvaient être très utiles, et qu’ils se démultipliaient d’ailleurs depuis quelques années. Leur livret en ligne liste d’ailleurs de nombreuses ressources pour parler de l’architecture aux enfants. En Bretagne, le CAUE du 56 propose lui une valise pédagogique très détaillée à l’attention des enseignants, avec pour chaque point évoqué des photographies de références. L’outil est ici générique, mais peut être aussi crée sur place, comme à Trébédan, où il devient alors plus personnel, plus axé sur le projet d’école. La référence apportée de manière consciente n’est cependant peut- être pas nécessaire. Paloma et Martin m’ont dit que eux, pour leur résidence d’architectes à Scrignac, ils n’ont montré aucune référence aux enfants. Si eux en ont utilisé pour penser le dessin de la cabane, les enfants ne l’ont pas vu. «  Globalement dans l’ensemble de la résidence on n’a pas montré de références, il me semble. On a travaillé que avec l’école sur place ! ». Des choses ont été évoquées oralement, comme la forme des toits ou les matériaux, mais convoquant plus les expériences personnelles des enfants. Martin raconte par exemple la réaction de Nolhan sur le choix du bois comme matériau pour leur cabane:

«M : Et y’avait Nolhan une fois qui avait dit aussi « Mais ils vont venir la casser  !  » Parce que c’était une cabane en bois donc …

P : Ah oui ! À un moment ça l’énervait qu’on construise une cabane.

M : Ouais, je sais pas ! Mais je crois qu’il aurait préféré un truc en parpaings ! (rires collectifs)

P : Oui, il avait proposé un peu des matériaux comme pour faire des maisons. Parce que il connaissait son oncle …

M : Qui devait être maçon, je crois …»(1)

Car l’enfant porte déjà en lui de nombreuses expériences d’architecture à mobiliser, et qu’il faut simplement réussir à convoquer. Comme pour Nolhan, elle peuvent déjà être très fortes, ou, comme pour les enfants de Trébédan par rapport à la montgolfière, diluées par l’effet de la quotidienneté.

Et l’utilisation de la référence, de la comparaison, de la présentation d’une image de désir semble parfois être une bonne clé pour ouvrir la porte à ces conceptions de l’espace, les partager et les requestionner. Et ensuite, pourquoi pas, les prolonger, les mener vers autre chose.

fig. 34

(1) Paloma Charpentier et Martin Fessard, architectes

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